Skip to main content

Full text of "Recueil"

See other formats


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.archive.org/details/recueiloOOfont 


RECUEIL 


A  PARTS 

M.  OCG.  LX. 


C5F 


113 


RELATION 

VERITABLE 

De  ce  qui  s'efi  pajjé  au  Procès  du  Ma* 
réchal  de  Marillac. 

f^RÉs  que  le  Maréchal   de 
Marillac  eue  été  arrêté  pri- 
onnier  ,  en    Piedmont   en 
_  l'année  4630.    au  mois    de 

Novembre,  <^  de  là  conduit  en  France, 
&  mis  premièrement  au  Château  de 
fainre  Menehould  &  puis  en  la  Citadelle 
de  Verdun ,  il  y  eut  une  Chambre  éta- 
blie dnns  la  ville,  compofée  de  quatre 
Maître  des  Requêtes,  de  deux  Préfidens, 
&  douze  Confei  11ers  du  Parlement  de 
Bou-'gogne  par  Commifilon  du  15.  Mai 
IA31.  pour  lui  faire  &  parfaire  Ton  Pro- 
cès. Les  Juges  érans  affemblés ,  &  deux 
d'entre  eux  commis  pour  l'in^ruélion;! 
^ecudl  O.  A 


^  ^  ^ 

après  Ton  interrogatoire  ,   audition,  & 
confrontation  de  témoins  ,  &  plufieurs 
pourfaites  Se  procédures  faites  tant  à  la 
Requête  du   Procureur   du  Roi    en    la 
Commifîlon  ,  que  du  Maréchal  ,  Arrêt 
intervint  qui  le  reçut  à  la  preuve  de  Tes 
faits  juftificatifs  :  mais  la  Chambre  ayant 
enfuite  été  révoquée ,  &  les  Ju^es  con- 
gédiés ,  il  fut  quelque  temps  après  tra- 
duit de  Verdun  au  château  de  Pontoifè, 
&  de-là  au  village  de  Rueil ,  ou  il  y  eut 
une  nouvelle  Chambre  établie  à  même 
lin  ,  par  autre  Commiflion  du  1 1.  Mars 
1652..   comporée  partie  des  mêmes  Ju- 
ges ,  &  partie  d'autres  fubftitués  &■  ajou- 
tés de  nouveau  jufques  au  nombre  de 
14,  qui  après  leur   féance    prife,  &  le 
rapport   fait   du   Procès  ,    ordonnèrent 
que  le  Maréchal  feroit  oui. 

Il  fut  donc  mandé  pour  cet  effet  le 
"Mercredi  2S^  jour  d'Avril  enfui vanc 
dès  les  6.  heures  du  matin  ,  heure  à 
laquelle  les  Juges  s'étoient  rendus  à  la 
Chambre  (  ce  dont  ayant  eu  avis  par  le 
fleur  Defreaux  commis  à  fa  garde)  il 
lui  dit  qu'ils  n'avoient  pas  accoutumé 
d'entrer  fi  matin ,  &  que  d'ordinaire  ils 
n'entroient  qu'à  huit  heures ,  qu'il  voyoit 
bien  que  le  temps  était  venu  ,  où  il  de- 


.      <5)       .    , 

voit  plus  que  iamais  recourir  à  Dieu,  &c 
fe  mettre  à  Tabri  de  fa  proceclion  ,  & 
qu'il  n'éroit  point  rcfolu  d'y  aller ,  quel- 
que prefTe  6i  quelque  violence  qu'on  lui 
fit ,  qu'auparavant  il  n'eût  oui  la  MeUe 
6c  fortifié  ion  ame ,  dans  ce  befoin,  de  la 
fainte  Communion. 

Cela  lui  ayant  été  permis  ,  &  après 
avoir  fait  &  achevé  fes  dévotions  dans 
une  grande  liberté  d'efprit,  il  fe  rendit 
fur  les  huit  heures  en  la  Chambre,  & 
à  l'entrée  falua  tous  Ces  Juges  avec  un 
grand  refpeâ: ,  &  Monfieur  le  Garde  des 
Sceaux  lui  ayant  montré  la  lellete  pour 
s'afTeoir  dedus  ,  on  lui  voulur  faire  prêter 
le  ferment  i  mais  à  peine  eût-il  tiré  (on 
gani  à  demi  ,  qu'à  l'indant  s'étant  ravifé 
éc  l'ayant  remis,  il  commença  d'une 
voix  alTurée,  &  d'une  contenance  grave 
Se  tranquille  ,  à  leur  dire  : 

Que  dès  long-temps  il  avoir  appris 
l'honneur  qui  étoit  dû  à  une  telle  &  G. 
célèbre  Compagnie ,  compofée  de  per- 
fonnes  ,  dont  la  plupart  étoienc  de  très- 
grand  mérite  ,  mais  que  Dieu  lui  ayant 
fait  la  grâce  d'être  né  Gentilhomme  .du 
relTort  du  Parlement  de  Paris,  &  le  Rei 
l'honneur  de  le  faire  Officier  de  fa  Cou- 
ronne ,  il  les  prioic  de  Texcufer  s'il  ne 

Ajj 


(f5 

les  pouvoit  reconnoître  pour  Tes  Juges 
naturels  ni  les  honorer  en  cette  qualité, 
cnfuite  des  proteftations  qu'il  avoir  fai- 
tes auparavant  ôc  qu'il  réitéroic  de  nou- 
veau. 

Qu'outre  cela  il  avoit  propofé  contre 
eux  plufieurs  récufations  tant  générales 
que  particulières,  qu'il  les  fupplioit  d'at- 
tribuer plutôt  au  jufle  intérêt  de  fa  con- 
fervation  &  de  fa  défenfe  »  qu'au  defîr  de 
les  ofFenfer^  n'approuvant  que  les  véri- 
tables ,  &  non  pas  celles  dont  il  pour- 
roit  avoir  été  furpris  ,  par  queiques 
mémoires  ,  même  envers  Monfieur  de 
Bretagne ,  non  qu'à  la  vérité  il  n'eût 
d'ailleurs  trop  de  raifons  de  l'avoir  pour 
fufpeét ,  mais  parce  que  naturellement 
il  étoit  ennemi  de  toutes  fortes  d'inju- 
res 5i  d'impoftures ,  ôc  qu'il  ne  rougiiïoit 
pas  de  prier  encore  une  fois  ledit  fieur 
de  Bretagne  de  les  lui  pardonner  &  de 
les  oublier. 

Et  quant  à  vous,  dit- il,  Mon/îeur 
(  adreffant  la  voix  à  M.  le  Garde  des 
Sceaux  )  y  a-t-ii  perfonne  en  cette  Com- 
pagnie qui  mieux  que  moi  connoilTe 
votre  nailTance  ,  votre  mérite  ,  votre 
capacité  &  votre  courage  j  &  même  je 
yous  puis  dire  avoir  eu  des  amitiés  parr 


C  5  ) 

ikulicres  avec  plufieurs  de  votre  maî- 
fon  ;  je  veux  croire  que  la  puilTante  con- 
juration de  mes  ennemis  ,  que  vous 
connoitTez  bien  ,  &  que  je  n'ofe  nommer, 
plutôt  que  votre  volonté  propre,  vous 
fait  préfider  en  cette  Compagnie-,  je  fçai 
que  vous  y  avez  des  furveillans  qui  éclai- 
rent vos  adions.  Mais  quand  d'ailleurs 
je  viens  à  confidérer  cette  afFedation 
fans  exemple,  ce  choix  inaccoutumé  des 
Juges  &  ces  difpenres  extraordinaire- 
ment  obtenues  fans  néceffité  ,  pardon- 
nez-moi Cl  je  vous  dis  qu'un  Ange  même 
defcendu  du  Ciel  &  fournis  à  vos  juge- 
mens  ,  s'il  étoit  fufceptible  d'une  im- 
preilîon  de  crainte  ,  auroit  fujec  d'appré- 
hender de  la  contrainre  &  de  la  violence 
dans  les  opinions  ,  fi  ce  n'eft  de  votre 
part,  du  moins  de  celle  de  l'autorité  de . 
votre  charge. 

Pour  vous  ,  Monfieur  de  BuUon^  vous 
fçavez  outre  ce  que  j'ai  déjà  dit  par 
Requête,  que  j'aurois  encore  quantité  de 
chofes  à  repréfenter  &  à  dire  ici  de 
vive  voix  :  mais  que  fetviroit  ce  vain 
effort  contre  l'artificieufe  cabale  de  mes 
ennemis  î  Puifque  je  ne  fuis  point  écouté  , 
ce  feroit  les  irriter  davantage ,  &  vous 
&  eux  contre  moi. 

A  ji] 


(6) 

Qaant    à    Chafielet  ,    j*at   horreur  , 
Meilleurs ,  de  le  voir  affis  parmi  une  /î 
honorable  Compagnie  fur  ces  fleurs  de 
lys  ,   &c  qu'il  ait  pouvoir  &  main  levée 
fur  ma  vie  &  fur  mon  honneur.  Quand 
bien  je  n'aurois  autre  chofe  à  lui  repro- 
cher que  cette  infâme  profe  dont  il  eft: 
l'auteur  ;  où  s'étant  mocqué  de  Dieu  ôc 
de    TEglife,   ayant   injurié  les   cendres 
d'un  perfciinage   d'éminente  qualité  & 
fainteîé  de  vie  ,  de  qui  la  mémoire  eft 
en  l'éternité  ,    offenfé   les   vivans  ,    les 
Princes  &  autres  perfonnes  de  rare  mé- 
rite ,  il  ne  faut  pas  s'étonner  s'il  a  ca- 
lomnié impudemment  Monfieur  de  Ma- 
TiHac  mon  frère  ,  dz  m'a  rangé  au  nom- 
bre    des    pendarts  ,    fufpendatur    ance 
nirbas  y    dignes   paroles    de  fa  rage  & 
de  fa  pa(Tîon  :  6c  toutes  fois  après  s'en 
être  vanté  publiquement  en  préfence  de 
perfonnes  illuftres  ,    &    l'avoir  confelTé 
n'^.cme  à  quelques-uns   de  vous,  Mef- 
iîeurs  ,  dont   j'interpelle   &  prends   les 
confciences  à  témoin  ,  il  a  été  fi  perfide 
&  (1    défefpéré  de  le  nier  par  un  lâche 
parjure  devant  la  facrée  perfonne  de  Sa 
Majefté.  Mais  cependant,  Ç\  dans  cette 
oppreffion  ,  il  faut  qu'il  foit  mon  Juge, 
j'efpére    que  Dieu  fera  miracle  en  fa 


^7)  , 

perfonne,  &  que  mali^ré  les  fêntîmens 
que  j'en  dois  avoir  ,  &  qui  font  fondés 
fur  Tes  Témoignages,  il  changera  Ton  n^au- 
vais  deffein ,  ôc  convertira  la  fureur  en 
modération. 

Et  en  continuant  Ces  jufles  plaintes  , 
après  avoir  déduit  toute  la  violence  ap- 
portée en  l'inftruétion  cc  aux  formalités 
de  (on  Procès  ,  en  rinformntion  faite 
par  les  fîeurs  de  Moricq  ik.  LaQemas , 
par  fubornations ,  menaces  (S:  emprifon- 
nemenc  de  quelques  témoins,  rejet  de 
ceux  qui  parloient  à  fa  décharge ,  alté- 
ration &  dégnifement  de  la  dépofitîon 
de  quelques  autres  ,  de  la  cafTation  de 
l'Arrêt  de  !a  Chambre  icanre  à  Verdun 
(choie  inouie  &  (ans  exemph^,)  par  le- 
q  iel  Arrêt  i!  avoir  été  reça  à  la  preuve 
de  fes  fiiits  juflii-jcatiFs ,  ch3ns,emea£  de 
Juges  &  de  lieu,  il  fe  plaignit  de  Ten- 
lévement  de  fes  papiers  fait  fans  ordre, 
fans  compte  &  fans  inventaire  par  lef- 
diîs  fienrs  de  Moricq  Se  Lajjenms  &  le 
Chevalier  du  Guet  tant  à  Verdun  qu'en 
la  vi'le  de  Paris ,  8^;  de  ce  qu'ils  avoient 
été  fouillés,  interceptés,  &  la  plûparr 
d'iceux  fouftraits  ,  notamment  tous  ceux 
qui  fèrvoient  à  fa  juftifîcation  Ôc  à  fa 
décharge  ,  comme  lettres ,  mémoires  en 

A  iy 


bon  nombre  tant  de  la  part  du  Roi  & 
de  fa  main  propre ,  portant  Tes  ordres , 
que  de  celles  de  Tes  Minidres  en  Ton 
nom. 

Il  repréfenta  de  plus  les  devoirs  oii 
feue  la  Dsme  Maréchale  fa  femme  s'étoit 
mife  pour  avoir  accès  auprès  du  Roi  , 
par  le  moyen  &  la  permiffion  de  M.  le 
Cardinal  de  Richelieu  j  les  vertus  de 
laquelle  connues,  dit -il,  de  toute  la 
Cour  &  fa  naiffauce,  puifqu'elle  portoit 
Taugufte  nom,  &  les  armes  de  !a  Reiiie 
mère  du  Roi ,  avoient  du  provoquer  Tes 
plus  irréconciliables  ennemis  à  un  trai- 
tement honnête  &  civil ,  s'il  fe  fur  trou- 
vé en  eux  quelque  fentiment  d'huma- 
nité ,  vu  même  que  dans  le  réfumé  de 
Ton  Procès  il  n'étoit  prévenu  du  moin- 
dre foupçon  de  félonie  envers  Ton  Prince, 
qu'au  contraire  il  l'avoir  toujours  fervi 
avec  fincérité  &  fidélité  ,  &  que  tout  ce 
dont  on  l'accufoit  confiftoit  en  faits  fi 
peu  confidérables  qu'on  les  pouvoir  ob- 
jefter  à  quiconque  auroit  eu  le  moindre 
commandement  dans  les  armées  ,  ôc 
néanmoins  que  la  défunte  avoir  été  in- 
humainement rebutée  ,  exilée ,  &  plus 
cruellement  traitée  qu'en  pleine  Barbarie, 
puifqu'elle  avoit   été  contrainte  de  fe 


retirer  en  un  village  ,  dans  une  mailon 
empruntée,  où  elle  étoit  morte  de  dé- 
plaifir,  &  prefque  fans  fecours. 

Et  pour  conclufion  il  ajouta  ces  mors. 
Je  ne  me  préfente  pas  ici  ,  Monfieur  , 
pour  défendre  ma  vie ,  qui ,  en  Tétat  Ôc 
en  l'âge  où  je  fuis ,  m'eft  plus  à  charge 
qu'à  fouhait.  Je  l'ai  trop  de  fois  bazar- 
dée à  la  vue  &C  aux  yeux  de  mon  Roi 
pour  craindre  maintenant  la  mort ,  que 
j'affronterai  courageufement  en  quelle 
manière  &  de  quelle  part  que  Dieu  maf 
l'envoyé  ,  étant  tout  relégué  à  fa  divine 
providence  ,  à  la  difpofition  de  qui  je 
me  fuis  entièrement  fournis.  Je  ne  cher- 
che qu'à  garantir  mon  honneur  Ôc  ma 
réputation  par  une  jufte  défenfe  contre 
la  violence  &  la  calomnie  de  mes  enne- 
mis, &  afin  que  je  puilTe  rendre  entre 
les  mains  de  Sa  Majellé,fi  elle  le  défire 
ainfi,  fans  tache  &  fans  macule ,  ce  fort 
bâton  de  fleurs  de  Lys  ,  dont  elle  a 
marqué  l'innocence  de  mes  adions  paf- 
fées ,  de  dont  elle  a  honoré  le  zèle  &  la 
fidélité  que  j'ai  toujours  eu  à  fon  fer- 
vice. 

Ce  difcours  achevé ,  il  préfenta  la  Re- 
quête de  récufation  générale  ,  fondée 
fur  les  défams  de  vérifîcaiioB  de  ceit« 


f    ÎO   ) 

Chambre  de  Rueil  en  une  Cour  fouve- 
raine  ,  atrendu  que  celle  de  Verdun  avoir 
été  vérifiée  au  Parlemenr  de  Bourgogne  , 
&  requit  d'y  erre  fait  droit  :  (ur  quoi 
îl  fut  arrête  que  Procès-verbal  feroit  fait 
par  ouatre  de  1j  Compagnie  qui  furenc 
les  fieurs  Paris  Se  FiUemourcé  îv^aîrres 
des  requêtes  ,  Catherine  &  FiotConfeil- 
]ers  de  Dijon,  &  le  lendemain  19.  in- 
terviiu  Arrêt  du  Conieil  ,  par  lequel  il 
fut  débouté  de  la  Requête  de  récufation 
générale  &  de  routes  autres  caufes  de 
récufation  par  lui  propofées  &  à  propo- 
fer  ;  &  fans  y  avoir  égard ,  il  fut  ordon- 
né quil  répondroit,  autrement  qu'il  fe- 
roit pafTé  outre  au  jugement  du  Procès. 
Le  Vendredi  50.  il  fut  derechef 
mandé  à  la  Chambre  ,  où  l'on  commença 
à  l'ouir  &  à  l'interroger  fur  quelques 
chefs  de  foo  accufaricn. 

Le  Samedi  premier  jour  de  Mai  les 
Juges  n'entrèrent  point,  parce  que  c'étole 
la  Fcre  de  fainr  Jacques  Si  fainr  Philip- 
pe,  &  ne  s'aiïemb'erent  que  le  Lundi 
fuivant  3.  du  mois  ,  où  il  fur  encore 
mandé  &  interrogé  ,  comme  il  le  fut 
aufï)  le  lendemain  Mardi  4.  pour  la  der- 
nière fois  :  mais  parce  qu'il  croit  accnfé 
de  pîurieurs  faits,  fur  la  plupart  de fi^Uicls 


on  ne  voulut  pas  rexaminer  à  delfein, 
de  peur  qu'il  ne  juftifiât  foii  innocence, 
comme  il  l'eût  pu  facilement  s'il  en  eût 
eu  le  temps  &:  la  permiffion ,  il  fupplia 
les  Juges  de  ne  point  décider  (on  Procès 
qu'on  ne  l'eût  pleinement  oui  fur  les 
faits  qui  y  écoient  contenus. 

Pendant  6c  depuis  le  temps  que  com- 
mença &  dura  fbn  interrogatoire,  il  fuc 
privé  de  la  communication  de  Ton  Con- 
tbil ,  &  il  ne  lui  fut  pas  permis  de  voir  qui 
que  ce  fut,  encore  qu'en  cette  extrémité 
il  en  eût  plus  de  befoin  que  jamais. 

Le  Mercredi  j.  les  Juges  avant  que 
d'entrer  aux  opinions,  qyi  dévoient  com- 
mencer par  lesfieurs  de  Moricq  Se  Bre- 
tagne Tes  Rapporteurs  ,  firent  une  réca- 
pitulation du  Procès  i  &  comme  depuis 
quelques  jours  le  fieur  du  Châtekt  avoic 
dit  certaines  paroles  qui  faifoient  appa- 
renmient  connoître  que  les  récufations 
qui  avoienc  été  propofées  contre  lui 
éfoient  véritables ,  6c  qu'il  ne  pouvoir 
être  Juge  du  Maréchal ,  cela  donna  fujcc 
à  Ton  Confeil  &  à  Tes  parens ,  de  pré- 
fènter  à  la  Chambre  una  requête  contre 
hii  contenant  ces  nouvelles  caufes  de 
récufarion,  comme  inimitié  publique  ,: 
èii(\t  de  vengeance  contre  le  Maréchal, 

A  7} 


&  Monfieur  de  Mariilac  ci-devant  Gar- 
de des  Sceaux  Ton  frère,  &  aveu  d'avoir 
fait  &  compofé  la  profe  impie  dont  on 
le  foupçonnoic  au  temps  ;  mais  parce 
qu'on  ne  communiquoit  plus  avec  le 
Maréchal ,  &  qu'on  ne  lui  pouvoir  faire 
figner  cette  requête  ,  ceux  de  Ton  Confeil 
s'aviferenc  d'en  préfenter  une  autre  en 
leur  nom,  fignée  d'eux  &  de  deux  de 
ies  plus  proches  parens,  par  laquelle  ils 
demandoient  que  la  précédente  ,  conte- 
nant les  nouvelles  réeufations  contre  le 
iîeur  du  Châtelet ,  fût  portée  au  Mare- 
chai  pour  la  figner  ,  ou  qu'elle  fût  reçue 
en  la  forme  qu^elle  étoic  &  fignée 
d'eux. 

Ces  deux  requêtes  attachées  enfembla 
furent  donc  repréfentées  le  Jeudi  6.  du 
mois  de  Mai  à  l'entrée  de  la  Chambre  , 
&  mifes  entre  les  mains  des  fieurs  de 
Mortcq  de  de  Breuigne  Rapporteurs  du 
Proccs,  qui  en  firent  leur  rapport ,  tous 
les  Juges  en  ayant  éré  avertis  par  les 
parens.  Comme  on  vint  à  opiner  defTus. 
tous  Us  Juges  dirent  qu'enfuite  du 
dernier  Arrêt  rendu  au  Confeil  ,  qui 
avoit  débouté  le  Maréchal  de  Mariilac 
des  réeufations  par  lui  propofces ,  Sa 
îfiûjeflé  avoii  fait  fçavoir  à  la  Gompagi.ic 


que  l'on  n^eut  plus  à  recevoir  cîe  requê- 
tes de  récufation  ,  arrendu  que  par  cette 
>oie  il  ne  tendoit  qu'à  prolonger  &C 
empêcher  la  fin  du  jugement  de  Ton  Pro- 
cès, ôc  par  corjféquenc  qu'elle  ne  pou- 
voit  être  reçue.  D'autres  dirent  que  pour 
délibérer  fur  cette  requête  ,  &  (î  elle 
étoit  admifTible  ou  non  ,  qu'il  étoit  né- 
cefTaire  &  raifonnable  que  le  fieur  du 
Châtelet  s'abftînt  d'y  être  prêtent  &  qu'il 
fe  levât  de  fa  place ,  cela  le  regardant  & 
n'y  devant  aiîîfter.  Le  fieur  du  Châtelet 
infifta  au  contraire,  &  dit  qu'il  ne  pou- 
voit  quitter  fa  place  &  qu'il  n'y  étoit 
point  obligé  ;  fur  quoi  il  y  eut  diverfes 
conteftations ,  &  après  plufieurs  avis  , 
cette  requête  fut  renvoyée  au  Roi  pour 
en  être  délibéré  en  fon  Confeiî  ,  &  le 
même  jour  après  midi  M.  le  Garde  des 
Sceaux  avec  quelques-uns  des  Juges  & 
le  fieur  du  Châtelet  allèrent  à  S.  Ger« 
main  ,  où  le  Roi  ayant  fait  alTembler  ^dxï 
Confeil,  Ui  requête  fut  rapporrée  en  fa 
préfence  par  le  fieur  de  Law^on  Maître 
des  requêtes  qui  avoir  déjà  rapporté 
les  autres  ,  &  ie  fieur  du.  Châtelet  oui 
fur  les  faits  qu'elle  contenoir  j  m.nis  if 
n'y  eue  point  d'Arrêt  donné,  &  à  riffuë 
du  Confeil  le  fieur  du  Châtda   étans 


(  H  ) 
alîé  chez  M.  la  Cardinal ^mw  Exempt  cîef 
Gardes  l'arrêta  &  le  mena  priTonnier  aa 
Châreau  de  Noify  ,  d'où  il  fut  depuis 
conduit  au  Château  de  Tours.  Et  dès- 
lors  le  Roi  commanda  de  pafTer  outre 
au  jugement  du  Procès,  fans  plus  rece- 
voir aucunes  requêtes  de  récufation  ,  aind 
que  Sa  Majefté  l'avoit  déjà  ordonné  par 
fon  dernier  Arrêt. 

Le  Vendredi  7.  les  Juges  entrèrent 
à  la  Chambre  à  5.  heures  &  demie  du 
matin  ,  &  commencèrent  à  ouvrir  les 
opinions  :  les  premiers  furent  celles  des 
deux  Rapporteurs  &  des  fieurs  Prévôt 
d'Herheley  &  Taris  Maîtres  des  requêtes 
qui  lors  tinrent  jufques  à  une  heure  & 
demie  après  midi. 

Le  Samedi  S.  les  Juges  étant  entrés 
dès  les  5.  heures  du  matin,  le  Maréchal 
voyant  qu'on  l'avoit  privé  de  Confeil, 
3I  leur  fît  préfenter  une  requête  par  le 
fîeur  Defreanx  j  qu'il  écrivit  &  figna  de 
fa  main,  par  laquelle  il  demandoit  d'être 
encore  oui  de  nouveau  :  mais  ils  la  re- 
fuferenr  ,  &  continuèrent  à  opiner  juf- 
que  fur  les  cinq  heures  du  foir  qu'ils 
donnèrent  Arrêt  de  condamnation  qui 
Re  paiïa  que  d  une  voix  à  compter  félon 
la  forme  des  Jngemens  criminels  ;^  piree 


(.5> 

cjae  de  vingt-trois  Juges  qu'iîs  étoienfj»> 
il  y  en  eut  treize  qui  opinèrent  à  la 
more,  fçavoir ,  Monlîeur  le  Garde  des- 
Sceaux  y  Billion  y  Lebret  Conieiliers  d'E- 
tat ,  Moricq  y. Paris  j  Prévôi  dJîerbeley 
&  à'ArgenJon  Maîtres  des  requêresj^ott- 
chii  Préfident,  Bretaigne  ^  Catherine  ^, 
Brenegal^  Degaud  &:  /cîcoZ' Confeiliers 
en  Bourgogne  ,  contre  la  plupart  6eÇ- 
quels  il  y  avoir  eu  caufes  de  récufatioa 
propolées,  kc  foûtenues  de  grandes  rai- 
fons ,  même  d'inimitié  ouverte  &  décla» 
rce  long- temps  :  les  autres  dix,  fçavoic 
Mefîîeurs  de  Mefmon  y  Barillon  ,  Villes- 
montée  Maîtres  des  requêtes  ,  Barbin  y, 
Laifné  y  Fiot  ^  Frémiat  y  Bernardon  j^ 
Montijay  &  Machecot  Confei  11ers ,  opi- 
nèrent pour  la  vie,  &  même  à  l'abro- 
lution ,  ou  pour  le  moins  à  peines  fi  lé- 
gères ,  que  tacitenient  elle  ruppofoir 
une  décharge  en  faveur  de  l'acculé. 

Dès  que  les  avis  furent  recueillis  &C 
l'Arrêt  ré'blu  ,  Monfieur  le  Garde  des 
Sceaux  Ht  enr  er  dans  la  Chambre  Picot , 
£xempt  du  Grand  Prévôt  qui  eil  ordi- 
nairement à  (a  r^ire  ,  &  lui  commanda- 
d'aller  à  S.  Germain  pour  en  porre-r  da- 
fa  part  la  nouvelle  au  Roi  ,  &  pouc- 
f^a^Qir  en  quel  lieu  il  défiroic  qiis.  l'eiié.^ 


(  lO 

cution  fe  fit  ,  pour  l'inférer  dans  VAr- 
rêt  ,  où  on  l'avoic  laifTé  en  blanc  ;  & 
après  qu'il  eut  appris  de  S.  M. ,  qu'elle 
vouloir  que  l'exécution  Ce  fît  à  Paris  en 
Place  de  Grève,  il  s'en  retourna  à  Rueil 
incontinent  pour  le  dire  à  Monfieur  le 
Garde  des  Sceaux  ,qui  fit  auffi-rôt  rem- 
plir l'Arrêt  du  lieu  où  l'exécution  fe  de- 
voir faire. 

Ce  jour  là  te  Maréchal  ne  fçut  rien 
de  fon  Arrêt ,  parce  que  dès  le  matin  le 
fîeur  Dtfreaux  avoir  eu  ordre  du  Roi  , , 
par  Lettres  écrites  de  fa  main ,  de  ne 
lai  (Ter  entrer  au  Château  qu'un  homme 
feul  pour  y  apporter  les  vivres  ,  &  fit 
croire  au  Maréchal  que  fes  Juges  n'a- 
voient  pas  achevé  de  juger  fon  Procès, 
&  que  ce  feroit  pour  le  Lundi  enfui- 
vant. 

A  peine  les  parens  avoienr-ils  fçu  que 
TArrêt  étoit  donné  ,  qu'à  l'inftant  ils  s'en 
allèrent  au  galop  à  S.  Germain,  &c  y  ar- 
rivèrent prefqu'aufil  -  tôt  que  Picot 
l'Exempt ,  &  ayant  fait  rencontre  de 
MonHeur  le  Maréchal  de  Scomherg  qui 
(brtoit  du  Château  ,  Tun  d'eux  ,  fçavoir 
le  Baron  à.tVandy yWtvtw  du  Maréchal, 
lui  dit  la  nouvelle  de  l'Arrêt  ,  &  le 
fupplia  ,  comme  celui  qu'il  avoit  îoii- 


(  17  )^ 
)ours  eftimc  lui  être  très-  aifedionné, 
d'intercéder  envers  le  Roi  pour  obtenir 
fa  grâce  &  pour  le  flécKir  à  la  miféri- 
corde  :  à  quoi  Monfieur  de  Scomberg 
reparnr  qu'il  étoic  extrêmement  fâché 
de  cette  condamnation, &  encore  plus 
d'êcre  hors  de  pouvoir  de  les  y  fervir  , 
qu'il  n'avoir  autre  chofe  à  leur  dire  dans 
cette  impuilTànce,  fi  non  qu'ils  s'adref- 
{àflent  au  Roi. 

De  là  ils  furent  trouver  Monfieur  le 
Cardinal  qui  fe  promenoir  dans  les  jar- 
dins du  Château  ,  &  le  fieur  de  Vandy 
J'ayant  approché  &  portant  la  parole  , 
lui  dit  que  le  malheur  de  Monfieur  le 
Maréchal  àe  MarilUc  ayant  été  qu'il  fût 
condamné  à  la  more ,  ils  venoient  le  fup- 
plier  très- humblement  de  les  afîlfter  de 
fa  faveur  &  de  (on  intercefïïon  envers 
le  Roi,  pour  lui  faire  grâce  &  pour  avoir 
pitié  de  lui  ,  qu'ils  s'adreiToient  à  lui 
comme  à  celui  qui  pouvoir  le  plus  fur 
TeTprit  de  Sa  Majefté.  A  ces  paroles, 
Monfieur  le  Cardinal ,  comme  fe  trou- 
vant furpris  de  cette  nouvelle  &  comme 
s*il  neùi  pas  fçu  certainement  de  Picot 
Exempt  ce  qui  étoit  porté  par  l'Arrêt , 
vous  m'apprenea,  M€(Iîeurs>  dit-il,  ce 


que  je  ne  fçavois  pas  ;  ie  fuis  bien  facile 
que  le  Maréchal  de  Marillac  fe  (oit  mis 
en  cet  érat  &  par  fa  faute  ,  voyez  le  Roi , 
il  eft  bon  ;  à  quoi  le  fienr  de  P^andy  ré- 
pliqua, Monfeigneur,  ne  nous  accor- 
derez-vous  pas  la  faveur  d'en  parler  au 
Roi  &  intercéder  pour  Monfieur  le  Ma- 
réchal >  Il  leur  répondit  feulement,  Js 
vous  ai  dit  que  vous  vifliez  îe  Roi. 

Pendant  ce  temps  là  le  (ïeur  de  Bré- 
com  neveu ,  les  Dames  de  Vandy  ôi  de 
Bijcarat  nièces ,  de  faine  Léger  couHne 
du  Maréchal ,  &  quelques  autres  vinrent 
fur  le  foir  de  Rueil  à  S.  Germain,  &  tous 
enlemWe  fe  préfencerent  pour  parler  au 
Roi  à  l'heure  de  fon  fouper;  maisTHuif- 
iîer  de  la  porte  lui  ayant  dit  qn  il  avoit 
ordre  de  ne  point  laifTer  entrer  les  fem- 
mes, il  ne  vonlur  jamais  permettre  qu'el- 
les yentraffènt;  il  n'y  eut  que  les  hom- 
mes qui    eurent   cette   permiflîon  ,   & 
encore  en  petit  nombre  ,  &  comme  ils 
appe'"çurent  îe  Roi  venant  pour  fe  met- 
tre à  table ,  fe  jetterent  à  fes  genoux  la 
larme  à  l'œil,  &  avec  une  contenance 
capible  d'émouvoir  à  la  compafHon  Se 
à  la    pitié ,    lui    demandèrent  grâce  & 
pardon  pour  le  Maréchal  de  Marillac, 


qui  venoit  d'être  condamné  à  mnrr  » 
fuppliant  Sa  Majefté  de  lui  faire  reffentir 
des  effets  de  (a  clémence  en  cette  adion 
de  juftice  ,  &  qu'elle  lui  feroic  paroîrre 
d'autant  plus  grande  ,  qu'elle  lui  rendroic 
la  vie  qui  étoic  maintenant  entre  Tes 
mains  &  qu'il  avoit  tant  de  fois  expofée 
pour  fon  fervice.  Je  verrai  ce  que  j'au- 
rai à  faire ,  dit  le  Roi ,  cependant  re- 
tirez -  vous  :  avec  cetre  réponfe  ils  fe 
retirèrent  obéiiïans  au  commandement 
de  Sa  Majefté ,  &  il  ne  fut  permis  de  dire 
ni  de  rien  faire  le  refte  de  ce  jour. 

Le  lendemain  Dimanche  9.  du  mois 
de  Mai  ,  le  fleur  de  Vandy  avec  les 
autres  parens  ,  furenr  encore  trouver 
Monheur  le  Maréchal  ce  Scoraberg  pour 
le  prier  uns  féconde  fois  de  leur  être 
favorable  ;  mais  ils  le  trouvèrent  fî  peu 
difpofé  à  cela  ,  que  fans  l'importuner 
davantage,  ils  allèrent  chez  Monfieur 
le  Cardinal,  où  avec  de  très-  grandes 
difïicultcs,  à  peine  purent-ils  feule  renc 
fe  gltifer  dans  l'anti-chambre  ,  (î  bien 
qu'il  fembloit  qu*à  defiein  on  eût  mis 
ordre  que  l'entrée  fût  fermée  de  tous 
côtés  j  néanmoins  Monfieur  le  Cardinal 
fortant  pour  aller  chez  le  Roi ,  ils  fe  pfé- 
fenierenc>  &  s'humiliant  &  s'abaiflaas 


(  io  ) 
devant  lui ,  il  leur  dit  d'abord  :  Hé  bien  ; 
Mefîîeurs ,  avez-vous  vu  le  Roi  ?  Le  fîeur 
de  Vandy  lui  ayanc  répondu  qu'oui ,  Hc 
que  Sa  JMajefté  ne  leur  avoit  dit  autre 
chofe ,  finon  qu'elle  aviferoit  à  ce  qu'elle 
auroit  à  faire,  &  cependant  qu'ils/e  re- 
tiraiïenr.  Jevousconfeille,  répliqua  Mon» 
/leur le  Cardinal,  d'obéir  au  Roi.  Et  fur 
ce  qu'un  d'entr'eux ,  nommé  le  fieur 
d'Incaville  lui  dit ,  au  moins ,  Moniteur , 
nous  vous  fupplions  très- humblement 
de  vouloir  en  notre  abfence  intercéder 
envers  le  Roi  pour  Monfieur  de  Maril- 
lac,  &  de  difpofer  Sa  Majefté  à  lui  ac- 
corder Ja  miféricorde  que  nous  vous 
demandons  pour  lui.  Il  leur  répartit  d'un 
ton  aigre  &  comme  en  colère ,  je  vous 
avois  confeillé  de  vous  retirer  puifque 
le  Roi  vous  l'avoit  dit  ,  mais  mainte- 
nant je  vous  le  commande  de  la  part 
du  Roi  ;  &  ainfi  voyant  le  falut  du 
Maréchal  défèfperé,  &  qu'ils  ne  pou- 
voient  obtenir  fa  grâce,  cedans  au  temps 
&  acquiefçans  à  la  volonté  du  Roi,  ils 
revinrent  à  Paris, 

Ce  jour  même  on  donna  l'ordre  au 
fieur  Defreaux  défaire  partir  le  Maré- 
chal le  lendemain  matin  qui  éroii  le 
Lundi  I  o.  de  Mai ,  S>c  on  écrivit  uti 


(il  ) 

ordre  au  Chevalier  du  Guet  pour  l'exé- 
cution de  TArrêt,  avec  des  Lettres  de 
Cachet  envoyées  &  adreflfées  aux  Pré- 
vôts des  Marchands  &  Echevjns  de  la 
ville  de  Paris,  Lieutenans  Civil  &  Cri- 
minel &  Procureur  du  Roi  du  Châtelet 
pour  affirter  à  la  prononciacion  &  exécu- 
tion de  l'Arrêt, 

Le  Dimanche  donc  fur  le  Colr  »  le 
fieur  Defreaiix  dir  au  Maréchal  qu'il 
avoir  commandement  du  Roi  de  le  faire 
partir  le  Lundi  pour  aller  où  il  en  auroic 
l'ordre  de  Sa  Majefté.  Vous  m'aviez 
afîùréjditle  Maréchal ,  que  mon  Procès 
ne  (è  jugeroit  que  demain  ;  mais  pui(^ 
qu'il  faut  partir ,  que  deviendront  mes 
Juges  ?  Il  lui  demanda  enfuice  s'il  le 
menoic  à  la  Baftille  ou  au  Bois  de  Vin- 
cennes.  Je  le  crois ainfi,  repartit  le  fieur 
Defreçiux  ;  ce  qui  donna  fujet  au  Ma- 
réchal de  difpofer  des  le  foir  de  quel- 
ques hardes  inutiles  qu'il  avoit,  &  de 
les  donner  à  diverfes  perfonnes  :il  foupa 
enfuite  &  fe  coucha  fui:  les  1 1.  heures  , 
&  le  lendemain  Lundi  lo.  il  fe  leva  à 
4.  heures  du  matin  &  entendit  la  MeHè 
fur  les  5.  heures.  Quelque  temps  après 
le  fieur  Defreaux  entrant  dans  fa  cham- 
bre le  trouva  qui  çcrivoit  j  &  fitôt  que 


îe  Maréchal  Tapperçut  ,  il  lui  dit  :  Hc 
bien  ,  Monfieur ,  faut-il  partir  ?  j'achève 
mon  teftament  s'il  vous  plaît  le  voir. 

Monfieur ,  vous  avez  encore  demi- 
heure,répondit  ie  (leur  Defreaux ,  je  vous 
confeille  de  déjeuner.  Déjeuner!  repHqua- 
t'il ,  je  fuis  fâché  que  vous  ne  me  l'ayez 
pas  dit  plutôt ,  parce  que  j'eufife  com- 
munié à  la  MefTe ,  &  je  voudrois  bien 
attendre  à  manger  au  lieu  où  nous  al- 
lons. Cela  efl;  incertain  ,  die  le  fieur  Def- 
reaux ^  &  vous  feriez  peut-être  trop  long- 
temps fans  prendre  quelque  chofe  ,  je 
fuis  d'avis  que  vous  déjeuniez.  Il  prie 
un  bouillon  &  mangea  deux  ccufr. 

La  Compagnie  des  Chevaux-légers  du 
Roi  s'étoit  rendue  dès  le  jour  devant 
Rueil  5  d'où  on  le  iît  partit  fur  les  (èpt 
heures  du  matin  &  entrer  dans  le  carollè 
du  Chevalier  du  Guet  oà  trois  de  fes 
Gardes  fe  mirent  avec  lui  ,  les  portiè- 
res du  carofle  abbatues ,  mais  entr'ou- 
vertes  pour  lui  donner  de  l'air.  En  en- 
trant comme  il  apperçut  que  ce  n'étoic 
|)oint  un  carolTe  du  Roi ,  dans  lequel 
on  a  coutume  de  tranfporter  les  prifon- 
niers  d'Etat  d'un  lieu  en  un  autre ,  il 
en  prit  un  mauvais  augure  ,  &  dit  tout 
haut  :  Voilà  qui  va  mal  pour  moi.  Le 


long  cla  chemin  il  pria  Dieu  continuel- 
lement élevant  ion  efpric  &  Tes  yeux  au 
Ciel  &  répétant  à  diverfes  fois  le  Pf.  L. 
Mijerere  mci ,  Deus.  qu'il  fembloit  pro- 
noncer avec  un  grand  fentiment  de  dé- 
votion f  accompagné  d'une  ferveur  ex- 
traordinaire, que  les  Gardes  remarquè- 
rent au  ton  de  la  voix  &  à  fa  conte- 
nance. 

L'ordre  en  marchant  fut  qu'une  partie 
des  Chevaux-légers  alloient  devant  l'ef- 
couade  d'une  Compagnie  du  Régiment 
des  Gardes  qui  le  gardoit  au  Château 
de  Rueil ,  le  carolTe  après  ,  &  derrière 
le  fieur  Defreaux  &  Gargant  Ton  Exempt 
avec  leîrefte  des  Chevaux-légers.  En  cet 
ordre  ils  arrivèrent  au  Roulle  ,  où  les 
attendoient  deux  Compagnies  du  même 
Résiment  des  Gardes  ,  dont  l'une  fe  mit 
autour  &  au  devant  du  carofle  après  la 
première  troupe  de  Chevaux-légers  qui 
marchoit  en  tête,  &  l'autre  Compagnie 
derrière  le  carofTe  ,  avec  la  troupe  de 
Chevaux-légers  qui  venoit  enfuite  ;  & 
continuant  leur  chemin  fans  s'arrêter  , 
ils  vinrent  à  Paris  :  ce  que  le  Maré- 
chal ayant  reconnu ,  il  dit  tout  haut , 
Ç\  Ton  me  menoit  à  la  BafliUe  ou  au 
Bois  de  Vincennes  ,  on  prendroit  le  che- 


îTJÎnde  dehors  la  ville,  mais  Je  vois  bien 
qu'on  me  mené  à  la  Conciergerie  &  de 
]â  en  Crève,  Se  dit  enfuite  les  verfets 
Miferere  m€Î^  Deus^Si  Cor  mundum  créa 
in  me  ,  Deus.  Comme  il  alloit  du  Roulle 
à  Paris,  il  donna  quelques  aumônes  aux 
pauvres  qui  fuivoient  le  caro(Tè  en  fî 
grand  nombre  qu'on  fut  contraint  de 
tes  repoufler  :  arrivant  près  de  la  ville, 
&  le  carofTe  allant  plus  rudement  qu'à 
la  campagne,  voici  beaucoup  de  pavé 
pour  le  chemin  de  la  Baftille  ,  où  fi  l'on 
me  menoit ,  on  auroir  pris  le  long  des 
murs  hors  la  ville.  Etant  entré  par  la 
porte  faint  Honoré ,  &  fe  trouvant  près 
du  logis  de  Monfieur  le  Cardinal,  voilà 
une  mai  Ton  ,  dit-il  en  fe  tournant,  où 
Ton  m'a  bien  promis  des  chofès  que  l'on 
ne  me  tient  pas  auiourd'hui  :  de  la  rue 
faint  Honoré  on  paffa  par  celle  de  la 
Féronnerie  ,  au  bout  de  laouelle ,  ainfî 
qu'on  tournoit  la  tête  des  chevaux  à 
main  droite,  ii  dit  derechef,  fî  nous 
allions  à  la  Baftille  on  tourneroità  gau» 
che ,  mais  je  vois  bien  que  nous  allons 
à  la  Conciergerie  :  palfant  enfuite  dans 
la  rue  des  Lombards ,  &  lorfqu'on  fut 
aubotrt  qui  regarde  vers  faint  Méderic, 
teconnoiflant  qu'on  tournoit  à  la  rue  des 

Arcis  p 


'Ards  ,  je  vols  bien  dit- il  que  nous  quîc- 
ions  le  chemin  de  la  Baftille  pour  pren- 
dre celui  du  Paradis ,  puifque  nous  allons 
à  i'Hotel  de  ville  &C  a  la  Grève. 

Dès  le  matin  on  avoir  tendu  les 
chaînes  des  avenues  qui  conduifoient  à 
la  Grève,  &  la  place  étoic  dès  les  9. 
heures  &  demi  pleine  de  monde  qui  y 
ctoit  accouru  fur  le  bruit  qui  s'ctbit  ré- 
pandu dans  la  ville  que  le  Maréchal  de 
Marillac  y  devoir  erre  exécuté  ce  jour- 
là,  &  dès  la  même  heure  ,  on  avoir  de- 
vant la  barrière  qui  eft:  au  perron  de 
l'entrée  de  la  Mai(on  de  Ville  ,  pofé  un 
corps  de  garde  de  loldats  du  Régiment 
des  Gardes  ,  avec  quelques  Officiers 
pour  les  commander ,  &  en  haye ,  le  long 
de  l'eau  une  Compagnie  deSuiiïes,  les 
autres  trois  cotés  de  la  place  furent  bordés 
des  Compagnies  Françoifes  qui  raccom- 
pagnèrent, ordonnées  pour  (e  trouver  à 
l'exécution. 

Le  Chevalier  du  Guet  y  éroit  déjà 
arrivé  avec  Tes  Archers  ,  &  les  deux 
Pères  Feuillans  deftinés  pour  raflîfter 
ôc  pour  l'exhorter  à  la  mort,  s'y  étoienc 
aufli  rendus  conduits  par  le  fieur  Jacob, 
avec  permiiîîon  de  Monfieur  le  Garde 
des  Sceaux  d'entrer  avec  eux  dans  la 

Recueil  O.  B 


(  z6) 

T^ïaifon  de  Ville  Se  de  parler  au  Maré- 
chal. Leur  entrée  ne  fut  pas  fans  diffi- 
culté Se  jufquesà  ce  qu'on  eut  remarqué 
le  feing  de  M.  le  Garde  des  Sceaux  , 
elle  leur  fut  réfutée.  Les  fieurs  Dupid 
&  Leclerc  Dodeur  de  Sorbonne  y  étoient 
devant  eux ,  mandés  par  le  Chevalier 
du  Guet  pour  le  même  fujet ,  qui  ayant 
apperçu  les  Pères  Feuillans  venus  à 
l'inftance  &  à  îa  demande  des  parens 
furent  fur  le  point  de  s'en  retourner,  fi 
les  Teres  &  le  fieur  Jacob  qui  les  ap- 
perçurent  ne  les  eulTent  prié  de  demeu- 
rer avec  eux  puifqu  ils  étoient  fur  Is  lieu  , 
&  que  la  confolation  que  le  Maréchal  en 
rccevroic  feroic  d'autant  plus  grande 
qu'ils  feroient  plus  de  perfonnes  à  lui 
rendra  ce  dernier  office,  qui  regardoit 
la  conduite  de  Ton  arne  dans  le  Ciel  , 
ils  furent  donc  retenus  &  ayant  acquiefcé 
à  la  prière  qu'on  leur  fit,  de. s'arrêter , 
Ja  perte  de  la  Chambre  où  ils  étoient 
fur  fermée  fur  eux. 

Sur  les  dix  heures  du  matin ,  le  Ma- 
réchal arriva  devant  la  Maifon  de  Ville 
avec  la  Cavalerie  &  l'Infanterie  qui  le 
conduifoient  ,  au  même  ordre  qu'ils 
étoient  partis  du  Roule,  &  entendant 
le  biuic  confus  du  peuple  qui  s'y  étoit 


(    27   )       _ 

tomultuauement  afiembic,  il  die  à  un 
des  Gardes,  je  vous  prie  de  voir  s*il  y 
a  un  échafïaut  drelfé  :  non,  Monlieur, 
repartit-il ,  il  n'y  en  a  point.  Le  carode 
s'étant  arrêté  auprès  de  la  grande  porte, 
la  Cavalerie  s'en  retourna  ,  &  Tlnfan- 
terie  s'alla  ranger  avec  celle  qui  y  étoit 
déjà  pour  garder    la    place   de   Grève. 
Ceux  qui  y  étoient  députes  pour  la  con- 
duite  ayant  fait   faire   place  ,   le   lleur 
Defreaux    mit  pied   à  terre  ,  Se  ayant 
fait  approcher  le  carolTe  conrre  la  bar- 
rière, le  fit  ouvrir  du  cô:é  de  l'Hôtel 
de  Ville   par   un  laquais  qui  abbatit   la 
portière;  on  tendit  enfuite  la  main  au 
Maréchal  qui  d.^fcendit  du  carolfe,  re- 
vêtu de  Ton  manteau  de  deuil  qu'il  por- 
toit  retrouOe  fous  Ton  coude. 

En  defcendant  il  dit  au  fieur  Def- 
reaux en  fouriant  gravement  ,  eft  -  ce 
donc  ici  le  lieu  où  vous  m'aviez  dit 
que  l'on  me  menoit.  On  remarqua  à  fa 
fortie  une  réfolution  pleine  de  généro- 
Ciié  ,  en  Ton  port  &  en  fa  démarche  , 
qu'il  fit  avec  la  même  alTurance  au  milieu 
des  fqldats  5c  des  Gardes  qu'il  avoic  à 
Ces  deux  côtés ,  que  s'il  fut  pafTé  au  tra- 
vers pour  y  porter  les  ordres  du  com- 
bat; il  fut  quelque  temps  à  confidcrer 

B  ij 


f  i8) 

h  place,  le  peuple  qui  y  étoît  ,"  Se  hs 
Compagnies  des  Gardes,  tant  Françoifes 
que  des  Suilfes  qu'on  y  avoit  fait  venir  , 
ëc  en  montant  les  dégrés  de  dehors  pour 
entrer  dans  la  cour ,  tenant  Ton  chapeaa 
à  la  main  droite  ,  &  Tes  Heures  à  la 
main  gauche  ,  il  falua  &  regarda  hu- 
mainement tous  ceux  qui  étoicnt  devant 
ôc  à  côté  de  lui. 

I,e  Chevalier  du  Guet  étoit  derrière 
la  porte  &  au  pied  du  grand  degré ,  qui 
l'attendoit  pour  le  recevoir  ,  &c  ayant 
un  bâton  de  Commandement  à  la  main, 
le  fieur  Defreaux  qui  conduifoit  le  Ma- 
réchal ne  le  voulut  pas  foiifFrir ,  &  lui 
die  qu'il  l'ôtat,  n'ayant  pas  le  pouvoir 
de  le  porter  ou  étoient  les  Gardes  du 
Roi  s  &  en  effet  il  le  lui  ht  lailfer:  du 
degré,  on  conduifit  le  Maréchal  en  une 
des  Chambres  de  derrière  &:  hors  du 
bruit.  El'e  avoit  environ  quelque  ly. 
pieds  fur  18.  nattée  contre  les  murailles 
&  fur  le  carreau,  &  lapifTée  d'une  ra- 
piflTerie  de  haute  lilïè;  contre  une  des 
murailles ,  étoit  une  table  couverte  d'un 
tapis ,  fur  laquelle  il  y  avoit  une  Croix 
de  criQal,  &c  vis-à-vis  pendoit  attaché 
à  la  tapifTerie  un  petit  tableau  du  Cru* 


Dans  cette  Chambre ,  entrèrent  avec: 
lui  les  fieurs  Prévôt  des  Marchands  &c 
Echevins ,  Lieutenant  civil  ôc  criminel  , 
par  ordre  du  Roi  &  fuivant  les  Lettres 
de  Sa  Majefté.  A  peine  le  Maréchal  s'y 
fut- il  repofé  quelque  temps  ,  comme 
pour  refpirer,  que  s'adre^Tant  à  ces  Mef- 
fieurs ,  il  dit  que  c'étoit  chofe  étrange 
de  l'avoir  pourfuivi  comme  on  avoic 
fait ,  ne  s'agilfant  dans  touc  le  procès 
que  de  foin  ,  de  paille  ,  de  pierre  ,  de 
bois  oc  de  chaux  ,  &  qu'il  n'y  avoir  pas 
en  tout  cela  de  quoi  faire  fouetter  ua 
laquais  j  qu'il  y  avoir  40.  ans  qu'il  fer- 
voit  deux  Rois ,  le  premier  deiquels  il 
avoir  fuivi  continuellement  ôc  auprès 
duquel  il  s'étoit  trouvé  en  plufieurs  ficges 
&  combats  ,  à  pied  &c  à  cheval ,  qu'il 
en  portoit  les  marques  honorables,  qui 
faifoient  foi  de  la  vérité  &  de  la  fidélité 
de  fon  courage,  qu'on  les  verroic  loif. 
qu'il  feroit  dépouillé,  qu'il  avoir  encore 
fervi  le  Roi  (on  fils  en  plufieurs  occa- 
fions  importantes  &  périlleufes,  com- 
mandé Tes  armées  avec  fa  fatisfaâiion  , 
témoignée  publiquement  par  la  propre 
bouche  de  Sa  Majefté  en  diverfes  ren-- 
contres;  qu'enfin  il  Tavoit  honoré  ds  U 
charge  de  Maréchal  de  France  ,   qu'il 

B  iij 


^         .  ,   .  (   50    ) 

ûevoit  véritablement  cette  promotion 
glorieufe  à  fa  bonté  £<:  à  fa  libéralité 
Royale  ,  mais  que  fes  fervices  avoienc 
en  quelque  façon  devancé  cette  recon- 
îîoiiïance. 

Qii'en  ces  4©.  années ,  il  s'étoit  bien 
plus  appauvri ,  qu*enrichî  des  biens  de  la 
fortune ,  qu'il  juroic ,  6c  pouvoit  aflfu- 
rément  jurer  en  fa  confcience  qu'il  s'en 
falloir  beaucoup  qu,il  eût  à  préfent  ce 
qu'il  avoir  quant  il  vint  au  fervice  da 
Roi  5  que  comblé  ,  comme  il  étoic  de 
dettes  ôc  de  néccfiité ,  il  n'y  avoir  aucune 
apparence  qu'on  pût  le  convaincre  du 
crime  de  péculat ,  qu'à  la  vérité  il  avoic 
été  obligé  pour  faire  fubfifter  l'armée 
qu'il  avoir  commandée  en  Champagne ,. 
de  faire  quelque  levée  fur  le  peuple  ,. 
parce  qu'autrement  elle  fe  fut  diffipée,, 
&  il  lui  eût  été  impofïîble  de  la  main- 
tenir en  état  ;  mais  qu'il  ctoit  autorifé 
de  bonnes  Lettres  du  Roi  qui  lui  en 
donnoient  le  pouvoir  ,  qu'il  les  avoit 
produires  pour  fa  juftification ,  fans  ce- 
pendant qu'on  y  ait  eu  aucun  égard  ^ 
répétant  à  difl'.'r entes  fois,  pcculat  bon 
Dieu!  Bon  Dieu  péculat! 

Comme  il  continuoit  (on  difcours  ,  le 
fîeur  De/reaux  s'avança  &  l'iiîterrom- 


(31) 
pit,di(ant:  Monlleur  ,  J'ai  ordre  ^ 
commandement  du  Roi  de  vous  lai  (Ter 
ici  entre  les  mains  du  Chevalier  du  Gner. 
Voilà  ,  lui  répondit-il  un  horrible  échan- 
ge, mais  puifqu'il  plaît  au  Roi  il  faut 
obéir ,  fa  volonté  foit  faite.  Le  fient 
Defreaux  dit  enfuite  aux  Gardes ,  Gar- 
des du  Roi,  retirez-vous,  vous  n*avfz 
plus  que  faire  ici.  Alors  les  Gardes  s'ap- 
prochèrent du  Maréchal,  lui  firent  une 
profonde  révérence  ,  prirent  congé  de 
lui  la  larme  à  l'csil  &  le  coeur  Ç\  atten- 
dri &  fi  ferré  de  trifledë  qu'ils  ne 
purenr  prefque  pas  lui  parler.  Adieu  mes 
compagnons,  dit  il  conftamment  &  cour- 
loifement ,  je  vous  remercie  du  foin  & 
de  la  peine  que  vous  avez  prife  pour 
moi.  Après  ce  compliment  ils  fe  reri- 
rerent ,  &  le  fieur  Defreaux  ne  bougea 
de  la  Chambre  :  à  Tinftant  le  Chevalier 
du  Guet  dit  au  Maréchal  l'ordre  qu'il 
avoir  pour  la  prononciation  de  fon  Arrêt , 
&  fit  en  même  temps  entrer  le  fi&ur 
Fillotte  Greffier  de  la  commifîion  pour 
le  lire  ;  le  Maréchal  ayant  demandé  ce 
qu'il  falloir  faire,  le  Chevalier  du  Guet 
lui  dit  que  c'étoit  la  coutume  de  fe  met- 
tre à  genoux  pour  l'entendre,  il  obéir; 
^lais  avant  que  de  s'agenouiller  il  de- 

B  iy 


(  5^  > 

manda  en  fe^recà  faire  de  l'eau  ,  ce  que 
le  Chevalier  du  Guet  ayant  apperçu,il 
le  lui  fît  repérer  &c  demander  tout  haut, 
&  cela  fait,  il  fe  mit  à  genoux  contre 
la  table  ,  ayant  en  face  le  tableau  du 
Crucifix,  où  la  ledure  de  fon  Arrêt  lut 
fut  faite  en  ces  mots. 

Vu  par  la  Chambre  le  procès  e>tra- 
©rdinairement  fait  à  Aleffire  Louis  de 
Mariilcic  Maréchal  de  France  accufé, 
^c.  &  enfuire  Tcnonciarian  de  quantité 
de  pièces,  &  entr'aiitres  les commifîîons 
données  à  fes  Commiffaires  ,  les  Arrêts 
du  Confeiî  donnés  à  Château- Thierry 
&  à  Metz,  qui  calTent  &  annullent  ceux 
de  la  Cour  du  Parlement  de  Paris  &  de 
la  Chambre  de  Verdun ,  les  autres  qui 
l'ont  débouté  de  Tes  caufès  de  récufa- 
lions,  &  comme  il  les  entendoit  énon- 
cer avec  attention,  il  feroit  de  rhonneur 
du  Roi ,  dit- il ,  que  ces  pièces  ne  fufTent 
point  énoncées  la  dedans  pour  les  vio- 
lences &  injudices  qui  ont  été  commifes 
en  exécution.  Et  à  ces  mots,  lui  oui,  & 
interrogé,  &c.  Je  ne  l'ai  pas ,  dit- il,  été 
entièrement, mes  Juges  m'avcicnt  promis 
de  m'entendre  encore  une  fois ,  &  je  leur 
ai  prcfenté  des  Requêtes  à  cette  En,  jnais 


ils  les  ont  rejettées  fans  les  vouloir  coii- 
fîdérer. 

Entendanr  encore  ces  autres  mots ,  H 
efi  duement  atteint  Se  convaincu  du  crime 
de  péculac ,  conçufîîons  ,  contributions 
ik  levées  par  lui  faites  fur  le  peuple  ,  &c. 
il  ne  pur  s'empêcher  de  dire  dans  un 
jurte  relTentimenc ,  cela  efl:  faux ,  je  ne 
le  fus  jamais  ,  un  homme  de  ma  qualité 
accufé  de  péculat  !  &  à  ces  mots,  fes 
biens  acquis  &  confifqués  au  Roi ,  fuc 
iceux  préalablement  pris  la  fomrae  de 
cent  mille  livres  pour  employer  à  la 
reflitution  ,  &c.  mon  bien  ,  dit-il ,  ne  les 
vaut  pas ,  on  aura  bien  de  la  peine  à  les 
trouver. 

La  leifture  de  l'Arrêt  étant  achevée 
en  la  prcience  de  ces  JMeffieurs,  à  qui 
le  Roi  avoic  commandé  d'y  aiïîfter  ôc 
de  plufieurs  autres  perfonnes  de  qualité 
qui  s'étoient  introduits  dans  la  Cham- 
bre ,  pour  obferver  de  quel  front  &c  de 
quel  courage  il  rccevroit  les  nouvelles 
de  (a  mort ,  &:  à  qui  il  lailTa  dans  l'ame 
de  Tadmirarion  pour  ia  confiance,  de 
la  compaîlion  pour  le  déplorable  état 
où  il  étoir  réduit,  &c  de  la  furprife  de 
ce  qu'il  n'étoit  point  étonné  en  une  oC" 
calion  oîî  les  plus  alTurcs  tremblent  Si 

B  V 


(  54  ) 
perdent  radîctte  &  la  fermeté  du  juge-^ 
nient  j  il  baifa  dcvorement  la  Croix  ôc 
dit  avec  une  humble  inclination  de  la 
têre  ;  Mon  Dieu  ,  je  vous  rcfîgne  mon 
ame  ,  mon  corps  e(l  facrifié. 

Ce  fut  alors  que  le  fieur  Defreaux  qui 
avoir  oui  fbn  Arrêt  j  hn  demanda  de  la 
part  du  Roi  dont  il  avoir  mandement  par 
écrit,  le  bâton  de  Maréchal  de  France, 
Mondeur ,  lui  répondit  il ,  je  ne  l'ai  pas 
ici ,  vous  fçavez  bien  qu'il  y  a  dix-huit 
mois  que  je  n'ai  rien  eu  que  vous  n'ayez 
connu ,  je  vois  bien  que  c'eft  une  céré- 
monie qu*il  faut  obferver.  Le  Roi  me  le 
donna  &  m'en  mit  le  pouvoir  enrre  les 
mains  ,  les  ayant  teintes  du  fang  de  fes 
ennemis,  maituenanî  je  le  lui  rends  d'une 
façon  bien  plus  fanglante  ;,  au  moins*, 
dit-il ,  Moiîfîeur ,  vous  avez  entendu  par 
mon  Arrêt,  que  je  ne  (nis  accufé  d'au- 
cun crime  de  Icze-Majefté,  de  félonie > 
ni  de  Jcfervice  contre  le  Roi  &  l'Etat, 
c'eft  cbofe  horrible  d'avoir  trouvé  des 
Juges  qui  m'ayent  condamné,  puifque, 
comme  je  vous  ai  déjà  dit,  il  s'agit  de 
peu  de  chofe  en  tout  mon  procès. 

Il  demanda  enfuire  s'il  ne  pourroic 
pas  avoir  uneMelfe  pour  y  communier, 
attendu  que   toute  cette  ccrcmoaie  fa^ 


nefte  arriva  cîevant  midi  :  Non  Monueur 
cela  ne  le  peut ,  lui  dit  le  Chevalier  du 
Guet ,  je  n'ai  point  charge  de  vous  en 
fciire  enten.lre.  Mon  Dieu,  dic-il,  que 
ne  m'a- 1  on  averti  de  ceci  plutôt  ,  j'y 
eulTe  pourvu  de  bonne  heure ,  j'ai  bien 
du  regret  de  n*avoir  pris  le  Viatique  : 
craignant  qu'on  ne  lui  voulût  tout  re- 
fufetjil  s'enquit  (1  on  ne  lui  accorderojt 
pas  des  C  onfefTeurs  ,  le  Chevalier  du 
Guet  lui  dit,  qu'oui ,  de  qu'il  auroirceux 
que  (es  parens  avoient  demandé  :  il  lui 
dit  enfuire  ,  Monfieur  ,  voila  l'exécuteur. 
Hé  bien,  Mondeur,  que  faut- il  faire 
lui  répartit  le  Maréchal,  regardant  avec 
un  fouris  cet  homme  qui  croit  près  de 
lui  ,  fe  tournant  enfuite  vers  la  compa- 
gnie avec  le  même  vifage,  il  efl:  dit-il 
prefTé  de  faire  fon  crfice ,  Ôc  lui  adref- 
fanc  la  parole  ,  mon  ami,  lui  dit-il  dou- 
cement, faites  ce  que  vous  voudrez  , 
mon  heure  efl:  venue. 

En  même  temps  l'exccurcur  lui  ôta 
fon  manteau  &  fon  chapeau  ,  &  le  vou- 
lant lier,  le  Maréchal  dit  au  Chevalier 
du  Guet,  je  voudrois  bien  avoir  la  per- 
milîîcn  de  n'être  point  lié:  c'eft  l'ordre» 
îui  répartie  l'autre ,  J'en  ai  le  comman- 
ieraent  exprès  dans  ma  poche.  Les  autres 

B  v| 


de  ma  csnJition ,  lui  répliqua  le  Maré- 
chal ne  l'ont  point  été ,  mais  il  faut  ohéic 
jufqu'au  bout ,  Se  préfenrant  les  deux 
mains  à  rExécureur  il  le  lia  ,  mais  com- 
me il  le  (erroit  trop  fort  ,  mon  ami  & 
dit- il  ,  vous  me  fastes  mal,  contentez- 
vous  de  faire  votre  affice,  ce  qui  l'obli- 
gea de  relâcher  un  peu  les  cordes  donc 
il  Tavoit  ferré.  En  cette  pitoyable  poC- 
sure  ,  Te  regardant  lié,  il  dit  comme ea 
fouriaijt ,  je  vous  afTure,  MfOîeurs,  que 
quand  je  me  conlïdére  en  cet  état,  je 
me  fais  prefque  pitié  à  moi-mcme  ,  je 
ne  fçai  li  je  n'en  fais  point  aux  autres, 
Monfieur  le  Chevalier  du  Guet,  ne  vousr 
en  fais-je  point  ,  j'ai  très  grand  regret 
lui  répondit  l'autre  de  vous  voir  réd-iis; 
en  h  mauvais  érar.  Ayez  en  regret  pouc 
ie  Roi  ôc  non  pour  înoi  répondit  le 
Maréchal:  ctiï  pour  vou<>  ,  Monfieur» 
&  non  pour  le  Roi,  lut  dit  le  Cheva- 
lier du  Guet ,  parce  que  le  Roi  ne  faiç 
qu«  jifflice  :.  je  le  fçai  bien  ,  dit  le  Ma- 
réchal,  Se  (uis  très  aOTuré  que  les  inten- 
tions du  Roi  font  bonnes  ,  mais  mes 
ennemis  m'ont  noirci  de  crimes  auprès 
de  lui ,  dont  je  n'ai  jamais  été  coupable 
ni  capable  :  Dieu  le  fçair ,  Se  m'en  eft 
lémoiiis  ils  aux  abufé  de  l'autorité  4« 


(  Î7  > 
Ton  nom  Se  de  fa  bonré  pour  me  mettre 
&  pour  me  réduire  an  point  ou  je  fuis. 
Je  leur  pardonne  de  tout  mon  coeur  ; 
la  mort  qu'ils  me  font  foiiffrir,  j'avoue 
à  ma  confulîon ,  l'avoir  bien  mérité  de- 
vant le  Tribunal  de  Dieu  pour  mes  pé- 
chés. Mais  à  conFeiler  ingénument  le 
vrai  en  un  état  où  je  ne  voudrois ,  ôc  ne 
dois  mentir  ^e  ne  l'ai  pas  méritée  devant 
les  hommes  pour  les  crimes  dont  on 
m'accufe  ,  ôc  je  fuis  obligé  de  le  dire 
pour  publier,  &:  faire  connoître  mon 
innocence;  cette  raifon  efl:  bien  juRe  &: 
cerre  défenfe,  ce  me  femble,  naturelle. 
Sur  cela  v.n  des  Echevins  fut  à  la  cham- 
bre ,  ou  l'on  avoir  enfermé  ceux  qui  le 
dévoient  conroler,qui  étoient:  les  Pères 
D.  Euftache  de  faint  Paul ,  affiftant  du 
Général  de  TOttire  des  Feuillans  ,  & 
D.  Jean  de  fainte  Marte  Prieur  de  leur 
Monaftère  à  Paris,  &  les  fieurs  DnpuI 
&.'  Leclerc  Dofftenrs  de  Sorbonne.  Il  prie 
avec  lui  les  deux.  Pères  Feuillans ,  &  les 
mena  à  la  chambre  où  croit  le  Ma- 
rcchal ,  qu'ils  Trouvèrent  lié  fans  man- 
teau &  fans  chapeau.  Auûfi-tôt  qu'ils, 
eurent  mis  le  pied  dans  la  chambre  ,  le 
Maréchal  appercevant  le  Pcre  D.  Eufta- 
che  qu'il  com:iQi(Tbi:  de  Icngue-rnain  ? 


s'avança  trois  ou  quatre  pas  vers  le  com- 
de  la  chambre  où  il  étoit,  &:  s'abailTant 
pour  le  faluer,  lui  dit,  mon  Père,  vous 
me  voyez  en  un  état  ou  j'ai  bon  befoin 
de  votre  affiftance  &  de  votre  confo- 
lation  ,  cela  dit  il  le  prit  par  la  main  8c 
fe  mit  au  Heu  d'où  il  étoit  parti. 

Et  après  avoir  quelque  tems  conféré 
avec  lui,  il  préfenta  Ton  trament  qu'il 
tenait  à  la  main ,  6c  demanda  qu'on  fit 
venir  des  témoins  pour  y  figner  :  Le 
Chevalier  du  Guet  s*approchanr  le  lui 
refufa ,  &  lui  offrit  cependant  de  faire 
retenir  par  le  Greffier  telle  déclaration 
qu'il  voudroit  faire  &  même  qu'il  pré- 
fenreroit  Ton  reftament  s'il  le  lui  vouîoïc 
donner.  Le  Maréchal  répondit  qu'il  le 
vouloir  mettre  entre  les  mains  de  Ton 
Ccnfedeur,  &  qu'en  le  confiant  à  d'au- 
îres  perfonnes  ,  il  n'étoit  pas  fur  qu'il 
fût  confervé  ;  il  y  eut  far  ce  fujet  une 
petite  conreftation  entre  eux  deux.  Le 
Maréchal  ne  voulant  remettre  Ton  tefta- 
ment  qu'entre  les  mains  de  Ton  Confef^ 
leur ,  &  le  Chevalier  du  Guet  au  con- 
traire le  dcpofer  es  mains  du  Greffier: 
enfin  le  Chevalier  du  Guet  dit  qu'il  ne 
permetrroir  point  autre  chofe ,  que  de.? 
perfonnes  dans  un  pareil  état  que  celui 


où  \\  étoit  ne  pouvoieiit  faire  de  rclra- 
ment  que  fons  le  bon  phiifir  du  Roi  & 
nue  s'il  ctoic  dans  ce  delTcin ,  qu'il  fal- 
loir le  délivrer  au  Greffier  qui  Te  char- 
geroit  de  le  lui  préfemer  de  fa  parr.  ^ 
Le  Maréchal  voyanr  qu'il  falloir  cé- 
der à  la  nécedité  jetra  fon  reftamenr  iur 
la  rable  en  difanr ,  que  le  Greffier  vien- 
ne donc  pour  le  prendre  ,  je  ne  (cavois  pas 
la  coûrume:  il  eft  bien  vrai  pourrane 
que  je  l'avois  fair  auparavanr ,  &  com- 
mencé à  fainre  Ménéhoud  &  à  Verdun  > 
mais  je  ne  l'ai  achevé  que  ce  matin  à 
Rueil,  d'où  il  eft  datte. 

Pendant  tout  ce  difcours,  l'Exécuteur 
croit  à  l'enrour  de  lui ,  &  dans  la  con- 
fiance où  il  étoit  qu'il  eût  fur  lui  quel- 
que ehofe  de  valeur  ,  il  lui  répétoit  fans 
ce(^e  de  le  lui  donner  à  garder  ,  que 
c étoit  la  coutume  de  le  lui  rcnuttre en- 
tre les  mr.ins,  &  qu'il  le  conferveroir 
bien  ,  &  quoi  qu'il  redit  ces  paroles 
avec  beaucoup  d'importunité  ,  jufques 
même  à  interrompre  (en  difcours ,  jamais 
cependant  ce  Maréchal  ne  lui  dit  unfeui 
mot  &  ne  lui  témoigna  aucun  ligne 
d'impatience. 

Après  cela  il  reprit  te  Père  D.  Eufta- 
che  pour  s'aiTeoir  avec  luij  tous   ceùs 


tjui  croient  près  &  à  l'entour  de  îui 
s'éloignèrent  un  peu  &  fe  rangèrent 
dans  un  coin  de  la  chambre,  comme 
Taurre  Père  Feuillant  vit  que  les  (iéges 
fiir  lefquels  ils  s'ailéoient  n'étoieni  que 
des  fcabaux,  &  qu'il  y  avoir  de  l'autre 
côté  de  la  table  une  chaife  à  bras  il 
s'avança  pour  la  lui  préfenter  ,  mais  le 
Maréchal  l'ayant  apperçu  s'approcha  de 
lui,  &  lui  mettant  la  main  fur  le  bras, 
je  vous  prie  ,  dit-il ,  mon  Père ,  de  ne 
pas  prendre  cette  peine.  Je  ne  fuis  pas 
en  état  de  fonger  à  ces  chofes-là,  ni 
où  il  me  faille  traiter  de  cérémonie. 
S'érant  aflls ,  il  s'entretint  environ  demi 
quart  d'heure  avec  le  Père  D.  Euftache, 
&  fe  iriit  cnfuite  à  genoux  ayant  le 
vifage  contre  ,  &  joignant  îa  tapilTerie 
&  (e  confefTa  au  même   Père. 

Il  fit  fa  confefîicn  avec  un  grand  fen- 
liment  de  dévotion  ,  comme  on  en  pou- 
voit  juger  de  fa  voix  qu'on  enrendoic 
par  toute  la  chambre  (ans  néanmoins 
qu'on  pût  diftinguer  ce  qu'il  difoitielle 
dura  près  d'un  quart  d'heure  ,  &  dans 
cette  confeflîon  ,  il  fit  une  revue  générale 
des  choies  les  plus  importantes  de  fa  vie:» 
La  confeflîon  finie  ,  le  Père  D.  Eufta- 
che fe  retira  pour  îe  laiOer  accomplir  fai 


,(4i  ) 
pénitence  ,  &:  s'approchant  de  Tautré 
Père  Feuillant  &  des  deux  Dofbeurs  de 
la  Sorbonne  qui  étoient  entres  dans  la 
chambre  pendant  que  le  Maréchal  fc 
confefToit ,  il  leur  dit,  qu'il  leur  vouloit 
faire  part  de  la  confolation  Se  du  con- 
tentement qu'il  avoit  reçu  en  la  con- 
fefîîon  qu'il  venoit  d'enrendre ,  qu'on 
ne  pouvoir  fouhairer  un  plus  grand  cal- 
me d'efprir  ,  plus  de  confiance  &  de 
rcfolution  à  foufirir  la  mort ,  ni  plus 
de  réfignation  à  la  volonté  divine  }  mais 
fur- tout  qu'il  n'avoir  jamais  connu  une 
ame  plus  pleine  d'ardente  ,  &  de  vive 
charité  envers  Ces  ennemis. 

Comme  ils  s'entretenoient  fur  ce  ^- 
jet ,  le  Maréchal  (e  leva,  ayant  achevé 
fâ  pénitence  &  fe  tournant  vers  ceux 
qui  étoient  dans  la  chambre,  les  envi- 
fagea  tous  fixement  :  alors  le  Père  D, 
Euftache  l'abordant,  lui  préfenta  le  (îeur 
Leclerc i  Se  lui  dit,  que  c'étoit  un  des 
plus  anciens  Do(fl:eurs  de  la  Sorbonne 
qui  étoit  venu  pour  le  confoler  ;  il  le 
remercia  de  fa.  peine,  &  en  lui  faifanc 
compliment ,  lui  témoigna  qu'il  lui  étoic 
très -obligé,  il  en  die  autant  au  fieur 
Dupuy  ,  enfuite  le  même  Père  D.  EuC- 
tache  lui  fit  connoîire  le  Père  Prieur 


(  4^  ) 
de  leur  Couvent  de  Paris  qui  l'accom-* 

pagnoit,&  qui  s'approchant  lui  dit  qu'il 
avoit  toujours  fait  prier  Dieu  fort  foi- 
gneufement  pour  lui  dans  leur  maifon  \ 
depuis  qu'il  en  étoit  Supérieur  ,  &  que 
ce  jour ,  en  forçant  le  marin  du  Monaf- 
tère  pour  le  venir  affifter ,  il  avoit  donné 
ordre  que  toutes  les  Melfes  fulTent  cé- 
lébrées à  fon  intention  ,  afin  qu'il  plût 
à  Dieu  de  fortifier  fon  efprir.  J'ai  tou- 
jours cru  répondit  le  Maréchal ,  que  tous 
vos  Pères  me  vculoient  du  bien  ,  aufîî 
n'avez  vous  jamais  été  trompés  en  m'ai- 
mant ,  &  alTurez-vous  que  routes  mes 
affedions  vous  étoient  entièrement  ac- 
quifes. 

Après  lui  avoir  rendu  ce  témoignage 
d'amitié  pour  fa  maifon,  il  s'aiïit  &  les 
deux  Doéteurs  de  Sorbonne  avec  les 
deux  Pères  FeuiiUns  autour  de  lui ,  8c 
pour  entrer  en  conférence ,  à  peine  lui 
eurent- ils  parlé  de  fes  ennemis,  quii 
témoigna  franciKnient  qu'il  leur  par*» 
donnoit  de  bon  coeur;  ce  n'efl:  pas  tout 
lui  dit  un  des  Pères  FeuiUans,  vous  de- 
vez rendre  vorre  diU^clion  pour  eux  (i 
enibraffe  qu'elle  puille  mcme  ctoulîec 
dans  votre  cœur  les  fentimens  de  haine 
qui  y  pourront  naître î  vous  touchez- là. 


(4?   ) 
luî  repartît  le  Maréchal ,  en  Ce  tonrnanC 
vers  lui,  un  point  qui  efl:  bien  délicat, 
j'eftime  que  n'avoir  point  de  fentiment 
des  mauvais  offices  qu'on  nous  rend  ,  eft 
une  perfedion  plus  qu'humaine,    &   il 
ne  faut  point  s'etônner  fi  je  ne  la  pof- 
féde  pas  ,  grand  pécheur  que  je  fuis  , 
&  toutefois  p.ir  la  grâce   de  Dieu,  je 
me  fens  aflez  fort  pour  ne   point  con- 
fentir  à  aucun  mouvement  de  vengeance 
qui  pourroit  s'clever  dans  mon  ame  i 
quelque  temps  après  ,  l'ayant  mis  fur  ce 
même  difcours,  il  protefta  que  dès  les 
premiers  jours  de  fa  prifon  il  avoit  fait 
une  ferme  réfolution  de  ne  témoigner 
jamais  aucun  refTentiment  ni  de  fait  ni 
de  parole  à  qui   que  ce  fat  qui  lui  eûc 
fait  du  mal ,  qaand  bien  même  Tes  affai- 
res enflent  réufïi  heureufement  6c  à  Ton 
fouhait  &  qu'il  en  auroit  eu  le  moyen  j 
qu'au  commencement  de   Ton  affaire  , 
attendu  la  malice  du   temps  ,    il    avoit 
bien  prévu  qu'il  y   devoit  périr ,  mais 
que  cependant ,  lorfqu'il  jettoit  les  yeux 
fur  la  conduite  de   fa  vie  ,  l'innocence 
de  Tes  aiflions  lui  en  faifoit  efpérec  un 
bon  fuccès.  Qiie  H  pendant  le  temps  où 
ïi  lui  leftoit  un  peu  d'efpcrance  de  rer 


(44) 
venir  en  un  état,  auquel,  s'il  vouloîtr 
il  pourroit  nuire  un  jour  à  Ces  ennemis, 
il  leur  avoir  néanmoins  pardonné  de 
Don  cœur  &c  avoir  prié  Dieu  de  le  con- 
firmer dans  ce  fentimenr ,  il  n'y  avoic 
point  d'apparence  qu'en  l'état  où  il  étoit , 
(  en  montrant  pitoyablement  Tes  mains 
liées }  &  oii  il  ne  pouvoit  nuire  &  ofFen- 
fer  perfonne  que  foi  même ,  mettant  eii 
doute  fonfalut,  par  un  appétit  humain 
de  vengeance  ,  il  voulut  le  nourrir  ÔC 
fomenter  dans  fon  cœur. 

Il  faut  remarquer  qu'en  tour  ce  diC- 
cours,  il  ne  Ce  confclla  jamais  coupa- 
ble 5  tout  ce  qu'il  dit  approchant  le  plus 
de  cela,  ce  fut  quand  il  confelTa  à  ceux 
qui  le  confbloient  ,  qu'il  croyoit  s'être 
défendu  avec  trop  de  fierté  &  d'aduran- 
ce ,  fur  l'opinion  qu'il  avoir  de  fon  in- 
nocence, &  maintenant  que  les  Juges 
en  avoient  eu  une  opinion  contraire  , 
qu'il  avoir  quelque  fcrupu!e,qui  toute- 
fois ne  lui  faifoit  point  de  peine,  qu'en- 
tant qu'il  n'auroit  pas  été  alTez  rclîgné 
à  fubir  le  jugement  des  hommes. 

Sa  confiance  &  fa  fermeté  en  fes  pa- 
roles ÔC  dernières  actions  fut  toujours 
très-grande,  mais  tellement  accoinpa- 


gnec  d  humilité  &  de  modeftie  chrétien- 
ne ,  qu'il  eût  été  bien  mal  aifé  de  juger 
qui  paroifToit  plus  grand  en  lui ,  ou  fon 
courage,  ou  fa  modération}  elle  fe  re- 
marqua finguliérement,  en  ce  qu'il  ne 
parla  jamais  en  particulier  d'aucun  de 
ceux  qu'il  avoir  rout  lieu  de  foupçonner 
Tes  ennemis,  ceux  qui  l'afllltoienc,  évi- 
toient  auiîi  de  lui  en  parler  :  il  tomba 
de  lui-même  par  occafion  fur  la  perfonne 
du  Roi ,  &  étant  enquis  s'il  n'avoir  point 
eu  d'averfion  contre  lui ,  il  prorefta  for- 
tement qu'il  n'avoir  jamais  eu  le  moin- 
dre mouvement  d'indignation  contre  Sa 
Majefté  ,  qu'au  contraire  il  l'avoir  tou- 
jours aimé  avec  des  tendrelTes  qui  ne  fe 
pouvoient  exprimer ,  &  que  pour  fon 
fervice  il  avoir  eu  des  paffions  fi  fortes, 
qu'elles  lui  avoient  fait  oublier  toutes 
chofes  &  bien  fouvenc  ce  qu'il  dévoie 
à  Dieu. 

Sa  foi  en  fuite  de  fa  modeftie  èc  de 
fa  confiance  fut  extraordinaire  ,  pour 
preuve  de  quoi ,  il  proteHa  que  s'il  pou- 
voit  racheter  non-feulement  fa  vie,  mais 
milie  vies,  en  fe  déportant  de  la  moin- 
dre petite  chofe  qui  fut  de  la  créance 
de  l'Eglife  Catholique,  qu'il  ne  les  vou- 
droit  pas'  à  cette  condition  ,  qu'il  pré- 


(  46  ) 
fumoit  affez  de  force  en  Ton  efprit  pour 
en  faire  l'expérience  ,  &  qae  s'il  Ce  trou- 
voitdans  l'occafion,  il  s'alTuroit  ôc  croyoit 
fermement  que  les  grâces  du  Ciel  ne 
lui  manqueroient  poinc  en  cette  ren- 
contre. 

Cette  foi  fut  accompagnée  d'une  con- 
fiance filiale  en  Dieu,  &  d'une  réfigna- 
tion  admirable  en  (es  fainres  volontés: 
quand  je  nie  confidére  ,  difoic-ii  en  l'état 
ou  je  luis ,  &  quand  je  penfe  à  ce  qui 
fe  doit  pafler  aujourd'hui  fur  moi  ,  je 
dis  en  moi-même,  que  Dieu  me  veut 
fauver  ,  car  fi  j'examine  ma  vie  ,  je  fçai 
bien  que  devant  la  juftice  divine,  je  fuis 
grandement  criminel ,  &  que  je  mérite 
mille  fupplices  ,  mais  fi  je  regarde  la 
Juftice  temporelle  ,  je  ne  crois  poinc 
mériter  la  mort  ',  que  fi  je  jette  ma  vue 
fur  les  raifons  de  l'Etat  ,  je  ne  vois  poinc 
de  fujet  non  plus  pour  lequel  je  dois 
mourir,  tellement  que  ne  trouvant  poinc 
de  raifon  ny  en  apparence  ny  en  effet 
pour  perdre  la  vie,  je  ne  le  puis  rap- 
porter qu'à  un  foin  particulier  que  Dieu 
a  de  me  fauver  parce  moyen -là  ,  8c 
mcme  je  ne  fçai  point  Ci  en  l'état  où  je 
me  trouve  ,  une  grnce  me  feroit  utile  •, 
la  voudricz-vous  bien  ,  Ivionfkur ,  fi  on 


C47  ) 

vous  l'offroît ,  lui  demanda  im  des  DoC"  • 
fenrs;  le  defir  de  vivre  eft  bien  humain  , 
Un  reparcit-il  en  fouriant,  mais  l'atten- 
dez-vous  lui  répliqua  i'aurre  :  hélas  non  , 
hélas  non  5  die- il  trois  ou  quatre  fois 
en  levant  les  mains  &:  haulîànt  les  épau- 
les. 

Pendant  ces  colloques  mutuels  ,  on 
iui  demanda  s'il  fenroit  des  conlolations 
&  des  douceurs  intérieures  daiTS  fon 
ame,ildic  qu'oui,  Se  plus  grandes  qu'il 
ne  pouvoit  dire ,  de  néanmoins  ,  non- 
obftant  tout  cela,  difoit-  il  &  quelque 
calme  qui  paroiiïe  en  mon  vifage,  je 
ne  lailTe  pas  de  refTentir  de  grandes  vio- 
lences dans  mon  efprit  :  ma  condition 
eO:  bien  différente  de  celle  d'un  homme 
qui  s'en  va  hardiment  à  un  combat , 
Ton  delTein  n'efl:  pas  de  recevoir  la  mort 
mais  bien  de  la  donner  ,  de  tel  qui 
fenible  y  aller  gayement  &  plein  de 
réfolution  ,  s'il  étoit  aduré  de  n'en  reve- 
nir pas ,  fongeroit  bien  avant  &  atten- 
tivement à  ce  qu'il  auroit  à  faire 
quelque  générofité  qu'il  eut  ;  outre  cela  , 
l'ardeur  du  defir  d'honneur  &  de  gloire 
qui  échauffe  le  cœur  d'un  homme  bien 
rc  ,  efl  un  puiflant  charme  &  un  fort 
divercifien;ei:t  pour  détourner  la  penfée 


(45) 
3e  la  ptéfence  du  péril.  J'ai  eu  la  mort 
bien  fouvent  préfenre  à  mes  yeux  ,  mais 
jamais  cercainement  comme  aujourd'hui  : 
Ce  n'eft  pourtant  pas  ce  qui  frappe  mon 
efprit  ,  d'autant  qu'à  bien  confidcrer 
cehe  mort,  ce  n'eft  qu'un  vent  d'acier, 
mais  quant  je  Fais  réflexion  à  la  façon 
ôc  à  l'ignominie  qui  l'accompagne  ,  il  efl: 
vrai  que  j'en  fuis  extrêmement  combat- 
tu '  Dieu  m'a  fait  la  grâce  d'être  d'une 
famille ,  dont  tous  ceux  qui  font  fortis 
devant  moi  ont  augmenté  l'honneur,  Se 
maintenant  j'ai  un  extrême  regret  qu'il 
femble  qu'elle  foit  flétrie  en  ma  perfonne  ; 
cette  penfée  rendroit  ma  condition  bien 
déplorable  ,  (î  l'efpérance  d'une  meilleure 
vie  où  l'opprobre  me  conduit ,  ne  me 
la  rendoit  (upportable. 

Comme  il  vint  à  parler  des  incom- 
fnodités  de  fa  prifon  ,  je  vous  allure  > 
dit-il  ,  que  ce  que  je  fouffre  préfente- 
ment,  en  montrant  fes  mains  liées,  & 
ce  que  je  dois  fouffrir  aujourd'hui ,  ne 
m'efl  pas  plus  fâcheux  &c  plus  fenfible 
que  ce  que  j'ai  enduré  dans  la  pri(on, 
car  l'on  m'a  tant  tourmenté.  Le  fleur 
Dufuy  l'interrompant  alors  ,  lui  dit , 
tout  cela  Monfleur  n*eft-il  pas  au  de  flou  s 
de  ces  péchés?  Combien  y  a-cil   de 

perfonnes 


^erfonnes  plus  innocentes   que    vous  » 
(  ce  que  je  dis  pourtant  fans  vous  accu- 
ser ),  qui  fouffrent  des  fupplices  bien  plus 
ignominieux  que  le  votre.  Je  l'avoue, 
lui  dit-il  en  hauffant  un  peu  Tes  miins , 
&  en  tout  ce  que  j'ai  dit,  je  n'ai  point 
prétendu  me   iuftifier  devant    la  juftice 
de  Dieu ,  en  la  préfence  de  qui  je  me 
reconnois  coupable  &:  très  -  grand   pé- 
cheur, ôc  vous  prie  de  m'ai.îer  tous  par 
vos  prières,  à  lui  en   faire  une  dsgne 
fatisfaftion  ,  ce  qu'il  dit  en  (e  tournant, 
aux  Pères  Feuillans  &  aux  Docteurs  qui 
le  confoloient,  à  qui  il  tcmoif^na  être 
fort   obligé  ,   &    remercia  Dieu    avec 
grande   tendrefTe   &   fentiment ,   de  la 
grâce  qu'il  lui  avoic  faite  de  les  lui  en- 
voyer pour  Taûlfter  ;  je  refîens  dit- il, 
d'autant  plus  ce  bien ,   que   ce  matin  , 
aptes  la  lecture  de  mon  Arrêt,  j'avois 
appréhendé  de  mourir  fans  erre  confolé , 
j'ai  demandé  à  être  communié  Se  on  me 
l'a  refufé ,  &  même  je  n'ai  pu  obtenii: 
d'ouir  la  Melfe.  J'ai  été    urpris,  &  vous 
aOTure  que  fans  cela,  j'eulTe  prévu  à  mes 
affaires  ,  &   me  fuiïe    muni    du    Saint 
Sacrement ,  mes  juges  m'avoient  pro- 
mis de  m'ouir  encore  une  fois  :  il  ap- 
pelloit  furprife  de   n'avoir  point  com- 
Recuàl  O.  C 


munie  ce  jour-là ,  ou  le  jour  d'aupara- 
vant, encore  qu'il  n'y  eût  pas  long-» 
temps  qu'il  fe  fut  acquitté  de  ce  faint  de- 
voir. 

Cela  lui  donna  fujet  de  demander 
pourquoi  l'on  refufoit  le  Saint  Sacre- 
ment aux  perfonnes  condamnées ,  &  aux 
Docteurs  de  fatisfaire  à  fa  demande  ,  ce 
qu'ils  firent  &  ce  dont  il  fe  contenta  : 
il  fe  préfenta  plufieurs  fois  occafion  de 
témoigner  fa  repentance  d'avoir  ofFenfé 
Dieu ,  qu'il  fignala  par  différens  aâ:es 
de  contrition,  difant  qu'il  avoit  un  ex- 
trême dcplaifir  d*avoir  été  fi  peu  fidèle 
à  Dieu ,  de  qui  il  a  toujours  reçu  des 
grâces  très-parriculicres  :  &c  même  dans 
mes  plus  grandes  libertés  ,  j'ai  fouvent 
reflfenti  de  bons  m.ouvemens  dans  mon 
cœur,  qui  m'avertilToient  preffammenc 
&  puifTamment  de  revenir  à  Dieu  de  qui 
je  m'cloignois  ,  &  à  cette  occafion  il 
demanda  à  ceux  qui  l'afîîftoient  com- 
ment (e  faifoit  la  juftification  du  pécheur  , 
ôc  s'il  étoit  poilible  qu'un  homme  en- 
nemi de  Dieu  pût  pafTer  en  un  inftaut 
du  péché  à  la  grâce. 

Pendant  qu'on  traitoit  cette  matière  ; 
j'avois  ,  dit-il ,  réfolu  fi  mes  affaires  euC- 
iènt  eu  bonne  iduc,  de  donner  du  pied 


au  monde  ,  avec  ferme  dciTein  de  ne 
plus  m'y  embarraffer.  Mais  puifque  je 
n'ai  plus  qu'à  (ônger  à  mes  péchés  poiic 
employer  tout  mon  temps  à  faire  péni- 
tence. Prenez  ceci  ,  Monfieur,  lui  die 
un  des  Dofteurs  pour  votre  pénitence, 
il  Ce  prit  à  foufrire  &  lui  dr,  je  ne 
Tentendois  pas  comme  cela,  Monfieur, 
&  après  ceux  qui  le  confoloienc  étant 
tombés  fur  quelque  point  de  la  Loi  de 
Dieu,  doni  la  pratique  efl:  difficile,  il 
répondit  le  demi  vers  du  Pcète  ,  Hoc 
opus  hic  lahor  e(î. 

Le  fieur  Dupuy  l'avertie,  s'il  avoic 
dévotion  d'être  enterré  en  quelqu'en- 
droit  particulier  &:  dérerminé ,  qu'il  le 
demandât  ,  &  qu'on  le  lui  accorderoit, 
je  ferois  bien  aife,  dit-il  d'être  enterré 
avec  feue  ma  pauvre  femme  :  fur  cela 
les  Pères  Feuillans  qui  avoienc  (c\x  du 
fieur  Jacob,  par  qui  ils  avoient  été  con- 
duits à  la  Maifon  de  Ville ,  que  Mon- 
fieur le  Garde  des  Sceaux  ,  lui  avoic 
donné  le  corps  pour  le  faire  enterrer  oii 
il  voudroit ,  lui  dirent  qu'il  ne  fe  mit  pas 
en  peine  de  cela  &  que  le  fieur  Jacob 
avoit  demandé  fon  corps,  qu'on  lui  avoic 
accordé ,  &   que  le  choix  qu'on  avoic 

C  ij 


(fl  ) 

fait  du  lieu  ou  ils  le  vouloient  enterrer  i 
étoit  conforme  au  deflein  qu'il  avoit  : 
J'ai  dit-il  enfuite  ,  une  nièce  Carmeline 
à  Pontoife,  qui  a  eu  le  cœur  de  feue 
ma  femme,  je  voudrois  bien  qu'on  lui 
donnât  le  mien  pour  le  faire  enterrer 
auprès. 

On  ne  peut  exprimer  combien  il  té- 
moigna de  tendreHTe  ôc  d'affecStion  en-!- 
vers  feue  la  Dame  Maréchallefa  femme, 
je  fens,  dit-il,  de  très  grandes  douceurs, 
&  une  confolation  indicible  dans  l'ef^ 
pérance  que  j'ai  de  la  voir  aujourd'hui  ; 
&  en  di(ant  cela  il  s'attendrit ,  de  forte 
qu*on  lui  vit  couler  des  larmes  le  long 
du  vifag?  ;  il  demanda  enfuite  Ci  on  fe 
reconnoitToJt  en  l'autre  vie ,  &  fi  les  bien- 
heureux ont  du  ccntenteinent  de  voir, 
que  ceux  qu'ils  ont  aimé  en  cette  vie 
poffédent  le  même  bonheur  Se  la  même 
fjliciré  dont  ils  jouilTent,  à  quoi  on  lui 
répondit  auffi  -  tôt  :  il  rendit  le  même 
témoignage  d'amitié  particulière  à  Mon- 
lieur  le  Garde  des  Sceaux  de  Marillac 
&  pria  ceux  qui  l'affiftoient  ,  fi  jamais 
Toccafion  s'en  prèfentoit  ,  de  lui  faire 
fçavoir  qu'il  s'ètoit  fouvenu  de  lui. 

Il  avoit  autrefois  recherché  en  mariage 


.un 

la  Mère  Prieure  des  Feuillantines  da 
Paris  «  depuis  qu'elle  efl:  veuve  de  feu 
Monfieur  de  Kofny  frère  puifné  de 
Monfieur  de  Suilly  êc  comme  pendant 
fa  recherche  elle  a  pris  réfolution  de  fe 
Retirer  du  monde  pour  Ce  rendre  Feuil- 
lantine, il  l'accompagna  jufques  à  Ton- 
loufe  ,  où  elle  fut  prendre  l'habit  de 
Religion  :  en  fe  féparant  elle  lui  donna 
un  petit  reliquaire  de  cuivre  ,  où  il  y 
avoit  quelques  Reliques ,  il  pria  ceux 
qui  l'alTiftoient  de  le  vouloir  prendre 
après  fa  mort ,  &  le  rendre  à  celle  de 
qui  il  le  tenoit ,  la  conjurant  de  fa  parc 
de  fé  fonvenir  de  lui  en  fes  prières. 

A  ce  mot  de  Reliques ,  le  S.  Dupuy 
lui  confeilla  de  les  ôter  de  bonne  heure 
de  delTus  foi  ,  de  peur  qu'après  fà  more 
Ton  y  commît  des  irrévérences  j  quel- 
qu'un Je  la  compagnie  repartit  ,  que 
puifqu'il  tcmoignoit  défirer  les  avoir  fur 
loi ,  quant  il  mourrcit ,  qu'il  ne  falloic 
pas  le  priver  de  cette  confolation.  La 
Sieur  Dupuy  infîfta  qu'il  les  devoir  ôter, 
&  je  ne  parle  point  dit  -  il  fans  fujet  , 
d'autant  que  la  première  chofe  que  fe- 
ront les  valets  de  l'exécuteur,  après  l'exé- 
cution faite  ,  ce  fera  de  fouiller  dans 
Ces  poches ,  &  même  de  lui   ôter  Cts 

C  iij 


(  î4  ; 

îiabits,  8c  ]e  crains  qu'avec  cela  on  ne 
îraite  irrévéremmentces  Reliques.  Com- 
me il  l'eût  oui ,  il  pria  qu'on  mîc  la 
main  dans  Ci  pochette  pour  les  prendre 
&  ponr  en  tirer  quelques  petites  dévo- 
tions qu'il  y  avoir.  J*ai  encore,  dit  il, 
d'aucres  Reliques  fur  moi ,  mais  elles 
font  coufues ,  Se  pendant  qu'on  Ce  met- 
toit  en  devoir  de  les  oter,  le  Chevalier  d\i 
Guet ,  s'approcha  ,  &  aflura qu'il  ne  feroit 
pas  dépouillé  après  l'exécution  :  fur  cette 
alTurance  qu'il  réitéra  trois  ou  quatre 
fois  à  rliverfes  rencontres  ,  on  fut  d'avis 
de  lui  ;  .  ffer  les  Reliques ,  puifque  l'Exé- 
cuteur t:  Ces  gens  ne  lui  dévoient  pas 
toucher  après  qu'il  feroit  exécuté. 

Entre  pîuiîeurs  difcours  dont  il  cn- 
trerenoit  les  Pères  aufîî  froidement  que 
il  c'eût  été  familièrement ,  il  en  fît  un 
pour  rendre  raifon  de  l'affeftion  qu'il 
avoit  eu  pendant  fa  vie  envers  les  Feuil- 
Jans  &  dit  q-i'elle  venoit,  de  ce  que  fe 
trouvant  à  la  Campagne  avec  un  de  fes 
amis ,  il  y  a  environ  vingt-cinq  ou  trente 
ans .  un  peu  devant  la  Fête  de  ToufTaints , 
ils  firent  enfemble  réfolution  de  ne  pas 
laifTer  pafTer  un  C\  bon  jour  fans  faire 
leurs  dévotions ,  Se  pour  cet  effet  ,  de 
s'en  aller  à  Paris  dont  ils  n'étoient  que 


fort  peu  éloignés  afin  dy  être  mieu:c 
aflTiftés  :  Comme  [nous  nous  en  venions 
à  Faris,  continua-t-il ,  nous  rcfolumes 
d'un  mutuel  accord  d'aller  aux  ï'eres 
Feulllans  qui  a  voient  encore  leurs  pre- 
mier bâtiment  Se  leur  petite  Egiife,  je 
tombai  entre  les  mains  d'un  de  vos  Pères 
(  Ce  tournant  vers  ceux  qui  l'affiftoient)  du 
nom  duquel  je  me  fouviendrai  bien  en- 
core ,  c'écoit  le  Père  D.  François  de  fainre 
Magdtlaine  qui  m'accommoJa  ,  &  me 
traita  comme  il  falloir:  à  cette  ptemiere 
&  feule  fois ,  il  ncroya  iî  bien  ma  con- 
fcience  qu'il  n'y  laifîa  pas  de  rouille,  fa 
rigueur  Se  fa  févérité  n*empêcha  pas 
pourtant  que  Je  n'y  retournaffe  depuis  » 
tant  je  m'en  crois  bien  trouvé ,  &  dès 
ce  temps  là  il  e(ï  certain  qu'encore  que 
je  n'aye  point  rendu  à  Dieu  la  fidélité 
que  ie  lui  devois  dans  tontes  fortes  de 
rencontres  ;  il  y  a  pourtant  eu  en  moi 
un  très-notable  changement  de  vie  & 
j'oferai  dire  qu'en  recorinoi (Tance  d'un 
relTentiment  particulier  de  Dieu ,  que  j'ai 
eu  depuis,  Se  que  ie  dois  aux  foins  des 
Pères  Feuillans,  j'ai  8;ardé  toujours  une 
affection  fort  particulière  pour  eux,  ôc 
leur  en  fuis  obligé. 

A  propos  de  cette  obligation  _  comme 
C  iv 


on  parla  de  ceux  qui  attendent  du  bîeti 
&  de  la  fortune  des  maîtres  dans  le 
fervice  de  qui  ils  s'engagent ,  il  die  qu'à 
la  vérité  il  Ce  fentoit  redevable  envers 
plufieurs  pour  beaucoup  de  bons  offices 
qu'il  en  avoir  reçus  ,  mais  que  mainte- 
nant qu'il  Ce  voyoic  hors  des  moyens 
d'y  pouvoir  fatisfaire ,  il  efpéroit  que 
Dieu  feroit  pour  eux,  à  Ton  défaut,  ce 
qu'il  étoit  obligé  de  faire. 

L'endroit  ou  il  étoit  affis  dans  la 
chambre  étoit  tellement  firué  qu'il  voyoit 
direélement  tous  ceux  qui  entroient,  & 
cela  avec  un  tel  flux  &  reflux  de  monde 
depuis  qu'il  y  fut  entré  jufques  à  ce  qu'il 
en  fortîc  pour  al'.er  au  fuppiice  ,  qu'elle 
étoit  prefque  toujours  pleine  ayant  donc 
la  porte  devant  les  yeux  ôc  en  objet  « 
on  s'apperçut  qu'il  regardoit  fixement 
&  aiTurément  tous  ceux  qui  er,troient 
&  qui  fortoient,  ce  qui  donna  fujet  au 
fîeur  Dupuy  de  lui  dire,  Moniîeur  arrê- 
tez ici  votre  vue  parmi  nous  &  ne  laif^ 
fez  point  vaguer  votre  efprit  çà  &r  là 
en  le  fuivant,  cela  ne  fert  qu'à  vous 
divertir  de  l'artention  que  vous  devez 
avoir  aux  chofes  que  nous  vous  difons. 
Un  d'entre  eux  prit  la  parole  &  dit  qu'il 
!ui  falloir  laifîèr  ce  divertilTemenc  inno- 


,.,  (  57  ) 
cent  ,  qu  il  ne  croyoit  pas  capable  de 
faire  impreilîon  fur  Ton  efprit  ;  li  faic 
vraiment:,  dit-il,  cela  m'amufe  ,  ô^  en 
difant  cela  il  i'e  leva  &  pria  le  Père 
D.  Euftache  de  lui  donner  fa  place  ôc 
de  prendre  la  fienne  ,  Se  aind  ii  (e  trouva 
aiîîs  entre  les  deux  Pères  Feuiilans,  en 
telle  forte  qu'il  ne  pouvoir  voir  entrer 
ni  fottir  perlonne  qa*ea  touinant  la 
rête. 

Tous  ces  difcours  prccédens  furent 
fenus  par  le  Maréchal ,  depuis  que  ceux 
qui  étoient  deflinés  pour  le  confoler 
Peurent  aborde ,  julques  à  ce  que  l'Exé- 
cureur  le  prit  pour  l'accommoder  &c  le 
pTcparer  afin  de  faciliter  l'exécution,  8c 
faifoit  ces  difcours  aux  diverfes  occur- 
rences qu'on  faifoit  naître  à  deffein,  oiV 
en  celles  auxquelles  fans  y  penfer  il 
tomboiî  lui-mcnie,  Se  pendant  tout  ce 
tenips-là  foiT  efprit  fut  auflî  calme  8c 
aufli  tranquille  ,  que  fî  des  perfonnes 
faifant  proFefiion"  de  pieté  &  de  dévo- 
tion le  fuffent  venus  voir  dans  un  plein 
loifir  ,  &  avec  qui  il  Ce  fût  entretenu  des 
chofes  du  Ciel  &  qui  regardaffent  fon  fa- 
iuî  ;  (â  rai  fon  étoit  aufîî  forte  &  fes  termes 
fi- fi  gni  fi  car  ifs  qu'on  n'eut  pu  jamais,  le 
déliter  ;  en  fon  vifage  &  fon  maintien  , 

C  y 


(  5^) 
nî  même  dans  aucune  de  Tes  allions  ,\ 
il  ne  parue  aucune  marque  d'agitation 
&  d'inquiétude,  on  n'eut  point  de  peine 
à  fortifier  Ton  courage  ,  il  ne  fut  pas 
même  befoin  de  lui  en  parler  ,  &  à  vrai 
dire  ,  il  eût  plutôt  été  nécedaire  de  Tab- 
batre  que  de  le  relever ,  il  propofa  à  ce 
fujet  un  fcrupule  qu'il  avoit  d'avoir  com- 
pofé  Ton  port  &  fa  contenance  en  fbr- 
tant  du  carofTe  ,  pour  ne  pas  paroître 
intimidé  &  qu'il  avoit  eu  dedein  d'en, 
faire  de  même  en  allant  au  fupplice. 

Le  temps  de  l'exécution  s'a  pprochant, 
il  témoigna  qu'il  eût  bien  défiré  qu'elle 
eût  été  faite  en  pariiculier  ,  mais  c'eft 
dit-il  une  grâce  que  je  neveux  deman- 
der &  qu'il  ne  faut  efpérer  n'y  attendre, 
di  fur  le  refus  que  le  Chevalier  du  Guet 
li.i  avoit  fait  de  permettre  qu'il  mît  fon 
teftament  entre  les  mains  de  fon  Con- 
feffeur  ,  comme  on  a  déjà  remarqué  ,  il 
le  jetta  fut  la  table  afin  que  le  Greffier 
l'y  vint  prendre  ,  &  demanda  inftam- 
ment  plufieurs  fois  qu'on  le  fit  entrer, 
afin  ,  difoit  il ,  que  délivré  de  ces  foins 
temporels ,  je  vaque  ,  ce  peu  de  temps 
qui  me  rcfle,  à  des  cbofes  plus  impor- 
tantes &  férieufès  -,  enfin  le  Greffier  étant 
arrivé  aprcs  midi ,  à  ion  abord  les  âvis 


fî9) 
furent  incîifférens ,  touchant  la  façon  de 

recevoir  ce  teftament ,  parce  que  le  Che- 
valier du  Guet  ne  vouloir  point  quM  fut 
lu ,  &  le  Greffier  étoic  encore  de  cet 
avis,  d'aurant  difoit-il  que  par  la  lecture 
qu'on  en  feroit ,  c'étoit  faire  une  a<flioii 
contraire  au  dedein  qu'on  avoir  de  le 
renvoyer  clos  &  fermé  au  Roi ,  afin  que 
fous  fon  bon  plaifir  il  eût  de  la  force 
&  de  la  vigueur.  Le  Maréchal  indfloit 
au  contraire  qu'on  en  fit  lednre  publi-^ 
que  ;  fon  femiment  fut  appuyé  de  celui 
d'une  perfonne  de  qualitç  &  de  condi- 
tion qui  dit  tour  haut:^u'il  n'y  avoic 
aucun  inconvénient  de  lui  donner  cette 
facisfa<flion. 

Le  Chevalier  du  Guer  piqué  de  cet 
avis  repartit  à  haute  voix  qu'il  n'avoit 
pas  befoin  de  tant  de  Confeillers  ,  & 
qu'il  n'eu  feroit  point  fait  de  letlure , 
&  fur  le  champ  le  Greffier  prit  une 
feuille  de  papier  blanc  dont  il  enveloppa 
le  reftament  qu'il  cachera  en  dix  ou 
douze  endroits  avec  de  la  cire  d'Efna- 
gne  &c  le  fceau  de  la  Maifon  de  Ville- 
dont  il  fe  (ervit  après  avoir  den^andé 
au  Maréchal ,  s'il  n'en  avoir  poinî  fur 
lui ,  &  qui  lui  répondit  que  non  ,  êz  qu'il 
y  avoit  long- temps  qu'on  lui  avoir  ôté 

C  vj 


(  6o  ) 
tout  ce  qui  lui  appartenoit,  enfuite  fe 
Greffier  fit  un  petit  ade  fur  Tenv^ loppe,^ 
qui  portoit  en  fubdance  que  ce  terta- 
menc  lui  avoic  étc  mis  entre  ies  mains 
un  te!  jour  ôc  en  tel  lieu ,  par  MeJJire 
Louis  de  Marillac  Maréchal  de  France , 
pour  être  préfenté  au  Roi ,  lequel  il  fup- 
plioit  très -humblement  de  permettre 
qu'il  fortît  Ton  effet  &  qu'il  fût  remis 
entre  les  mains  de  Monfieur  Aimeras 
Maître  des  Coîrjpres  qu'iJ  nommoit  fon 
exécuteur  tefîamentaire. 

Cela  f"ait  ,JI  lui  fut  offert  pour  le 
fîgner ,  &  ayawt  pris  \x  plume  ,  il  elfaya 
de  le  faire, mais  à  l-'inCtant  il  la  quitta, 
&:  dit  je  ne  fçaurois  figner,  lié  comme 
je  fuis,  ma  main  nà  point  de  mouve- 
ment, je  vous  prie  qu'on  me  délie;  il 
î'avoit  déjà  demandé  ^i  continua  de  la 
répéter  à  plusieurs  fois ,  difant  qu'on  le 
lui  avoit  promis  lorfqu'il  feroit  avec 
les  Dodteurs  &  les  Pères  qui  le  confo- 
loient  -,  enfin  après  avoir  regardé  atten- 
tivement tous  ceux  qui  étoienc  autour 
de  lui,  &:  qu'il  vit  que  perfonne  ne  fe  pré- 
fentoit  pour  l'entreprendre  ,  il  dit  tout 
haut  ,  celiii  qui  m'a  lié  pourroit  bien 
venir  me  délier  ,  &  perdant  tout-à- 
fait  refpérance  de  l'ctie  ,  il  prit   pour 


(  61  ) 
one  féconde  fois  la  plume  ,  &  pouflânf 
fa  main  ,  fit  couler  la  corde  qui  étoic  au 
poignet ,  un  peu  avant  fur  le  bras ,  de 
telle  façon  que  fa  main  fe  trouvant  plus" 
libre ,  lui  donna  le  moyen  de  figner  le 
teftament  ,  &  étant  figné  ,  le  Greffier  le 
prit ,  &  en  le  levant  dit  à  haute  voix , 
Me/îîeurs  vous  êtes  témoins ,  comme  le 
papier  que  vous  voyez  m'a  été  mis  entre- 
les  mains,  par  Monlieur  le  Maréchal  de 
Marillac,  difant  que  c'efl  fon  teftamenr, 
qu'il  veut  être  préfenté  au  Roi. 

Pendant  le  temps  des  conteftations" 
que  l'on  fit  à  ce  fujet  ,  ceux  qui  étoienr 
dans  la  chambre  s'approchoient  comme 
i^s  avoient  coutume  dans  d'autres  occa- 
sions Ôc  Ce  retiroient  enfuire,  &  le  laif^ 
foient  feu!  avec  ceux  qui  l'exhortoient  ; 
ayant  donc  tous  les  affiftans  auprès  de 
lui ,  il  reconnut  Monfieur  Sanguin  Pré- 
vôt des  Marchands ,  ôc  lui  dit ,  Mon- 
fieur vous  m'avez  vu  en  un  état  auquel 
vous  n'avez  pas  cru  de  me  voir  réduit 
à  celui-  où  je  fuis  à  préfent  :  à  cela  l'au- 
tre lui  répartit  froidement ,  Mon(]c=ur 
ce  qui  eft  fait  eft  bien  fait,  il  ne  faut 
plus  fonger  à  cela  :  Alors  le  Maréchal 
enfe  détournam  &  regardant  toute  la. 


(Cl) 
compagnie  dit  d'une  façon  ries -Chré- 
tienne &    digne  d'autant    d'admiration 
que  de  pitié,  le   monde  m'immole   au 
monde ,  &  moi ,  je  m'immole  à  Dieu. 

Un  peu  deva;u  midi  ,  il  avoit  die 
qu'il  dé(îroir  parler  au  fieur  Jacob  qui  a 
toujours  été  à  lui,  &  qui  l'a  dignement 
&  fidellement  fcrvi  etj  Tes  affaires  & 
notamment  en  celle  ci  :  le  Chevalier  du 
Guet  en  s'approchant  lui  promit  de  le 
faire  venir ,  ce  qu'il  ne  fit  pourtant  pas: 
ayant  attendu  quelque  temps  ,  &  voyant 
qu'on  ne  ie  faifoit  point  entrer  ,  il  le 
demanda  ,  &  pria  rnftamment  qu'il  le 
pût  voir  bientôt ,  afin  qu'ayant  fait  avec 
lui ,  il  ne  fût  plus  obligé  à  pen(er  ni  à 
parler  que  des  chofes  du  Ciel ,  défiranc 
ménager  pour  cet  effet  le  peu  de  temps 
qui  lui  reftoit  :  fur  cela  le  Greffier  étant 
entré  comme  il  a  été  dit  ci -devant  & 
ayant  fait  avec  lui,  il  demanda  pour  une 
îroifiéme  fois  ledit  fieur  Jacob  :  Je  l'ai', 
dit  le  Chevalier  du  Guti  fait  chercher 
par  toute  la  Maifon  de  Ville ,  &.  même 
appeller  à  haute  voix  fans  qu'on  Tait  pu- 
trouver,  j^ai  envoyé  à  fon  logis ,  il  faut 
attendre  que  le  meffager  foit  de  retour 
pour  en  avoir  des  nouvelles  ,  ce  qui 


C^5  ) 
n'étoit    pas    ncceffaire  ,   pnifqu'il   étoîî 
dans  une  chambre  de  l'Hôtel  de  Ville, 
où  des  le  matin  on  l'avoic  enfermé  avec 
le  fieur  Desbois  Avocat  au  Parlement, 
qu'il  avoir  mené  &  fait  entrer  avec  lui 
&  qui  avoit  aufli  fort  bien  fervi  le  Maré- 
chal &c   beaucoup   aflifté  dans  Ton  pro- 
cès :  quelqu*un  de  la  compagnie  jugeant 
que  le   Chevalier   du  Guet   ne   vouloic 
point  donner  cette  fatisfadion  au  Ma- 
réchal ,  dit  tout  haut,  que   celui  c^uoti 
cherchoit  étoit  dans  la  chambre  ou  oit 
l'avoir  mis  dès  Ton  entrée  en  la  Maifon 
de  Ville ,  le  Chevalier  du   Guet  fortic 
alors  de  la  chambre ,  Ce  montrant  fort 
officieux  en  apparence ,  &  promit  qu'il 
s'alloit  m.ettie  en  devoir  de  le  trouver, 
&    ne  le  fit  pas  plus  entrer  cette  foi& 
que  les  autres ,  iufques  à  ce  que  le  Ma- 
réchal l'ayant  demandé  encore  pour  une 
quatrième  fois ,  difanc ,  je  vois  bien  quon 
ne  me  veut  point  accorder  cette  con(o- 
lation  ,  de  pailer  à  celui  que  j'ai  tant 
de  fois  demandé;  hc  I  pourquoi    me  le 
refufe-t-on?    Quelqu'un    repartit   qu'on 
faifoit  tout   ce  qu'on  pouvoit  pour    le 
trouver  ,    mais  que  peut-être  lui-même 
faifoit  difficulté  d'enrrir,  apprchendanc 
de  ae  pouvoir    fupporter    qu'avec  un 


f  (54  ) 
exrrême  dépialfir  la  vue  de  î*érar  oA  iî 
étoir.  Cela  eft  humain  ,dic  il,  ôc  peuc- 
erre  m'attendrirai-je  moi-même  en  le 
voyant  :  on  fit  rapport  à  Monfieur  le 
Dlic  de  Jyîonc'oazcn,  c\m  fe  trouva  lors 
en  la  Maifon  de  Ville,  du  défir qu'avoir 
le  Maréchal  ,  &.  Cjue  le  Chevalier  du 
Guet  laiiïoit  couîcr  le  temps  pour  Aiire 
perdre  l'occâhcn  de  lui  donner  ce  con- 
îcntement,  quoiqu'on  lui  eût  mis  entre 
îes  mains  la  permifiion  par  écrit,  de  lui 
parler  que  le  Heur  Jacob  avoir  obtenir 
de  Moniteur  le  Garde  des  Sceaux  j  6c 
MonHeur  de  Alontbaz.on  ,  commanda  aa 
fieur  Clément  Greffier  de  l'Hôtel  de- 
Ville,  d'aller  prendre  ledit  fieur  Jacob 
a  la  chambre  où  il  éroit,  &  de  le  mener 
au  Maréchal  ,  ce  qu'il  exécuta. 

Comme  le  iîeur  Jacob  entra,  &  le 
fïeur  Desbois  avec  lui  ,  ceux  qui  aflif- 
to:ent  le  Maréchal  fe  retirèrent  deux- 
ou  trois  pas  en  arrière,  &  lui  fe  levant, 
s'appuya  du  dos  contre  la  muraille  ,  & 
reçut  ledit  fieur  Jacob  avec  autant  de 
gravité  ,  &  aufîi  férieufement  que  les 
perfonnes  de  qualité  ont  accoutumé  de 
recevoir  leurs  domelUques  ;  j'en  fuis 
bien  aife  répondit- il ,  &  ai  beaucoup  de 
ckofes  à  vous  dire  >  mais  je  voudroia 


(  ^T  ) 
DÎen  vous  parler  en  particulier ,  &  Ce 

tournant  vers  le  Chevalier  du  Guet  qui 
étoit  près  ,  il  le  pria  de  fe  retirer  parce 
qu'il  ne  voulait  entretenir  ledit  Jaco^ 
que  de  Tes  affaires  domefliques ,  &  qu'il 
y  avoit  de  petits  intérêts  dans  les  fa- 
milles, qu'il  n'étoit  pas  befoin  que  touc 
le  monde  connut. 

Cela  ne  fe  peut  répartît  le  Chevalier 
du  Guet,  &  j'ai  l'ordre  dans  ma  poche» 
qui  porte  que  perfonne  ne  vous  parle 
qu'en  ma  préfence;  il  e(ï  vrai  répliqua 
le  fieur  Jacoô ,  mais  il  ne  s'en  fuit  pas 
que  ce  foit  tout  haut:  Le  Maréchal  pre- 
nant la  parole  lui  cfit ,  je  veux  bien  que 
ce  foit  en  votre  préfence  ,  mais  la  pré- 
fence  ne  concluî  pas  ,  que  vous  deviez 
entendre  ce  qu'on  dira  ;  quand  vous 
ferez  en  un  coin  de  la  chambre  ,  ôc 
moi  à  l'autre  ,  ce  fera  toujours  en  votre 
prélencc  ;  tout  ce'a  ne  fit  cepend:^nt  pas 
changer  de  réfolution  au  Chevalier  du 
Guet ,  &  comme  le  Maréchal  vit  qu'il 
ne  falloit  pas  attendre  cette  grâce  de  le 
laiffer  parler  (eul  ,  cela  eft  bien  dur , 
dit-il ,  hauilant  les  épaules;  mais  il  fauc 
aller  jufques  au  bout,  je  n'ai  donc  rien 
à  lui  dire. 

Le  Heur  Jacob  néanmoins  pour  Tobli-» 


(66) 
ger  à  cela ,  prit   la  parole  ,  &  lui  dît 
qu'il   y  avoir  un  tailleur  à  qui  il  étoic 
du  quelque  chofe ,  pourquoi  ne  l'a-t-oiî 
pas  payé  dit-il  ,  parce  qu'il  y  a  ,  répon- 
dit Jacob ,  des  parties  pour  Madame  là 
Maréchalle   qui    ne    (ont    pas   arrêtées. 
Qu'on  le  croye  à  fa  parole,  dit  le  Ma- 
réchal _,  je  l'ai  toujours  trouvé   homme 
de  bien  ,  il    y   a   ajoûca-t-il  une  chofe 
dont  je  parle  dans  mon  teftament ,  à  qp.oi 
je  défire  que  vous  preniez  garde  ,  c'efl; 
qu'il  y  aura  plufieurs  perfonncs  qui  vous 
viendront  demander  d'ctre  payées  pour 
éits  chofes  qu'elles  ne  pourront  juflifier 
leur  être  dues,  traitez  cela  le  plus  rai- 
fonnablement  que  vous  pourrez ,  j'aime 
pourtant  mieux  qu'on  fanTe  le  plus  que 
ie  moins ,  &  qu'on  donne  plutôt  à  ceux 
à  qui  il  n'efl:  rien  dû  de  ce  qu'ils  de- 
mandent ,  que  fi  on  refufoitde  fatisfaire 
ceux  à  qui  véritablement  je  dois,  j'ai  fait 
ce  teftament  depuis  quelques  jours,  que 
j'avois  commencé   à   (ainte   Mcnehoud 
&  à  Verdun  ,  &  l'ai  mis  entre  les  mains 
de  Monfieur  le  Greffier  ,  avec  quelques 
papiers  que  j'avois  à  vous  donner ,  mais 
on  ne  le  veut  pas  permettre.   J'efpére 
que  le  Roi  agréera  qu'il  foit  exécuté  , 
M.  le  Garde  des  Sceaux  ,  die  Jacob  , 


(  ^1  ) 

lii'a  dit  que  le  Roi  vous  permettoît  dfe 
tefter  ,  voilà  qui  eft  bien,  dit-il  ,  le 
GreHier  dit  auflî  là-delTus,  j'ai  charge 
d'écrire  tout  «e  que  vous  direz. 

Comme  ils  croient  enfemble  ,  le  Ma- 
réchal apparent  près  de  lui  le  fieur  De{^ 
bois  Avocat  au  Parlement ,  &  témoigna 
du  déplaifir  de  l'avoir  oublié  dans  fon 
teftament,  qu'on  le  conrenre  pourtant , 
dit- il,  &  qu'on  lui  donne  trois  ou  qua- 
tre cens  écus  :  du  refte ,  j'ai  fait  Mon- 
fîeur  Aimeras  exécuteur  de  mon  tefta- 
ment  ,  vous  lai  direz  que  je  le  prie 
qu'il  ait  foin  de  le  faire  exécuter  ,  fi  le 
Koi  le  permet  &  qu'il  m'aime  autant 
après  ma  mort  que  devant  :  Dites  auflî 
à  Defportes  que  je  le  remercie  de  tous 
les  foins  &  peines  qu'il  a  pris  pour  moi 
en  mes  affaires ,  &  que  je  le  prie  d'y 
continuer   les  mêmes  foins  à  l'avenir. 

Comme  il  pourfuivoit  à  lui  faire 
ces  recommandations  particulières,  le 
Chevalier  du  Guet  relâchant  de  fon  at- 
tention, tourna  la  tête  pour  parler  à 
quelqu'un  ,  le  Maréchal  par  une  admi- 
rable prudence  &:  présence  d'efprit  fe 
fervit  de  cette  efpace  pour  recomman- 
der le  Jjeur  Frotté  fon  fécretaire  ;  il  ne 
voulut  pas  le  faire  ouvertement,  parce 


(  6B  )  ^  ^  ^ 
€\u  il  étoit  en  peine  pour  lui ,  qu'on  aîf  < 
dit-il,  en  s'approchant  de  Toreille  da 
fieur  Jacû/f ,  foin  de  Frotté ,  parce  qu'il 
m'a  aiïîdé  en  mes  affaires  fort  utilement 
&  avec  beaucoup  d'affeârion. 

Il  recommanda  aufîî  au  fieur  Jncob 
de  dire  aux  fieurs  Garnier,  Rouyer,  & 
Mollet  Avocats  qui  l'avoient  afllfié  en 
fon  procès,  qu'il  les  remercioit de  leurs 
peines,  qu'ils  l'avoient  aidé  avec  une 
grande  affe61:ion  ,  &  beaucoup  de  xen- 
drefle,  le  chargea  de  faire  enforte  qu'ifs 
fulfent  bien  contentes  &  fatisfaits,  & 
lui  dit  fur  cela  fa  volonté ,  &  comme 
Jacob  l'alTura  que  Meiïieurs  fes  parcns 
lui  avoient  donné  charge  de  lui  dire 
qu'ils  avoient  fait  dans  fon  procès,  tout 
ce  qui  s'étcic  pu  pour  fa  défenfe  ,  & 
depuis  pour  obtenir  fa  grâce  du  Roi 
envers  ceux  à  qui  il  faîloit  s'adrefTer  , 
&  qu'ils  avoient  un  extrême  regrec  de 
ne  l'avoir  pu  obtenir,  je  fçai  bien  ,  lui 
répondit-il  qu'ils  n'y  ont  rien  oublié  , 
èc  je  me  fuis  toujours  peifuadé  qu'ils 
ne  s'y  épargneroient  pas.  Je  les  remer- 
cie de  leurs  peines,  vous  leur  direz  qua 
je  fuis  fenfiblement  mari  ,  qu'en  ma 
perfonne  leur  réputation  feniMe  recevoir 
quelque   iictriflure  &:   quelque  marque 


(  ^9  ) 

J*ignomînîe  ,  à  quoi  je  ne  m*attendoîs 
pas,  mais  je  les  prie  de  s'en  confoler, 
&   de  ne  s'en    point   fâcher.     J'efpére 
tant  de  la  bonté  du  Roi ,  qu'il  me  fera 
un  jour^  la  grâce   de  me   rendre  l'hon- 
neur qu'on  m'ote  aujourd'hui,  faites auflî 
fçavoir  à  ma  nièce  à'Attichy  qu'elle  ne 
s'afflige   peint  ,  &:   qu'elle  prenne   ma 
mort  en  patience  ,    &    fur- tout  qu'elle 
n'en  faffè    paroître  aucun  reiïentiment 
ni  en  efïèc  ni  en  parole  :  je  la  prie  & 
U  conjure  de  fe  rnarier  au  plutôt ,  Ôc 
que  ce  foit  s'il  eft  pofîible  à  ceiui  que 
TOUS  fçavez,  &  dont  on  a  parlé. 
^  Vous  direz  aufîi  à  mon  neveu  à'Ac- 
tichy ,  que  je  délire  qu'il  ferve  toujours 
bien  le  Roi  ,  après  Dieu  toutefois ,  j'ef- 
pére qu'il  fortira  biea  -  tôt  de  prifon  , 
puifqu'il   n'a  point    d'autre  crime   que 
d'être  mon  neveu. 

Pour  Monfieur  le  Garde  des  Sceaux 
mon  frère,  je  n'ai  rien  à  lui  mander, 
je  fçai  comme  il  prend  les  afflitfbions  de 
la  main  de  Dieu ,  j'efpére  qw'il  Wi  fera 
la  grâce  d'achever  le  refte  de  fa  vie  com- 
me il  l'a  commencée  ;  &  après  avoir 
p^rlé  de  quelques  autres  affaires  au  fieur 
Jacob ,  il  brifa  fon  difçoufs,  &  lui  dit 


(  70  ) 
adieu  mon  ami,  il  faut  penfer  à  ce  qui  ' 
efl:  de  principal. 

Cela  dit ,  il  fe  remit  avec  ceux  qui 
le  confoloient  pour  continuer  dans  leur 
.entretien  les  difcours  des  chofes  éter- 
nelles s  &  fur  les  deux  heures  après 
midi  ou  environ  il  fe  confeiTa  pour  la 
féconde  fois ,  &  ayant  fait  fes  prières 
après  fa  confeiîîon  ,  &  s'étant  aflîs ,  il 
dit  à  ceux  qui  l'aflifloient ,  je  vous  prie 
de  témoigner  à  mes  amis  &  à  mes  pa- 
rens  que  je  meurs  fans  aucun  reffenti- 
ment ,  &  que  je  les  fupp'ie  de  ne  re- 
chercher jamais  aucune  forte  de  ven- 
geance contre  ceux  qui  peuvent  avoir 
procuré  ma  mort ,  afTurez  -  les  que  je 
leur  pardonne  d'aufîi  bon  cœur  que  je 
dcfire  d'obtenir  pardon  de  Dieu  &  de 
tous  ceux  que  je  puis  avoir  offenfé. 

Dès  qu'il  entra  dans  la  Maifon  de 
Ville  ,  on  lui  oiîrit  à  manger  tout  ce 
qu'il  demanderoit  d'heure  en  heure,  ou 
plus  fouvent  »  &  quant  on  lui  venoit 
en  préfenter,  il  refufoit  toujours ,  difant 
qu'il  n'en  avoir  pas  befoin  ,  que  fou 
corps  étoit  affez  fort ,  &  que  même  le 
matin  avant  de  partir  de  Rueil ,  il  avoir 
pris  un  bouillon  &  deux  jaunes  d'oeufs;' 


(7Î  ) 
Cf'penJant ,  environ  fur  les  trois  heures  J 
il  Ce  laifla  vaincre  par  ceux  qui  Tavoienc 
fi  fouvent  prefTé  de  manger  ,  &:  dit ,  que 
puis  qu'on  le  vouloir,  il  prendroic  un 
doigt  de  vin.  On  lui  préfenta  du  pain  , 
dont  il  rompit  deux  ou  trois  morceaux 
qu'il  mangea,  ce  fenibloit avec  appetir, 
éc  après  on  lui  apporta  du  vin  dans  le- 
quel il  fit  mettre  les  trois  quarts  d'eau, 
&  comme  on  faifoit  difficulté  de  le  lui 
tremper  fi  fort,  j'ai,  dit-il,  accoutumé 
de  le  boire  ainfi  ,  ayant  bû  il  Ce  pnncha 
un  peu  &  baifa  la  main  pour  remercier 
celui  qui  lui  avoit  préfentc  à  boire. 

Trois  heures  étant  Tonnées  ,  l'Exécu- 
teur qui  après  avoir  lié  le  Maréchal 
s'étoit  retiré  ,  rentra  dans  la  chambre , 
s'approcha  &  Ce  préfenta  devant  lui  ; 
cette  vue"  ,  quoiqu'affreufe  n'altéra  point 
le  calme  de  Ton  efprit,  &  ne  fit  remar- 
quer ni  en  Ton  vifage  ni  en  les  difcours 
aucune  forte  d'émotion.  L'Exécuteur 
ayant  un  peu  demeuré  dans  la  chambre , 
tira  le  fieur  Dupuy  à  part  pour  le  prier 
de  fçavoir  du  Maréchal  s'il  aimoit  mieux, 
pour  faciliter  l'exécution ,  qu'on  rac- 
commodât dans  la  chambre  ,  que  fur 
i'échaffaut  :  Le  fieur  Dupuy  s'étant  remis 
à  fa  place  lui  fit  cette   propofition ,  à 


(71  ) 
laquelle  ii  répondit  avec  la  tranquillité 
ordinaire  de  fon  efprit  :  faime  mieux 
que  cela  Ce  faffe  ici  qu'ailleurs,  je  déCi- 
rerois  bien  toutes  fois  que  ce  ne  fût  pas 
en  préfence  de  tout  le  monde ,  il  reprit 
après  Tes  difcours  des  chofes  du  ciel  qu'il 
continua  avec  fa  compagnie  jufques  fur 
les  quatre  heures,  que  quelqu'un  lui  die 
tout  haut,  Monfieur  il  eft  temps  :  il  en- 
tendit bien  que  cela  vouloit  dire  que 
l'heure  de  l'exécution  étoit  venue:  c*eft 
pourquoi  il  repondit  froidement  &  d'une 
tort  bonne  rcfolution  en  Ce  levant  de  (a 
chaife ,  il  faut  un  peu  prier  Dieu  aupa- 
ravant ,  ôc  en  difant  cela ,  il  Ce  mit  à  deux 
genoux  ,  le  vifage  contre  la  muraille. 

Depuis  la  leÀure  de  fon  Arrêt  ,  il 
avoit  prié  Dieu  deux  ou  trois  autres  fois: 
la  première  fut  à  midi  quand  on  (ônna 
le  pardon  de  V/îve-Maria  à  Saint  Jean 
en  Grève  ,  s'agenouillant  &  offrant  avec 
dévotion  à  la  Vierge,  la  falutation  An- 
gélique félon  la  coutume  de  l'Eglife  : 
un  peu  après  une  heure  le  fîeur  Dupuy 
l'invita  de  rechef  à  prier  Dieu,  &  lui 
propofa  de  dire  les  fept  Pfeaumes  de  la 
Pénitence  de  David  ,  les  Litanies  des 
Saints  ,  V^^ve  Maris  (lella  ôc  quelques 
guttes  oraifons,  en  telle  forte  qu'on  fai» 

ibic 


(73  )  , 
foie  deux  choeurs  :  il  s'y  accorda,  & 
comme  le  fieur  Dupuy  lui  ofFroit  fou 
Bréviaire  ,  je  n'en  ai  poinr,  dit-il,  befoin  , 
parce  que  je  fçai  tout  cela  par  cœur  &c 
répondrai  bien  fans  Livre  :  Le  lïeur  Du- 
puy infiltant  le  pre(Tà  pour  une  féconde 
fois  de  fe  fervir  de  fon  Bréviaire  :  Je 
le  veux  bien  ,  dit- il  ,  mais  afin  que  je 
le  puilTè ,  j'ai  des  lunettes  dans  la  poche  , 
fans  lefquelles  je  ne  fçaurois  lire ,  je 
vous  fupplie  de  les  tirer  puifqu'il  n'elt 
pas  en  mon  pouvoir  ayant  les  mains 
liées.  A  la  fin  il  ne  fe  fervit  pas  de  li- 
vres ,  &  prononça  cependant  de  fon  côté 
le  verfet  qu'il  falloit  dire  avec  une  mé- 
moire fort  préfente. 

La  troifiéme  fois  qu'il  pria  Dieu ,  ce 
fut  lui-même  qui  en  eut  le  défit  &  qui 
le  propofa,  ôc  aufll-tôt  on  dit  le  Pfeau- 
ine  Mlferere  mei  Deus ,  les  Litanies , 
&  quelques  oraifons.  Après  donc  qu'il 
eut  achevé  fa  prière  cette  quatrième  fois, 
il  fe  leva  ,  &  s'érant  tourné  vers  la 
compagnie,  &  voyant  devant  lui  l'Exé- 
cuteur, il  lui  dit,  mon  ami  fais  mainte- 
nant tout  ce  que  tu  voudras  fur  moi  , 
puifque  mon  heure  efi:  venue  &  au  même 
inftant  il  commença  à  prier  Dieu  &:  ne 
Recueil  O.  D 


^  74  ,) 
difcontinua  point  que  l'exécuteur  ne  l'eut 
entièrement  préparé. 

Son  oraifon  fut  vocale  &  d'une  voix 
adés  haute  ,  qu'il  tiroit  du  profond  de 
Ton  eftomac  ,  &  qui  étoit  entendue  dif- 
tinclement  par  ceux  qui  étoient  auprès 
de  lui  ;  pendant  fa  prière  il  baifoit  fore 
fouvent  le  crucifix  qu'il  tenoit  dans  fa 
main  :  L'Exécuteur  commença  à  lui  dé- 
boutonner par- devant  fa  Hongreline,  & 
avant  trouvé  que  le  collet  tenoit  à  une 
chemifette  de  gros  de  Naples  noir,  & 
qu'il  n'y  en  avoir  point  à  l'Hongreline  , 
il  la  déboutonna  entièrement  &  puis  le 
délia  pour  la  lui  oter  :  fentant  qu'on  le 
vouloir  dépouiller,  il  dit  à  l'Exécuteur, 
comment  me  dépouiller  ?  On  m'a  pro- 
mis que  je  ne  le  ferois  pas,  &  l'Exécu- 
teur lui  ayant  repréfenté  qu'on  ne  pou- 
voir pas  découdre  le  collet  de  fa  che- 
mifette, fans  lui  ôter  fa  hongreline,  il 
permit  qu'on  le  dépouillât  &:  il  demanda 
s'il  ne  pouvoit  pas  s'affeoir  ,  &  lui  ayant 
été  dit  qu'il  n'y  avoit  pas  de  danger,  il 
s'aH^t ,  &  l'exécuteur  après  avoir  découfu 
le  collet  de  fa  chemifette,  la  fendit  fur 
les  épaules  &  la  chemife  auffi ,  &:  puis 
les  replia  en  dedans ,  laiHant  non  feule- 


,  (75  ) 
ment  le  col  découvert ,  mais  encore  Beau- 
coup plus  des  épaules  ,  du  dos  &c  de 
reftoniacli  qu'il  ne  falloir,  ik  le  Maréchal 
s'étant  apperçu  qu'il  croit  entr'ouverr  au- 
devant  ,  &  déboutonné  jufques  aux  chauf- 
fes ,  de  forte  qu'il  moncroit  fa  chair  nue: 
boutonne ,  je  te  prie  ,  dit-  il  à  l'Exécuteur  , 
une  partie  de  ma  chemifette,  Se  comme 
il  en  faifoit  difficulté,  je  t'en  prie,  dit- 
il  ,  pour  la  féconde  fois  ^  tu  n'as  pas  befoin 
de  tant  d'ouverture  :  alors  l'exécuteur 
ferma  la  chemiferte  jufqn'au  milieu  de 
l'eftomach  ,  api  es  avoir  détaché  le  collet 
avec  un  gros  couteau  ,  &  encore  qu'à 
tous  coups ,  il  fembloit  qu'il  dût  donner 
dans  la  gorge  du  Maréchal ,  il  ne  branla 
pourtant  point  ,  mais  au  contraire  il 
haulToit  ou  baifîoit  le  menton  pour  don- 
ner du  jour  à  l'Exécuteur ,  avec  la  mcma 
facilité  que  s'il  eût  été  entre  les  mains 
d'un  Barbier  ,  où  bien  en  guife  d'un 
agneau  innocent  qui  fe  laifTeroit  manier 
6c  préparer  paifîblement  pour  ctre  con- 
duit au  fîciiiîce. 

Delà  il  fallut  venir  aux  cheveux  pour 
les  couper  ,  &  comme  il  n'y  avoir  dans 
la  Chambre  qu'une  fenêtre  ,  qui  étoit 
oppofée  à  un  des  coins  ou  étoit  le  Ma- 
réciiâl }  il  fe  tourna  le  vifage  contre  le 

D  ij 


(  70, 
paroi  ,  afin  que  l'Exécuteur  vît  mieux 
pour  lui  faire  ce  dernier  office  ,  &  lui 
demanda  s'il  ne  les  lui  couperoit  pas 
plus  facilement ,  fe  mettant  à  genoux  , 
il  lui  dit  qu'oui ,  &  au  même  inftant  ,il 
s'agenouilla  ,  &  fe  tint  en  cet  état  juf- 
ques  à  ce  qu'on  lui  eut  fait  les  cheveux  ; 
cela  fait,  l'Exécuteur  le  voulant  lier,  il 
témoigna  qu'il  eût  bien  défiré  ne  Terre 
point ,  mais  lui  ayant  dit  qu'il  le  falloit 
être,  il  bailla  fes  mains  fans  réplique: 
comme  on  les  lioit,  ou  palîoit  les  deux 
bouts  de  la  corde  par  derrière  pour  les 
nouer  fur  les  mains ,  5c  cela  Ci  court 
qu'elles  croient  jointes  au  ventre,  &i  iî 
ferrées  qu'elles  n'avoicnt  aucun  mouve- 
ment ,  alors  il  dit  à  l'Exécuteur,  qu'il 
'lailTât  la  corde  un  peu  plus  longue,  afin 
qu'il  pût  porter  fes  mains  jufques  à  fbn 
vifage  ,  ce  que  l'autre  fit  &  au  même 
inftant  le  Maréchal  liauftànt  les  mains, 
palfa  fon  mouchoir  fur  fa  face  pour 
eftuyer  une  eipcce  de  moîte  fueur  dont 
elle  étoit  couverte.  Il  demanda  qu'on 
lui  remît  le  Crucifix  dans  les  mains,  de 
lui  ayant  été  mis  à  la  gauche ,  qui  étoit 
dellu's ,  il  dcfira  qu'on  le  mît  à  la  droite. 
Etant  en  cet  état  il  regarda  pitoyable- 
ment fon  ftin&:  fes  épaules  découvertes. 


(  77  ) 

&  adrelTant  la  parole  à  ceux  qui  ctôienc 
à  l'entour  de  lui ,  qui  n'étoient  pas  en 
fi  grand  nombre  qu'à  l'ordinaire,  parce 
qu'on  en  avoir  fait  fortir  une  partie ,  & 
l'autre  étoit  allée  prendre  place  an  lieu 
de  l'exécution  ,  or  fus  diti! ,  Tame  plei- 
ne de  courage  &  les  yeux  de  ferveur  , 
me  voici  en  un  érac  où  il  ne  faut  plus 
fonger  à  la  terre;  à  la  vérité  cet  état 
étoit  digne  de  cornpafîion  ,  d'atter.- 
drilTement  8c  de  larmes ,  de  voir  ce 
grand  homme,  grand  en  tout,  &r  del- 
prit  &  de  corps,  dépouillé,  tout  blanc 
d'une  vénérable  vieilleiTe  ,  lié  de  cordes , 
&  bien  changé  de  cette  augufle  preftan- 
cc  avec  laquelle  il  donnoit  les  coniman- 
demens  &c  les  ordres  dans  les  araices. 

Hei  mihi  !  qualis  erat,  quantmn  mutatus 

ab  illo 
Hedore  qui  ,  &c. 

Le  Chevalier  duGuet  s'approcha  de  lui 
en  cette  pofture ,  &  voulant  ouvrir  la 
bouche  pour  dire  quelque  chore,il  s'ar- 
rêta tout  court  ,  difant ,  Je  ne  fçaurois 
parler  ,  les  larmes  m'en  empêchent  , 
néanmoins  Ce  tournant  vers  le  Maréchal , 
il  lui  dit,  avez -vous  encore  quelque 
chofe  à  dire  ,  Monfieur  :  encore    trois 

D  iij 


(  78), 
mors  de  confolacion  répondit-il  :  ayant 
dit  ce'a  ,  il  Ce  retira   contre  Ja  muraille 
&  s'y  appuya  du  dos  ;  ceux  qui  le  con- 
folûient  fe  mitent  à   Tentour  de  lui ,  & 
le  fieur  Dupuy  prenant  la  parole  ,  lui 
dit  fept  ou  huit  périodes.  Un  des  Pères 
Feuillans ,  après  cela ,  le  pria  de  leur  faire 
connokre  fi  Ton  efprit  ctoit  dans  la  mê- 
me afïïette  qu'il  étoit  immédiatement  au- 
paravant ,  &  s'il  n'étoit  pas  en  réfo'ution 
de  mourir  dans   la  créance  de   TEolife 
Romaine  comme  il  avoir  toujours  pro- 
ifcfté  :  ouï  ,  dit- il,  &  rien  n'efi:  capable 
de  m'en   fcparer  ;   il  fit  une   feinblable 
réponfe  aux  demandes  que  le  Père  lui 
fît  enfuite.  Si   toute   l'efpérance  de  Ton 
falur  n'ctoit  pas  fondée  fur  la  miféricor- 
de   divine   &   aux  mérites    du  Filr   de 
Dieu  5  s'il  ne  pardonnoit  pas  à  fes  enne- 
mis ,   &  s'il  n'avoît  pas  regret  d'avoir 
tant  demeuré  au  monde  pour  y  offenfer 
Dieu  fi  fouvent  qu'il  avoir  fait:  Pour  le 
pardon  des  ennemis ,  je  leur  pardonne 
de  bien  bon   coeur  ,  6c  du   meilleur  de 
mon  cœur,  dit-il,  en  répétant  généreu- 
fement  deux  fois  cette  parole ,  &  pour 
le  dépiaihr  d'avoir  otfenfé  Dieu,  mon 
déplaifir  eft  de  n'en  avoir  pas  un  aflez 
grand  pour  ccl.i  ;  furquoi  le  fieur  Dupuy 


1 


(79  ) 
dit  qu'il  ne  pouvoir  pas  avoir  une  plus 
parfaire  dirpofition  ,  puifque  le  plus 
haut  point  ou  pouvoit  monter  la  contri- 
tion ,  cY'toit  d*avoir  de  la  douleur  da 
n'en  avoir  pas  alTez, 

Sur  cette  alTurance,  il  fit  trois  ou  qua- 
tre pas  vers  la  porte  de  la  Chambre  pour 
aller  au  fupplice.  Le  Chevalier  du  Guet 
l'arrêta  au  pallage  &  lui  dit  que  le  Roi, 
par  fa  bonté,  lui  faifoit  la  grâce  de  ne 
le  pas  monter  fur  une  chareue  ,  comme 
les  perionnes  qui  font  dans  un  pareil 
état,  avoient  coutume  d'être  conduits, 
6c  que  pour  cette  conlîdération  on  avoir 
tellement  placé  Téchaff-aut ,  qu'il  en  ren- 
contreroit  l'échelle  en  mettant  le  pied 
hors  du  dernier  degré  de  la  Maifon  de 
Ville  :  dices  au  Roi  ,  lui  répondit  il  avec 
humilicé.mais  gravemenr,que  je  le  remer- 
cie tant  de  cetre  grâce,  que  de  beaucoup 
d'autres  que  j'ai  reçues  de  lui  ;  alTurez-le 
que  je  meurs  (on  ferviteur  très-humble  , 
&  que  je  lui  demande  pardon  ,  non-feu !e- 
ment  des  véritables  dcplaifirs  que  je  lui 
peux  avoir  donné  au  cours  de  m.i  vie  , 
mais  encore  de  tous  les  mécontentemens 
qu'il  peut  avoir  conçu  contre  moi ,  par 
les  mauvais  offices  que  mes  ennemis 
m'ont  rendu  auprès  de  Si  Majefié. 

D  iv 


(Bo  ) 
Cela  dit,  il  forcit  de  la  Chambre  pour 
aller  à  la  mort  ;  il  avoit  à  fes  deux  côtés 
le  Père  Dom  Euftache  &  le  fieur  Dupui  , 
le  fïeur  Leclerc  &  Tautre  Père  Feuillant 
le  fuivoienr  ,&  l'Exccuteur-étoit  derrière 
lui.  Comme  il  fut  dans  une  petite  anti- 
chambre ,  proche  de  la  Chambre  d'où 
il  fortoir,  il  vit  près  delà  porte  le  Gref- 
fier qui  l'attenJoir  pour  lui  aller  lire  une 
féconde  fois  fon  Arrêt  ;  il  Ce  tourna  vers 
lui  &  lui  dit  ,  je  vous  prie  de  me  re- 
commander à  Meilleurs  les  lu2;es ,  Se 
de  leur  dire  de  ma  part  que  je  les  fup- 
plie  de  me  pardonner  tous  les  déplaifirs 
qu'ils  ont  reçus  de  moi. 

Puis  il  conrinua  à  marcher  d'un  porc 
confiant  Se  alTuré,  ayant  la  vue  haiffce 
Se  fi  arrêtée  qu'il  ne  la  tourna  jamais 
d'aucun  côté,  quoique  les  endroits  de  la 
Maifon  de  Ville,  par  ou  il  pafTafulTenc 
bordés  de  monde  :  étant  arrivé  fur  le 
Perron  ,  on  le  fitarrêter  pour  ouir  lecrî , 
qu'on  appelle  une  féconde  ledure  de 
l'Arrêt  que  l'Exécuteur  répète  à  haute 
voix  après  le  Greffier  :  il  écouta  cela 
fans  émotion  &  fans  dire  mot  ,  finon 
quant  on  vint  à  nommer  les  Chefs  de 
fon  accufaticn  ;  alors  il  dit  voilà  bien 
des  cas  j  cela  me  trouble  ,  &  comme  il 


fembloit  qu'il  voulût  toucher  quelque 
chofe  de  Ton  innocence,  &  s'étendre  là- 
deiTus  ,  les  Percs  lui  repréfenrerent  qu'il 
n'étoit  pas  nccelfaire  ,  de  peur ,  lui  dirent- 
ils,  qu'en  pariant  de  fon  innocence,  il 
ne  fût  touché  de  quelque  relTeniimenc 
humain  ,  ce  qui  le  fit  cefTer  tout  court , 
tant  il  tcmojana  d'obéi^nce  aux  avis 
qu'on  lui  donnoit  pour  Ton  falut  &  pour 
jui  ouvrir  plus  facilement  le  chemin  du 
Ciel ,  poftpofant  à  cela  fa  juftification 
devant  le  monde,  qui  eft  un  point  au/ïï 
fendble  ;5c  délicat  que  le  défir  en  eft 
naturel. 

L'on  le  fit  après  monter  fur  l'échauf- 
fauc  qui  étoit  environ  de  fix  pieds  de 
haut  ;  en  montant  ,  rExécuteur  voulue 
l'aider ,  mais  il  le  repoulfa  du  coude.  Le 
Père  Dom  Heuftache  ,  le  Heur  Dupuy, 
l'Exécuteur  &  les  valets  le  fuivirent  : 
aufll-tôi  qu'il  fut  monté  il  fe  mit  à 
genoux  de  lui-même  pour  fe  préparer 
à  l'Exécution,  mais  on  le  fit  relever  parce 
qu'il  s'étoit  trop  avancé  fur  le  bord. 
L'on  y  vit  deux  hommes  inconnus  , 
dont  l'un  avoit  un  habit  rouge  ,  qui 
n'ont  point  accoutumé  d'être  vus  en 
lelles  aélions  &  qu'on  n'a  pu  fcavoir  à 
quel  dellein  ils  y  étoient  :  il  fe  confefla 

D  V 


là  pour  nne  troillcnie  fois.  Son  defir 
écoir  de  n'être  pas  bandé,  mais  le  lîeur 
Dupuy  lui  repréfentant  qu'il  le  devoir 
permettre,  quand  ce  ne  fercit  que  pour 
cvirer  la  vanité:  H  vous  le  prenez- là, 
dic-il ,  qu*on  me  bande  ,  &  n'en  parla 
plus  ,  &  comme  l'iixccuteur  le  bandoit, 
il  lui  demanda  ;  s'il  ne  lui  pardonnoit 
pas  fa  mort ,  mon  ami  ,  lui  repondit- il, 
ce  n*eft  pas  vous  qui  me  faites  mourir, 
mais  je  vous  pardonne  le  coup  &  ma 
mort  à  mes  ennemis. 

On  ht  les  piiéres  accoutumées  j  & 
peu  devant  ce  remps-là ,  TExccuteur  le 
difpofa  ,  lui  enfonça  bien  avant  dans  la 
main  le  Crucifix  ,  de  crainte  que  Ton 
épée  en  palfant  ne  le  rencontrât  ,  lui 
releva  le  menton ,  &  lui  prenant  la  tête 
(ntre  les  mains,  la  lui  redreffa  ,  lui 
paifa  trois  ou  quatre  fois  la  main  fur  le 
col  pour  en  faire  tomber  les  cheveux  , 
&:  puis  prenant  Ton  épée,  d'un  feul  coup 
lui  répara  la  tête  du  corps  :  on  entendit 
en  mcme  temps  le  coup  de  l'épée,  & 
le  bruit  que  laicte  &  le  tronc  firent  en 
tombant  (ur  l'échaufFaut,  d'où  la  icte 
faifant  un  bond ,  cheut  à  terre  ,  &:  y  fut 
rejettée  par  des  foldats  :  ainfi  mourut 
généreufement    ôc    chrétiennement    ce 


(  S5   ) 
brave  Maréchal  ,   accompagné   viflble- 
nienc  &  fenkblernenc  des  larmes  6c  re- 
crrets  de  tout  le   monde  qui  afriftoic  à 
fon  exécution, 

A  peine  le  corps  fut-il  fans  vie  que 
les  valets  de  l'Exccuteur  fe  mirent  après 
pour  le  dépouiller  ,  quand  le  Greffier 
qui  avoic  fervi  à  fon  Procès  fendant  la 
prefTe  ,  &  s'approcham  de  Téchaffaut  les 
fit  arrêter  &  empêcha  qu'on  ne  mît  le 
corpsànudi  &  en  effet  il  eft  croyable, 
de  rhumeur  fordide  &  infâme  de  cette 
forte  de  gens  ,  qu'à  peine  lui  euiTent-ils 
laifTé  fa  chemife  ,  fi  leur  efpric  ami^  du 
gain  ,  &  d'où  l'honneur  efl  banni,  n'eût 
trouvé  de  rempcchement. 

Cependant  un  carofTe  de  deuil  s'ap- 
procha,  où  étoient  quelques  domefti- 
ques  du  feu  Maréchal ,  &  pendant  qu® 
fon  ame  fut  enlevée  au  Ciel ,  comme 
les  vertus  Chrétiennes  qui  ont  paru  en 
lui  à  fa  mort  ,  en  un  degré  héroïque  , 
rendent  cette  créance  bien  certaine  , 
fon  corps  &  fa  tête  furent  mis  dans  ce 
earode  &  portés  au  Logis  de  Madame 
de  Marillac  fa  nièce  en  la  rue  Chapon  , 
luivi  d'une  (1  grande  quantité  de  peuple, 
que  c  étoit  merveille  de  voir  cette  pompe 
funèbre  accourant  de  toutes  parts ,  où  le 

D  v) 


.     (  S4  ) 
caroHe  paHoit ,  avec  mille  vœux  &  hé- 
nédidions  qu'on  lui  donnoit   tout  haut. 
Dans  celte  maifon   la  tête  fût  jointe 
ê^  coufuë  au  corps  qui  fut  ouvert  pour 
en  tirer  îe  cœur,  &  le  porter  aux  Car- 
mclines  de  Pontoife  ,   auprès   de  celui 
de  Madame  fa  femme  ,  fon    corps  fut 
mis  après  avoir  été  enbaumé  dans  Con 
cercueil  de  plomb    &c    expofé  fous  un 
poîle  dans  la  falle  rendue  de  noir, ayant 
autour  pîufieurs  cierges   allumés  ,  où  il 
demeura  jufques    au   lendemain  Mardi 
fept  heures  du  foir  :   pendant    tout  ce 
temps ,  Tes   parens  &  amis  lui    vinrent 
jetter  de  l'eau  bénite  avec  pîufieurs  au- 
tres perfonnes  de  qualité  &  un  fi  grand 
concours  de  monde,  qu'on  Teftima  ]uC- 
ques  au  nombre  de  quarante  mille  per- 
fonnes,   qui  tous  la  larme  à  Tœil ,  di- 
foient  hautement  qu'ils  venoient  plutôt 
pour  Ce  recommander  à  fes  prières,  que 
pour  prier  Dieu  pour  lui ,  s*eftimant  bien 
heureux  d'emporter,   les  uns  un   mor- 
ceau de  linge  trempé  dans  Ton  fang ,  les 
autres  une  parcelle  de  la  corde  donc  il 
avoit  été  lié  ,  qui  fut  défilée  &  mife  en 
pîufieurs    pièces   à  cet  effet  ,   tant    ils 
avoient  d'eftime  &  d'opinion  de  Ta  gloire 
dans  le  Ciel. 


Il  fut  conduic  ce  foir-là  même  dans 
Ton  carofTe  en  l'Eglife  des  Pères  Feuil- 
lans  par  la  porre  de  Montmartre ,  parce 
que  celle  de  (ainr  Honoré  étoit  fermée 
dès  Paprcs  dîné  pour  quelque  cliofe  qu'il 
y  avoir  à  faire  au  pavé  :  Tes  parens  & 
amis  l'accompagnèrent  dans  leurs  ca- 
roffes  fuivis  d'une  multitude  de  peuple 
fans  nombre  qui  Ce  preffoient  à  l'envie 
à  qui  toucheroit  le  carofle  qui  portoit 
fon  corps  :  les  Religieux  avec  chacun 
un  cierge  allumé  à  la  main  le  reçurent 
à  la  porte  de  l'Eglife,  &  après  l'avoir 
placé  au  milieu  de  la  Nef,  &  fait  fur 
lui  les  prières  &  les  encenfemens  ac- 
coutumés le  defcendirent  dans  la  cave 
de  fa  Chapelle. 

Le  lendemain  12»  Mai  on  fît  un  fer- 
vice  pour  lui  en  la  même  Eglife  ,  on 
aiïifterent  ceux  de  fa  fan\ille  &  de  Ca 
parenté  ,  avec  quantité  d'autres  perfon- 
nes  qualifiées ,  &  ceux  de  fes  amis  qui 
fe  trouvèrent  à  Paris  :  à  l'iffue  du  fervice, 
l'aumône  fut  faite  à  tous  ceux  qui  fe 
préfenterenr. 

Nous  le  laiderons  donc  repoier  en 
paix ,  en  l'attente  de  la  réfurredion  fi- 
nale, au  dernier  jugement  3  où  Dieu 


(  8^  ) 
révélera  les  fecrets  des  cœurs  ,  ^  ren- 
dra à  chacun  f:lon  Tes  œuvres,  pendant 
que  les  beaux  elprits  du  temps  s'exer- 
ceront à  lui  drelîer  des  épitaphes  &  à 
honorer  fa  belle  mort  par  leurs  écrits  > 
nous  nous  contenterons  dédire  de  lui, 
prophétiquement  après  l'Ecriture  fainte, 
Lampas  contempla  apud  coghationes 
Principum  parata  ad  tempus  jlatutum 
revelari.  Job,  i2. 


ENSUIT  l'Arrêt  donné  contre  te  Ma- 
réchal de  Marillac. 

Extrait  des   Réj^iflres   de  la    Chambre 
fouveraine  établie  par  le  Roi  à  Rueil 
en  Parifis. 

VU  par  la  Chambre  fouveraine  éta- 
blie par  le  Roi  à  Rueil  en  Partfîs , 
le  Procès  criminel  extraordinairemeuc 
fait  par  les  Cpmmiiïaires  à  ce  députes , 
à  la  requête  du  Procureur  général  de  fa 
Maieflé  à  KUiTire  Louis  de  Marillac 
Maréchal  de  France  ,  Lieutenant  pont  le 
Roi  es  pays  MeiTm  ,  Thoul  &  Verdun, 
Gouverneur  des  Villes  &  Citadelles  de 


^      (  ^7  ) 
Verdun,  prisonnier  au   Château   dudit 
Rueil ,  accu(c  de   crimes   de    pcculat  , 
concuffion  ,  levée  de  deniers  ,  exadions , 
faulTetcs  &  fuppofitions   de  quittances  , 
foulle  &  opprelîîon  faite   fur  les  fujets 
du  Roi,  informations   faites  par  lefdics 
CommifTaires  fuivanr  les   Coa"imi{Iions 
du  Roi  dès  3.  &   16,  Décembre   1650. 
Lettres- Patentes  du  i  j.  May,  12.  Juin 
&  i.  Juillet   iijji.  pour   procéder  par 
lefdits   Commiffaires    y    dénommes ,  à 
rinftrudion   &  jugement  dudit   Procès 
en  ladite  Ville  de  Verdun  ,  interrogatoi- 
res ,  réponfes ,  confeiïions  &  dénégations 
duditde  Marillac,  Procès-verbaux  deré- 
colement,&  confrontations  des  témoins» 
extraits  des  faits  jullificatifs ,  reproches 
dudtt  accufé  ,  nominations  de  témoins 
fur  iceux  ,  Arrêt  donné  par  lefdits  Com- 
mifTaires fur  la  Requête  duJit  Procureur 
général  le  20.  Ocftobre  fuivant ,  conte- 
nant qu'il  auroit   communication  daàît 
extrait ,  requêtes  dudit  Procureur  géné- 
ral du  29.  dudit  mois  &  10.  Novembre 
fuivant  a  ce  qu'ayant  égard,  que  la  preu- 
ve d'office  que  ledit   accufé   prétendoic 
faire  defdits  jufliiîcarifs  &  de  reproches, 
étoit    fuperflue  &  inutile  ,    parce    qu'il 
vérifieroit  le  contraire  par  pièces  authea- 


(SS  ) 
tiques,  confentant  néanmoins  que  le  fait 
concernant  un  nommé  Pefnart  fut  tenu 
pour  prouvé  ,  &  que  les  dépofitions  fai- 
tes par  le  fieur  de  Vaubecour,  &  Gabriel 
de  Langrec  ,  ne  fudenr  vues ,  &  fut  dit , 
que  les  parties  mettroient  leurs  pièces 
par  devers  le  Greffe,  Arrêt  dndit  lo. 
Novembre ,  par  lequel  ayant  égard  aux 
déclarations ,  &  conff  nrement  dudit  Pro- 
cureur général ,  auroit  été  ordonné  qu'il 
ne  feroit  fait  preuve  defdits  faits  contenus 
es  I.  3.  des  faits,  &  fans  préjudice  des 
preuves  prétendues  réfulter  des  pièces 
produites  par  ledit  Procureur  général  , 
qu'il  feroit  procédé  à  l'examen  des  té- 
moins dénommés  par  ledit  accufé  fur 
le  fait  d'abfence  par  lui  allégué  ,  Arrêt  du 
Confeil  d'Erat  donné  à  Château  Thierry 
le  9.  dudit  mois  de  Novembre  >  conte- 
nant que  toutes  lesrécufations  propofées 
par  ledit  de  Marillac  contre  aucun  de 
Ces  Juge? ,  feront  portées  à  Sa  Majeflé 
par  le  Greffier,  pour  icelles  vuc> ,  or- 
donner ce  qu'il  appartiendra  ;  autre  Arrêt 
dudit  Confeil  d'Etat  tenu  à  Metz  le  22. 
dudit  mois  de  Décembre  fuivant ,  par 
lequel  ayant  ég.^rd  à  la  déclaration  ôc 
confentement  dudit  Procureur  général, 
fans  s'arrêter  aux  Arrêts  duJit  Verdun  , 


(«9  ) 
en  ce  qui  concernoic  la  preuve  dudit  fait 
d'abfence,  auroit  été  ordonné  que  les 
parties  remettroient  es  mains  dudit  Gref- 
fier dans  la  quinzaine ,  toutes  pièces  , 
donc  elles  s'entendoient  aider  ,  requct'e 
préfentée  à  Sa  Majeflé  par  ledit  de  Ma- 
rillac,  à  ce  que  le  délai  à  lui  donné 
pour  produire  ,  lui  fut  prolongé  ,  &  com- 
pulfoire  oiiroyé  pour  le  recouvrement 
de  toutes  pièces.  Arrêt  donné  audit  Con- 
feil  le  27.  Janvier  ,  contenant  prolon- 
gation dudit  délai  de  1  f .  Jours ,  &  ledic 
compulfoire  ocVroyé,  Lettres  -  Patentes 
dès  4.  8.  &  10.  Mars  en  fuivanr,  con- 
temnc  qu'il  feroic  procédé  par  les  Com- 
mifTaires  y  dénommés  au  jugement  dudit 
Procès  audit  Rueil  ;  Arrêts  donnés  par 
ladire  Chambre  les  15.  &  16.  dudit  mois 
de  Nfars,  &c  15}.  Avril  fuivant,par  lef- 
quels  auroit  été  ordonné  qu'il  feroit  pro- 
cédé à  la  vérification  des  écritures  &c 
fignarures  dudit  de  Marillac ,  &  autres 
produites  par  ledit  Procureur  général, 
par  experts  dont  les  parties  conviendront. 
Arrêt  du  i6.  Mars  contenant  nomina- 
tions faites  d'office  defdits  experts  fur  le 
refus  defdits  parties  d'en  convenir.  Pro- 
cès-verbaux de  vérification  defdits  écri- 
tures &  (îgnatures ,  dès  Z4.  &  z(5.  dudit 


(  90  ) 
mois  de  Mars,  &  25.  dudit  Avril,  pro- 
mefles  faites  par  ledit  de  Marillac  à 
Jacques  Drouarr  prétendu  inunition- 
iiaire  en  l'armce  de  Champagne,  dès 
II.  Mars  &  I.  Juin  1625.  par  leiquels 
il  auroit  promis  audit  Drouart  de  le  dé- 
dommap^er  &  indemnifer  de  tous  rifques 
qu'il  pourroic  encourir  à  caufe  de  deux 
contrats  qu'il  avoir  pafTé  touchant  le  pain 
de  munition  ,  &  des  quittances  par  lui 
fîgnées  pour  la  réception  des  deniers  or- 
donnes pour  le  pav-"tnent  dudit  pain  , 
attendu  que  ledit  Drouart  n'auroit  re(^u 
iceux  &  ne  faifoit  que  lui  prêter  foa 
nom  :  Arrêt  du  ï6,  dudit  mois  d'Avril , 
contenant  que  lefdites  promelfes  &  autres 
piccesénoncéesen  icelui ,  feroient  repré- 
ientées  audit  de  Marillac  ,  pour  erre 
par  lui  reconnues ,  d:  en  cas  de  dénéga- 
tion, pêtmis  audit  Procureur  général  de 
faire  procéder  à  la  vérification  d'iceux 
par  témoins,  experts  ,  Procès-vc-rbal  ài^(- 
dits  CommilTaires  deldits  jours,  conte- 
nant le  refus  fait  par  ledit  de  Marillac 
de  reconnoître  l'écriture  defiiis  promef- 
fes  &c  autres  pièces  à  lui  repréfentées. 
Arrêt  du  29.  Avril  fur  la  requête  dudit 
de  Marillac  ,  par  lequel  ayant  égard  à 
la  déclaration ,  qu'il  confcntoit  que  les 


(  91  ) 
cinq  fignatures  de  Louis  de  Marillac 
appofées  aux  deux  promefTes  d'in-^emnité 
par  lui  faites  audit  Drouart  lefdits  i  i. 
Mars  &  i.Juin  1 615.  &  des  trois  mi (ïi- 
ves  des  6.  Juillet  &  5.  Mai  1650.  furent 
tenues  pour  bien  reconnues,  auroit  or- 
donné que  ladite  requête  feroit  mife  au 
fac,  proiuâ:ions  tant  dudit  Procureur 
général  que  dudit  accufé ,  requête  dudit 
de  Marillac  des  19.  Avril  &  4.  du  pré- 
fent  mois  de  Mai  avec  fes  écritures  , 
motif  de  druir,  &  autres  pièces  jointes 
auflî  mifes  au  fac  ,  conclufîons  dudit  Pro- 
cureur général  ;  ledit  accufé  oui  &  in- 
terrogé fur  la  fellere  ,  &  tour  confideré. 
LADITE  CHAMBRE  a  déclaré  &  dé- 
clare ledit  de  Marillac  atteint  &c  con- 
vaincu defdirs  crimes  de  péculat,  con- 
cuffions ,  levées  de  deniers  ,  exadions, 
faulTctés  8c  fuppofTtion  de  quittartiîés  > 
foulle  &  oppreflion  faite  fur  les  (ujets 
du  Roi,  pour  réparation  defquels,  l'a 
privé  &  prive  de  tous  honneurs ,  états 
&  dignités  Se  Ta  condamne  &  coiidamne 
à  avoir  par  l'Exécuteur  de  la  Haute 
Juftice,  la  tête  tranchée  fur  un  échauf- 
faut ,  qui  pour  cet  effet  fera  dreffé  en 
la  place  de  Grève  de  la  Ville  de  Paris , 


(  9i  ) 

ordonne  que  les  terres  ,  fiefs ,  domai- 
nes qu'il  tient  de  Sa  Majefté,  ducment 
réunis  à  la  Couronne ,  &  le  furplus  de 
tous  Tes  biens  acquis  &  confifqués  au 
Roi ,  (ur  lefquels  fera  préalablement  pris 
la  femme  de  cent  mille  livres ,  pour 
employer  à  la  reftitution  des  chofes  par 
lui  exigées  tant  fur  les  Communautés 
qu'autres  particuliers.  Donné  le  S.  Mai 
1632.  Signé  V11.IQ1  JE. 


(5)5  ) 


MANIFESTE  de  la  France  aux  Pa- 
rijîens  &  à  ccuc  le  peuple  François. 

IL  me  femble ,   Mefîîeurs  ,  que  fi  la 
folie ,   comme   l'yvrognerie   a   pour 
cuver* &  recuire  fesmauvaifes  humeurs, 
fes  accès   réglez ,  &c  Ton  temps  limité , 
qu'il  eft  bien  laifon  maintenant  que  cha- 
1    cun  de  vous  reconnoiffe  ,  comme  celui 
I    qui  yvre  &  endormi  a  été  porté   à   la 
j    gueule  des  loups  j  l'abyfme  &  le  goufïre 
I   dangereux  oîi  cette  mouche  de   Lorrai- 
1    ne  ,  qui  efl:  la  ligue,  vous  a  aujourd'hui 
\   tous  précipités. 

il  Confiderez ,  je  vous  prie,  ou  vous  en 
I  êtes  maintenant  venus,  jugez  de  ce  def- 
P  fèin  par  Ton  événement,  de  cette  caufe 
'  par  Tes  effets  ,  Se  épluchant  l'origine  & 
toutes  les  tiffures  de  cette  piperie  pu- 
blique jreconnoiflez  votre  éblouiffemenc 
&  vos  fautes ,  Se  confelfez  que  jamais 
les  compagnons  d'UlyfTe  ne  furent  par 
les  enchantemens  d'UiyfTe  tant  abufez  , 
que  vous  l'avez  été  par  cette  tromperie 
fubtile. 

Il  n'eft  plus  temps  de  faire  les  idiots 


(  94  ) 
jVi  les  infenfibles  au  jugement  de  cette 

maladie,  elle  eft  grande,  elle  ell  mor- 
telle ,  ëc  qui  porte  vifiblement  vos  jours 
à  kur  dernière  ruine,  (ouvenez  -  vous 
donc  du  remps  que  ce  ir.al  vous  vint 
premièrement  allaillir  ,  &  par  quelle 
porte  il  pénétra  le  dedans  &  frontières 
de  cet  Etat. 

C'étoit ,  difoit-  on  ,  pour  la  manuten- 
tion de  l'Eglife  Catholique  Apoftolique 
Se  Romaine,  iorfque  le  Royaume  étoit 
plus  paifible  ,  la  Religion  Catholique 
plus  florifTanre  j  &  les  crainres  aportées, 
qui  regardoient  la  fucceflion  de  l'Etat  , 
plus  éloignées ,  Iorfque  ceux  de  la  Pré- 
tendue Reformée  Religion  vivoient  plus 
retenus  &c  relTerrez  fous  les  Edits  du 
Prince ,  &'  tous  les  Etats  du  Royaume 
plus  réglez  &  ordonnez  ;  lors  naquit 
cette  Fée  de  Lorraine. 

Son  commencement  fut  foible  pour 
îa  vie  &  la  préfence  du  Duc  d'Anjou  , 
qui  empêchoit  fa  croifTance,  &  lafaifoic 
faner.  On  fçait  les  moyens  qui  furent 
tenus  pour  lever  cet  empêchement ,  Ten- 
treprife  de  Saîcedo,  fon  accufation  ,  & 
fes  confeffîons  en  firent  foi ,  *  enfin 
l'empoilonnement  de  ce  Prince  pratiqué 
f  Voyez  le  Recueil  £. 


(95) 
dans  Paris.  Ce  grand  coup  d'érat  faic, 
cette  Pandore  entra  incominent  armée 
parmi  nous ,  elle  troubla  auiïitôc  la  tran- 
quillité publique  ,  elle  changea  la  féré- 
nité  de  notre  hccle  ,  &  ouvrant  fa  boè'te 
enchantée  ,  diilribua  Ton  poifon  dans 
tous  les  ordres  du  Royaume.  On  vie 
incontinent  frémir  les  peuples  ,  murmu- 
rer les  lujets ,  fe  foulever  les  Provinces  , 
tempefter  tout  le  monde  ,  &  toutes  cho- 
fes  tendre  à  une  rébellion  ouverte.  Il 
fembla  que  Dieu  eut  ordonné  cette  fu- 
reur ,  exécurrice  de  Tes  vengeances  oc- 
cultes ,  Se  le  public  fléau  dont  il  vouloir 
châtier  l'orgueil  &  les  crimes  des  Fran- 

Les  Guifes  qui  etoient  Auteurs  de  ce 
mal  ,  &  qui  ne  Tavoienc  inventé  que 
pour^alTer  par  ce  pont  toute  leur  for- 
tune au  plus  haut  faîte  delà  Monarchie, 
&  s'emparer  de  l'Etat ,  ne  cefToient  nuit 
ôc  jour  de  travailler  pour  lui  donner  par 
tout  entrée  ,  &  rendre  Tes  effets  puiC- 
fants  ;  lî  bien  que  l'on  vit  delà,  comme 
d'un  fubit  éclat  de  tonnerre  ,  toute  la 
France  embrafée  en  un  infiant ,  &  les 
guerres  allumées  de  tous  côtés. 

Les  caufes  de  ce  foulevement  fondées 
fur  les  ordinaires  bifferies  des  mal  con- 


tents,  fur  le  bien  public,  &  fur  le  zcle 
de  la  Religion  ;  mais  cette  drogue  fut 
bientôt  éventée  par  la  paix  qui  fuivir. 
Car  ce  foin  contrefait  du  peuple  ,  fut 
converti  en  une  fimple  difcuiïion  de  leurs 
intérêts  privez,  &  tout  ce  qui  concer- 
noit  votre  foulagement  ,  fut  mis  fous 
le  pied,  ainfi  le  zèle  enragé  de  con- 
fcience  qui  bruloit  leurs  poitrines,  fut 
rafraichî  des  larmes  &  du  dommage  du 
peuple  même,  &  toutes  leurs  huées  du 
lîien  public  ceflerent  en  cette  galanterie 
de  Renard. 

Voyez  depuis  quelles  furent  leurs 
pourfuites ,  que  devint  cette  grande  ar- 
mée du  Duc  de  Mayenne ,  pour  fou- 
droyer, comme  ils  fe  vantoient  ,  tout 
le  monde  habitable  i  II  vous  fit  bien 
connoître  que  contre  des  hommes  ar- 
més ,  leurs  vanteries  importune?^  n'é- 
toient  que  bruits  de  femmes ,  &  jeux 
d'enfans ,  ôc  qu'ils  étoient  plus  propres 
à  mener  des  pratiques  parmi  un  peuple, 
que  non  pas  à  combattre  des  ennemis. 
Et  voyant  qu'il  n'y  avoir  rien  à  gagner 
pour  eux  contre  les  Huguenots,  ils  quit- 
tèrent cette  efcrime  périlleufe,  &  fe  re- 
mirent à  leur  première  chaffe  parmi  le 
peuple  ,  à  contrefaire  dans  les  villes  les 

papelards^ 


I 


(  97) 
Papelards ,  porter  les  grands  Chapelers 
à  la  ceinture  ,  faire  fouvent  au  peuple 
largefTe  de  pain  bénit  ,  contrefaire  les 
populaires,  &  fe  trouver  en  apparat  à 
toutes  procefîions ,  fi  que  [a]  la  nature 
du  peuple  comme  liquéfiée  par  ces  blan- 
diflemens  [/>],&  détrempée  dans  ces 
poifbns,  couloir  en  leurs  paiïîons,  qui 
le  rendoit  plus  prenable  par  ces  artifices, 
&  moins  remparé  contre  ces  cautel- 
les  [c-]. 

Et  pour  ne  rien  négliger  à  le  difpofer 
davantage  en  leur  faveur,  ils  gagnèrent 
,  tous  les  prêcheurs  ordinaires ,  en  pro- 
mettant à  ceux  qui  n'avoient  qu'une  Cu- 
re ,  un  Evêché,aux  fimples  Chapelains, 
des  Cures  &  Prieurés  ,  &  aux  autres  des 
penfions  ordinaires  :  fi  bien  que  corrom- 
pus par  ces  intérêts^  de  Sorboniftes , 
ils  fe  firent  des  boutte-feux  publics, 
&  de  Prédicateurs  des  Encomiaftes  [d] 
de  la  maifon  de  Lorraine  ,  Se  chacune 
de  leurs  chaires  devint  une  école  de  po- 
lice. 

Il  vous  fouviendra,  Meflîeurs,  lon- 

■  a]  De  manière. 
[h]  Careiles ,  flateries, 
c  ]  Prémuni  contre  ces  rufes. 
'_d]  Panégiriftes. 
Recueil  O,  E 


giiement  de  la  journée  des  barricades, 
où  vous  conutes  alTez  clairement  les  def- 
feins  du  DucdeGuife,  qui  fous  prétexte 
d'empêcher  la  correélion  de  douze  ou 
quinze  mauvais  garnemens  ,  &  entre- 
metteurs de  fes  pratiques,  vous  fit  tous 
armera  fouiever contre  votre  Roi, cher- 
chant à  vous  engager  ,  comme  il  fit  par 
quelqu'extrême  méchanceté,  en  Ton  par- 
ti ,  &  vous  obliger  par  ce  crime  de  fé- 
lonie à  lui.  Ou  Ce  fervant  de  votre  fim- 
plicité  ,  il  fçut  fi  finement,  aiguifer  vos 
fureurs ,  qu'il  vous  fit  porter  la  marotte, 
de  vous  fit  indignement  ouvrir  la  guerre 
contre  votre  pays ,  &  contre  votre  Prince 
naturel. 

Dites  moi,  je  vous  prie,  avec  quel 
front  on  peut  défendre  ce  qu'il  fit  lors 
parmi  vous  ,  ou  comme  en  une  ville 
nouvellement  conquife  ,  il  fe  faifit  de 
îoutes  les  fortereffes  ,  en  dejettant  [e"} 
par  grande  violence  tous  les  ferviteurs 
du  Roi  qui  les  tenoienr.  Il  changea  tout 
le  gouvernement  de  la  ville  ,  &  tous 
les  Capitaines  ,  il  compofa  une  nou- 
velle garnifon  dedans ,  &  arma  tous  les 
plus  diffames  &  les  plus  méchants  :  bref, 
:î\  fit  tout  ce  que  peut  faire  un  nouveau 

[e]  .diaflant. 


i  5p  ) 

tyran  ,  qui  Ce  veut  contre  les  loîx  aflTurer 
de  la  poflefîion  d'une  ville.  Tout  cela 
n'étoit  autre  chofe  qu'être  bon  Catho- 
lique ,  ce  n'étoit  point  attenter  contre 
l'Etat,  non  cela  feulement ,  c'étoit  l'cpée 
irenchante  en  la  main,  faire  le  Roi  fu- 
perbement  &  avec  oftentation. 

Mais  qui  peut  fupporter  l'impudence 
de  cette  dénégation ,  quand  on  confi- 
dere  qu'il  fut  encore  fi  naivement  ga- 
land  de  mander  par  toutes  les  villes  du 
Royaume  ,  qu'elles  n'euHent  point  à  y 
recevoir  le  Roi ,  le  voulant  quafi  inter- 
dire de  feu  &  d'eau ,  Se  le  contraindre 
honteufemeut  à  demander  la  vie  pour 
Dieu? 

Je  ne  fçais,  Meflîeurs  »  quel  exorcifme 
vous  pourroit  retirer  de  cet  enchante- 
ment, fi  toutes  ces  chofes  n'y  peuvent 
rien  ;  mais  ajoutez  encore  ce  qui  Ce  pafîà 
jufqu'à  fa  mort,  voyez fes  déportemens 
violens  aux  Etats  de  Blois  ;  Car  le  Roi 
qui  avoir  eftimé  cette  aiïèmblée  nécef- 
faire  pour  pourveoirà  tous  les  defordres 
d^e  fon  Royaume ,  contenter  Con  peu- 
ple, &  s'alTurer  contre  les  ouvertes  pra- 
tiques de  cet  hardy  entrepreneur  ,  s'y 
trouvant  en  perfonne ,  il  fut  étonné ,  que' 
penfant  être  au  milieu  de  Ces  fujets ,  il 

E  ij 


(     100    ) 

fe  vit  de  toutes  parts  environné  d'enne- 
mis ,  qrii  drelToient  des  embûches  à  fa 
vie  &  à  Ton  Etat ,  &  dont  le  Ducde  Guife 
étoit  le  Chef  &  le  Directeur,  qui  publi- 
quement ,  ôc  fans  y  mêler  plus  d'artifi- 
ces ,  faifoit  ce  qu'il  pouvoit  pour  l'exau- 
thorer  [f] ,  &  le  réduire  à  tel  point , 
qu'il  ne  lui  reftât  qu'autant  de  puiflance, 
&  pour  tel  teiHps  qu'il  lui  plairoit,  n'y 
ufant  non  plus  de  diffimulation  ,  que  ce- 
lui qui  porte  la  coignée  au  pied  d'un 
grand  chefne  pour  Tabbatre  ôc  porter 
par  terre. 

Et  comme  ilavoitprépaté  toutes  cho- 

fes  pour  fe  faidr  de  ce  pauvre  Prince, 

èz   le  mener  en    triomphe  captif  dans 

Paris,  Dieu  qui  développe  les  prétextes 

des  injuftices ,  Se  qui  renverfe   fouvent 

fur  le  ieuil  de  fa  porte  ,  celui  qui  fe  pré- 

paroit  à   un  long  voyage  ,   arrêta  tout 

court  le  grand  veneur  ,   &   lui   fufcita 

d'aufli   impitoyables   amis  ,   comme  il 

avoit  été  fanglant  3<:  implacable  en  la  per- 

fécution  de  tant  de  pauvres  gens  de  la 

Religion ,  tellement  que  cette  confpira- 

tion  divinernent  découverte,  le  Roi  le 

prévint  feulement  d'un  jour,&  fut  con- 

\  f]  Lui  faire  perdre,  le  priver  de  fon  au- 
tcrité. 


(loi; 

traint  pour  les  dangers  préfens ,  comme 
il  eft  accoutumé  en  tel  cas  d'Etat ,  de 
commencer  par  rexécuiion  &  par  la  voye 
de  fait. 

Combien  font  grands  les  jugemens 
de  Dieu  :  celui  qui  cette  grande  jour- 
née de  fang  &  cette  journée  flambante 
de  faint  Barthelemi,  avoir  repu  fes  yeux 
de  tant  de  malTacres ,  &  qui  en  avoic 
chanté  le  triomphe  ,  a  été  enfin  abbatu 
d'un  même  effort. 

Cette  mort  iembla  parmi  vous  avoir 
ouvert  toutes  les  digues  &c  rompu  rous 
les  reflorts  des  Enfers ,  6c  débordé  fur 
ce  miférable  Etat  tous  les  feux  d'ire  ôc 
de  vengeance.  Et  comme  nianiacles  & 
gens  forcenez  ,  vous  reçûtes  cette  occa. 
lion  comme  un  flambeau  pour  allumer 
les  feux  parmi  vou?. 

Ce  n'eft  point  ici  le  lieu  où  je  veuille 
prodiguer  des  paroies,  pour  vous  mon- 
trer que  le  Roi  l'avoir  jugement  fait  , 
qu'il  ne  le  pouvoir  autrement,  ëc  qu'il 
l'avoir  ainfi  dû  faire  :  ailleurs  cela,  ôc 
toutefois  vous  dirai-je  en  padant ,  que 
le  Pape  Grégoire  dernier  le  fît  encore 
bien  plus  crueraent  ;  car  lui  qui  dévoie 
pour  Ton  degré  conferver  fes  mains  nettes 
&  immaculées  de  fang,  fit  pourtant  par 

E  ii] 


(    lOl    ) 

/à  Bulle ,  fans  forme  ni  ordre  de  îufti- 
ce ,  afTafliner  cruellement  le  Seigneur 
Patris  ,  Grand- Vicaire  du  feu  Cardinal 
d'Armagnac,  pour  avoir  feulement  conçu 
un  foupçon  qu'il  favorifoitdans  Avignon 
le  parti  François.  Le  Duc  de  Mayenne 
ne  fut  pas  plus  modéré  envers  le  pauvre 
Birague  ,  l'un  des  plus  fidèles  de  fon 
parti,  lequel  fur  un  débile  fujet,  l'af- 
faflîna  de  Tes  propres  mains. 

Mais  encore  quand  bien ,  en  cela ,  le 
Roi  auroit  fait  quelque  chofe  moins 
que  bien  ,  vous  appartenoit-il  d'en  pren- 
dre connoifTance,  &  comme  frénétiques 
&  efprits  de  Bacchantes  ,  courir  aux  ar- 
mes ,  &  vous  élever  contre  lui?  Car  il 
cft  certain  que  Ci  toutes  les  autres  Pro- 
vinces avoient ,  pour  fes  immodérées  li- 
béralitez  quelque  probable  fujet  de  fe 
douloir  [g]  de  lui ,  leurs  dommages  ont 
accru  vos  familles,  &  votre  ville  a  été 
l'éponge  qui  s'efl:  grofîîe  des  mines  pu- 
bliques ,  &  fa  préfence  &  la  fréquence 
[h]  de  fa  Cour  chez  vous ,  avoit  en  dix 
ans  triplé  vos  richefTes. 

Qui  vous  foUicitoit  donc  à  une  (î  in- 
fâme rébellion  ?  Vos  intérêts  domefti- 

fgl  Se  plaindre. 

(h]  Grande  fuite  de  Courcifans. 


(  103  ) 
qnes  ne  le  pouvoienc  faire  ;  des  ofFenfês 
publiques  ,  des  injures  privées  ?  il  n'y 
en  avoit  point ,  de  prétexte  de  Religion  , 
encore  moins  ;  la  vengeance  du  mort  ne 
vous  appartenoit  ,  la  Loi  de  Dieu  le 
vous  défendoit,  routes  lesloix  du  monde 
y  réfiftoient.  Quelle  pouvoit  donc  être 
la  caufe  d'une  fi  grande  commotion  ,  8c 
de  tant  de  fureurs  î  Non  ,  non  ,  croyez 
que  c'ell  Dieu  qui  a  voulu  par  votre 
propre  fer ,  &  par  vos  mains  mêmes 
vous  défaire.  Votre  malice  avoit  monté 
à  fon  comble  ,  &  la  pompe  &  le  luxe 
s'étoient  trop  domefliquez  chez  vous  , 
vous  étiez  trop  attachez  aux  bauges  [ij 
&  au  duvet  d'Epicure,  &  dormiez  trop 
oifeufement  dans  les  délices,  voire  or- 
gueil &  vos  richeffes  vous  ont  font  ou- 
blier Dieu  ,  &  il  vous  a  donné  un  fens 
reprouvé. 

Confidérez  je  vous  prie  ,  aujourd'hui 
l'Etat  de  notre  ville  ,  n'a  guères  la  plus 
célèbre  &  la  plus  opulence  de  l'Europe, 
en  quelles  mains  elle  eft  venue,  &  fous 
quels  Gouverneurs  î  Si  des  déferts  d'Af- 
frique  vous  euffiez  fait  venir  tous  les 
troupeaux  de  bêtes  cruelles  pour  la  dé- 

[i]    Bombances  ,    profufîons  ,    excès    de 
viandes, 

E  iv 


(  104  ) 
peupler  &  rendre  deferte,  en  pouvîez- 
vous  plutôt  avancer  la  ruine?  Et  fi  vous 
cherchez  les  chiens  de  cette  chaflè  , 
vous  trouverez  que  ce  ne  font  ceux  qui 
alloient  par  le  paflTé  de  porte  en  portes 
flairer  les  éviers  [k] ,  bêtes  de  bouche- 
rie &  de  carnage  ,  les  ordures  &  les  plus 
viles  excremens  de  votre  ville,  &  donc 
les  uns  fe  font  emparez  d'une  fortereiïè, 
les  autres  d'une  autre ,  pour  s'alTurer 
contre  la  puilfance  du  Magiftrat ,  & 
brigander  plus  impunément  tout  le 
monde. 

N'avez -vous  point  de  honte,  vous 
autres  Bourgeois  anciens  &  bons  mar- 
chands ,  qui  pofTedez  des  biens  de  jufte 
acqueft  ;  qui  compofez  la  partie  la  plus 
faine  &  la  plus  entière  de  la  Cité ,  qui 
ne  pouvez  conferver  vos  familles  que 
par  un  ordre ,  Se  par  une  police ,  de 
foufFrir  parmi  vous  ces  poudreux  matois, 
&  ces  loups  raviiïans ,  $c  que  vous  ne 
convenez  tous  pour  repnrger  votre  ville 
de  ces  mauvais  garnemens  &  de  vendi- 
quer  la  fôreté  publique?  Car  à  dire  vrai 
votre  ville  eft  aujourd'hui  par  la  pré- 
fence  de  ces  hommes  ,    devenue  une 

[  il-  ]  Canaux  des  cuifines  pour  faire  ccoulet 
les  eaux. 


(    lOT    ) 

nouvelle  Egypte ,  où  toutes  foites  de 
villoneries  [/j  de  vols  publics,  &:  de 
rançonnemens  s'exercent. 

Ne  vous  prend  il  point  envie  de  vo- 
mir ,  quand  vous  voyez  devant  vos  yeux 
ces  harpies  publiques,  un  CommilTaire 
Louchard,  un  Larue ,  Lec'erc,  Olivier , 
Senault  &  leurs  compagnons,  n'a  gucres 
batteurs  de  pavé  ,  èc  pauvres  béliflres 
fe  promener  maintenant  parmi  vous  ac- 
compagnez d'une  grande  fuite ,  &  en- 
richis du  fuc  des  meilleures  maifons? 

.Mais  il  une  étrange  ftupeur  [m]  vous 
tient,  âc  que  vous  foyez  fi  infenllbles, 
que  les  ruines  de  vos  voifins  ,  de  vos 
concitoyens ,  &  de  tant  de  gens  de  bien 
ne  vous  puilTent  mouvoir ,  ouvrez  pour 
le  moins  les  yeux  fur  vous  mêmes ,  & 
voyez  votre  ruine  préfente  ,  jugez  que 
peut  être  la  durée  d'un  gouvernement 
fi  violent,  fi  fanguinaire  ,  fi  confus,  G. 
plein  d'extorfions  î  Combien  peut  durer 
debout  une  République  ,  où  tous  les 
ordres  font  pervertis ,  le  Temple  de  juf- 
tice  poilu  ,  les  crimes  impunis,  l'inno- 
cence opprimée  &  la  violence  en  règne 
où  les  Magiftrats  font  fans  commande- 

[/  ]  Infamies. 
£otj  Effroi. 

Et 


(   \o6  ) 
ment  ,  le   peuple  fans  obéiflance  ,  les 
loix  fans  autorité  ,  les  gens  de  bien  fans 
fuffrages ,  &  où  les  plus  vils  &  les  plus 
méchans  commandent. 

Mais  quand  toutes  ces  confidérations 
cefleroient ,  que  penfez-vous  devenir  ? 
Vous  penfez-vous  égaux  pour  foûtenir 
le  faix  ^e  tant  de  guerres  où  vous  vous 
êtes  jettez ,  pour  vous  oppofer  à  un  11 
grand  Roi,  &  le  plus  grand  Capitaine 
de  l'Hurope  ?  A  toute  la  NoblelTe,  à  tout 
îe  corps  Ariflocratique  de  la  France?  A 
toutes  les  forces  d'Allemagne  ,  de  Dan- 
nemarc  ,  de  Suéde  ,  d'Angleterre  & 
d'EcofTe  ?  Ne  voyez-vous  pas  que  c'eft 
fur  vous  que  toutes  ces  armes  vont  fon- 
dre j  &  que  votre  ville  fera  l'échafFauc 
où  tous  les  ades  de  cette  grande  tra- 
gédie fè  joueront  ?  Quoi  donc  les  autres 
villes  qui  font  entrées  en  ligue  avec 
vous,  vous  fecoureront  ?  Vous  vous  abu- 
fez  ,  penfez  que  chacune  d'elles ,  en  cette 
conflagration  publique ,  fe  trouvera  affez 
empêchée  pour  fe  garder  &  fe  maintenir , 
fans  étendre  des  fecours  à  fes  voifins. 

Confidérez  ,  je  vous  prie,  en  quel- 
les perpicxitez  vous  vous  trouverez  im- 
pliquez. Vous  aurez  toujours  à  vos  portes 
les  armées  des  ennemis  Ôi  amis ,  car  ce 


(  IC7) 
que  pourra  le  Roi  metrre  de  forces  en- 
femble ,  donnera  toujours  à  vous ,  com- 
me étant  votre  prife  la  gloire  de  Tes 
conquêtes ,  &  le  loyer  [n]  de  Tes  guerres, 
contre  lefquelles  vous  ne  pourrez  vous 
garentir,  fi  vous  ne  nourrilTez  toujours 
une  groffe  armée  dans  vos  murailles, 
qui  vous  défera  toujours  autant  que  celle 
des  ennemis  mêmes.  Oîi  tourneront  en 
ces  exrrémitez  vos  ei'pérances  ?  Vous 
vous  jetterez  ,  dit-on  ,  entre  les  bras  des 
Efpagnols.  QLiels  embrafferaens  amou- 
reux !  Mais  croyez  qu'ils  Ce  jetteront 
bien  mieux  entre  les  bras  de  vos  fem- 
mes.Ils  font  Affricains  ,jb.ifanez,  chauds, 
recuits  [o]  fubtiles,  &  qui  feront  bien 
fans  doute  leurs  affaires  parmi  vous. 
Que  ce  fera  un  beau  mélange  d'un  Pa- 
rifîen  &  d'un  Efpagnol ,  d'un  pigeon  &c 
d'un  milan ,  la  belle  lociété  ,  d'un  renard 
&  d'un  oyfon  ! 

Pauvres  gens,  fi  vous  connoifïïez  le 
naturel  del'Efpagnol,  vous  courriez  plu- 
tôt à  la  mort  qu'à  ce  refuge.  S'il  mec 
le  pied  dans  votre  maifon ,  vous  y  aurez 
un  maître  infupportable ,  un  concubi- 
naire  néceffaire  ,  un  adultère  violent , 

[  n  ]  Récompenfe  ,  prix. 
[  o]  Tins ,  rufez, 

E  V] 


(  io8  ) 

un  tyran  impitoyable ,  &  au  lieu  d'un 
hofte,  un  loup  dans  votre  famille.  Sça- 
chez  leurs  déportemens  aux  Indes,  en 
Portugal,  en  Flandres,  en  Italie,  &  en 
tous  les  lieux  où  ils  ont  étendu  leur 
Empire.  Demandez  aux  Milanois  &  aux 
Napolitains ,  combien  eft  douce  leur  do- 
inination.  Demandez  aux  Flamands , 
lesquels  pour  la  férocité  de  leurs  mœurs , 
&  leur  impudique  converfation ,  ils  ne 
retiennent  qu'à  force  de  mords  &  de 
groflès  garnifons. 

Confidérez  l'inégalité  de  ces  deux 
naturels,  le  François  efl  libéral,  fidèle, 
brave  ,  magnanime  ,  courtois  &  amateur 
de  fimplicité  :  rEfpagnol  eft  fuperbe  , 
avare,  cruel,  envieux,  foupçonneux  , 
înfolent ,  grand  vanteur ,  grand  often- 
tateur  ,  8c  par- tout  incompatible. 

S'ils  fe  mêlent  donc  une  fois  parmi 
vous,  adieu  la  pudicité  de  vos  femmes, 
adieu  l'honnêteté  publique  ,  adieu  votre 
liberté,  adieu  vos  liefTes.  L'Inquifition 
fera  incontinent  parmi  vous  ,  &  félon 
que  plus  ou  moins  chacun  de  vous  pof- 
fédera  ,  il  fentira  mal  de  la  foi,  [p] 
vos  belles  femmes  Se  vos  belles  maifons 
vous  feront  tous  les  jours  criminels  d'hé- 
[p]  11  n'auront  point  de  foi,  de  Religion. 


(  109  ) 
téfie.  Vous  ferez  comme  bêtes  de  fom- 
me,  &:  caftadours  [<^]  miférahles  dépar- 
tis dans  les  villes  aux  corvées  ôc  aux 
oeuvres  les  plus  viles  ;  vous  ferez  par 
milliers  tranfportez  aux  Indes  pour  y 
grarer  les  mines ,  vos  portaux  &  poteaux 
publics  feront  reparez  de  vos  têtes  ,  &c 
toutes  les  entrées  de  vos  villes  décorées 
de  gibets  &  de  fourches  publiques  pour 
vous. 

Enquerez-vous,  je  vous  prie,  com- 
bien de  milliers  d'hommes  ils  ont  cruel- 
lement éteint  dans  les  Indes  ;  combien 
en  Flandres ,  combien  en  Portugal  T  On 
n'y  voit  dans  les  places  publiques  que 
quartiers  d'hommes  détranchez  ,  [r]  que 
corps  empaliez,  que  piloris  regorgeant 
de  fang  Ôc  de  carnage  ,  qu'enfeignes  pu- 
bliques de  tyrannie,  &  où  les  prétextes 
de  cruauté  manquoient ,  ils  empoifon- 
noient  les  hommes  pour  époufer  leurs 
femmes ,  &  s'emparer  de  leurs  biens  ôc 
de  leurs  maifons. 

Voilà  donc  en  ce  parti  defefpéré  ,  les 
hommes  auxquels  vous  aurez  à  faire. 

Mais  le  Pape,  dites -vous,  vous  le 
commande ,  il  vous  a  donnez  à  lui ,  & 

[q]  Gens  de  force, 
[r]  Coupez, 


(    IIO   ) 

votre  confcience  vous  y  oblige.  Pauvresr 

gens  infenfez  ,  c'eft  bien  dommage  qu'il 

ne  vous  donne  au  Diable ,  puifque  vous 

Trouvez  bon  qu'il  faflfe  de  vous  comme 

des  cabales  de  Tes  Juifs ,  ou  des  loyers 

de   fes  courcifanes.    Mais   fi  vous  êtes 

marchandife  Ci  troquable  ,  &  de  fi  bonne 

vente,  le  faint  Père  feroit  encore  mieux 

de   vous    tranfporter   par  vailTeaux    de 

charge  fur  les  Havres  de  la  Morée  & 

d'Egypte  pour  vous    vendre  aux  Turcs 

&  aux  Mores,  il  en  tireroit  encore  plus 

d'argent  qu'il  ne  fera  du  Roi  d'Efpagne. 

Quelle  mocquerie  du  monde  !  Que  di- 

roient  aujourd'hui  un  Philippe  Augufte, 

un  Philippe  le  Bel ,    un  Louis  douze  , 

Rois  très-excellents  &  très- Catholiques , 

s'ils  revivoient,  qui  ont   fi  bien    châtié 

de  leurs  temps  les  infolences  des  Papes? 

Quel  malheur   qu'il  femble  fatal  à  la 

Chrérienté  ,   que  ces   bons    Lieutenans 

de  Dieu  foient  toujours  le  flambeau  de 

l'Europe  ,    &    le   champ    qui    produit 

l'yvraie,  &c  la   difcorde  mortelle  entre 

Içf   Chrétiens.    Qu'on  les   ait  toujours 

vus  de  ficelé  en  fiécle  ,  non  comme  une 

fplendeur  éclaire   fur  la  pouppe  de  ce 

vaiffeau  ,  mais  comme  une  grenade ,  ou 

nn  cercle  de  feu  embrafec  toute  l'Eu- 


(III  ) 

rope ,  Se  mouvoir  toujours  des  guerres 
entre  les  Chrétiens?  Ils  nous  ont  depuis 
cinq  cens  ans  bien  fait  connoître  qu'ils 
avoient  reçu  les  clefs  &  la  fucceiïion 
de  faint  Pierre,  non  pour  ouvrir  &  dif- 
penfer  les  grâces  &  bénédi(3:ions  du 
Ciel ,  mais  pour  crocheter  tous  les  trc- 
fors  de  l'Orient  &  d'Occident ,  &  piller 
toutes  les  richelTes  du  monde.  Qu'ils 
avoient  aufli  reçu  la  puiflance  de  lier  6c 
délier,  non  pour  abfoudre  ou  obliger 
les  pécheurs ,  mais  pour  enchaîner  tous 
les  Rois  6c  les  Princes  de  la  terre,  ôc 
fur  routes  les  Puiflances  terriennes  exer- 
cer une  tyrannie  abfolue. 

Que  fi  ces  excellentes  lumières  de  la 
Chrétienté  revivoienc ,  un  faint  Jérô- 
me, un  faint  Auguftin  &  leurs  compa- 
gnons ,  Fondateurs  de  cette  divine  Nef» 
que  diroient-ils  aujourd'hui  devoir,  au 
lieu  de  faint  Pierre  ,  ProfefTeur  de  pau- 
vreté ,  précepteur  d'humilité ,  exemple 
de  fimplicité ,  &c  exhortant  d'obédience , 
un  fuperbe  Crcefus ,  tout  reluifant  d'or 
&  de  richeffes ,  couronné  de  plufieurs 
Couronnes  ,  tout  diapré  ,  tout  emperlé, 
tout  argenté  ,  tout  phaleré,  [s]  élevé 
hautement  comme  un  Bajazet  ,  ou  un 
[s]  Rempli  de  bijoux  &  ornemens. 


(  IIO 

Solyman,  fur  un  trône  fuperbe,  envi- 
ronné de  gardes ,  de  foldars ,  de  garni- 
ions,  &  d'une  Cour  magnifique,  com- 
mandant orgueilleufement  au  Ciel  &  à 
la  terre,  donnant  &  ôrant  à  qui  il  veut 
les  Principautez  &  les  Royaumes  ,  &c 
foulant  aux  pieds  toute  la  rondeur  du 
monde?  Que  penferoient-ils  voir?  ne 
penferoient-ils  point  au  lieu  d'être  ici 
haut ,  fe  promener  parmi  les  Enfers  , 
&  au  lieu  d'un  fucceffeur  de  faint  Pierre  , 
voir  le  Dieu  Pluton  &  le  Dieu  des  ri- 
chefTes  enchaîné  de  lingots  d'or  ? 

Mais  quoi  ;  dire  cela ,  c'eft  porter  le 
feu  dans  la  guefpiere,  &  s'ofFrir  aux 
aiguillons  de  ces  mouches  ,  on  criera 
auflî-tôt  à  l'Hérétique ,  &  déjà  j'entens 
tout  retentir  de  huées.  Non,  non  que 
la  vérité  les  faffè  tant  defpiter  qu'ils 
voudront ,  &  les  fafTe  bondir  de  rage 
comme  une  baie  pleine  de  vent,  qu'ils 
tempêtent  tant  qu'ils  voudront,  malgré 
toute  leur  violence  &  leur  fureur ,  elle 
fe  dira. 

J'appelle  Dieu  à  témoin  de  mes  pa- 
roles, &  pour  vengeur  Eternel,  Ci  je  dis 
un  parjure  ,  que  je  fuis  &c  ai  toujours  été 
de  la  Religion  Catholique,  &  qui  n'ai 
jamais  adhéré  ni   confenti  aux   inftrucr 


tîons ,  ni  aux  Sea.es  de  Calvin ,  ni  de 
Luther ,  8c  toutes  fois  demeurant  dans 
ce  cercle  ,  je  n'y  veux  être  privé  du  fens 
commun ,  &c  y  perdre  la  faculté  de  fa- 
VGurtT  les  bonnes  ôz  mauvaifes  chofes. 

C'eft  pourquoi  je  dis  que  faint  Pierre 
n'a  jamais  rien  entrepris  fur  Céfar  ,  qu'il 
n'a  jamais  rien  entrepris  fur  les  Puidan- 
ces  temporelles,  que  Dieu  l'a  défendu, 
&  que  par  l'exemple  de  fa  vie  ,  il  a 
montré  cela  répugner  à  fa  profefTion  , 
que  partant  c'ell  chofe  que  le  Pape  ne 
peut  faire  ,  félon  Dieu ,  &  que  s'il  le 
fait,  c'efl  par  violente  ufurpation. 

Mais  foient  toutes  ces  raifons  mifes 
fous  le  pied  ,  voyons  encore  ce  que  vous 
pouvez  efperer  de  TEfpagnol  î 

Ce  Roi  eft  vieux,  déjà  radotant,  ôc 
déjà  un  pied  dans  le  tombeau  ,  duquel 
tous  les  Etats  branlent,  ôc  ne  font  qu'at- 
tendre que  cet  horloge  fonne  pour  fe- 
couer  le  joug  :  fon  Empire  eft  comme 
un  bufîet  marqueté ,  compofé  de  pièces 
rapportées ,  il  eft  compofé  de  conquêts 
injuftes  &  de  chofes  ravies ,  il  n'eft  fondé 
que  fur  la  force,  &  qui  par  une  autre 
force  au  premier  jour  fe  diffipera.  Si 
cela  advient,  comme  cela  arrivera  ,  que 
deviendra  votre   fecours  l   Vous  vous 


(  114) 
trouverez  ,  comme  on  dit  ,  un  pied 
chauffé  &  Tautre  nad,  &  entre  deux  fers 
une  goffre  ,  &  vous  ne  pourrez  lors  évi- 
ter le  jufte  châtiment  de  votre  foi  vio- 
iée,  &  par  celui  qui  juftement  le  pourra. 

Quoi  donc  î  le  Pupile  &  l'Infante  d'EC- 
pagne  vous  couvriront  encore  de  cette 
louche  ?  Vous  avez  afTez  chèrement 
éprouvé ,  ce  que  vaut  le  gouvernement 
de  la  femme  &  du  mineur,  ôc  croyez 
qu'ils  trouveront  lors  aiïez  d'empêche- 
mens  chez  eux,  (ans  étendre  leurs  plu- 
mes fur  les  criblures  d'autrui  [r]. 

Mais  donnons  à  toutes  vos  efpéran- 
ces  leur  cours,  ôc  que  ce  Roi  vive  au- 
tant qu'il  faut  pour  conquérir  la  France, 
donnons  lui  déjà  la  conquête  fans  con- 
tredit. Q^ie  jugez-vous  qu'il  fera  alors 
de  vous  l  Penlez-vous  pas  qu'il  ne  con- 
noiffe  que  votre  défefpoir ,  &  non  votre 
amour  ,  vous  aura  rendu  fiens  ?  Penfez- 
vous  que  l'exemple  de  votre  déloyauté 
ne  lui  rende  votre  foi  fuipedle?  Et  que 
le  crime  de  votre  félonie  ne  lui  rende 
toujours  fon  odeur  naturelle  ?  Sur  quoi 
pourra- 1  il   affermir    fa   nouvelle    con- 

[  t  ]  Quand  on  vane  le  blecî  ,  on  Ce  (en 
d'une  plume  pour  faire  tomber  les  balles, ou 
écorces  de  grain. 


(115) 

c^uête  ,  &  la  durée  de  votre  fubjeiflioni 
finon  (ur  la  force,  fur  les  fers,  fur  les 
manotres ,  fur  des  fpeâ:acles  de  gibers  , 
&  fur  des  gro(Tès  garnifons  ?  Quand  il 
confiderera  à  quelles  gens  ,  &c  à  quel 
peuple  il  aura  à  faire  ?  Ne  doutez  nul- 
iemenc  que  cela  ne  fût  ,  &  que  vous 
n'y  reçuiïîez  des  loyers  dignes  de  votre 
mérite. 

Mais  partons  plus  avant ,  &  que  toutes 
ces  confidérations  foient  mifes  arriére; 
donnons  que  vous  foyez  afTez  puilTans 
pour  corrompre  tous  droits  divins  & 
humains ,  &  pour  renverfêr  la  fucceffion 
de  France.  Que  deviendra  lors  cette 
Monarchie?  en  combien,  je  vous  prie 
de  ruiffeaux  fe  départiront  les  eaux  de 
ce  grand  fleuve  ,  fi  fon  canal  naturel  eft 
rompu  ?  L'Efpagnol  y  partagera  une 
Province  ,  le  Duc  de  Mayenne  en  re- 
tiendra une  autre,  le  Marquis  de  Pont, 
&  le  Duc  de  Savoye  chacun  la  fienne. 
Combien  encore  d'autres  Seigneurs  y 
lopineront!  Combien  de  petites  tyran- 
nies y  naîtront ,  combien  de  petites  ré- 
publiques s'y  formeront ,  &  combien  de 
villes  s'y  cantonneront  î  Et  quand  cette 
face  miférable  d'Etat  adviendra,  penfez 
ce  que  vous  ferez  alors ,  &  ce  que  vous 


(  iiO 

deviendrez  ,  vous  ferez  toujours  en  guer- 
res mortelles  avec  vos  voifïns ,  &  une 
journée  de  voyage  vous  jettera  hors  des 
frontières  de  votre  pays  :  comme  l'oifeau 
confine  dans  la  cage,  ou  le  poilTon  tiré 
des  grandes  mers  dans  un  petit  ruifleau, 
vous  fentirez  votre  liberté  oppreflee  , 
&  defirerez  tous  les  jours  n'avoir  jamais 
été. 

Mais  quand  toutes  lesraifbnsdu  mon- 
de feront  mortes  avec  vous,  faites  du 
moins  que  les  chofes  mêmes  vous  inf- 
truifent ,  ne  jugez  de  la  chaleur  du  feu, 
qu'en  le  touchant,  ni  de  la  clarté  du 
jour ,  qu'en  ouvrant  les  yeux ,  voyez  ce 
que  vous  avez  encore  avancé  depuis  le 
commencement  de  ces  troubles ,  ôc  ou 
vos  affaires  font  réduites.  Votre  ville  efl 
ruinée,  vos  Finances  font  épuifées,  vos 
forces  rompues,  vos  partifans  confternez 
&  tous  vos  moyen*;  particuliers  fi  à  Té- 
irvoit ,  que  déjà  la  famine  vous  preiïè. 
L'injuftice  de  votre  caufe  parle  tout  haut: 
Dieu  combat  contre  vous ,  fa  faveur 
vous  abandonne  ,  fa  vengeance  vous 
pourfuit  ,  toutes  chofes  vous  tournent 
à  rebours ,  &  tous  vos  fuccès  condam- 
nent vos  pourfuites. 

Q.ue  dites-vous  de  la  bataille  de  Senr 


(II?)     , 

lis  ,  ou  dix  hommes  en  ont  bâta  cent  s 
ik  les  cent  en  ont  combattu  mille  ?  Que 
dites-vous  de  tant  de  rencontres  petites 
&  grandes ,  ou  vous  avez  toujours  été 
battus  ?  Que  jugez-vous  de  cette  charge 
d'Arqués,  ou  quatre  cens  chevaux  en 
ont  foûtenu  quatre  mille,  que  dis-je, 
foûtenu  ,  mais  attaqué,  couru,  &  mené 
battant  jufques  dans  le  gros  de  leur  ar- 
mée ,  compefée  de  quarante  mille  hom- 
mes ,  avec  la  perte  de  leurs  meilleurs 
Capitaines  î 

Qui  fit  donc  cet  exploit  fi  glorieux., 
.ce  fut  le  Roi  en  perfonne ,  toujours  le 
premier  à  la  charge ,  &c  le  dernier  à  la 
retraite  ,  &c   comme   les  portes  paniers 
de    Madame    de   Montpenfier    crioienc 
dans  Paris  fa  perte  &  fa  défaite,  vous 
le  vîtes  comme  un  fubit  éclair  ,  auflîtôt 
paroître  à   vos  portes  ,  &  qui  vous  en 
apportoit  des  nouvelles  :  &  en  même- 
temps  le  fentiftes  à  vos  dépens    forcer 
tous  vos  Fauxbourgs ,  avec  un  tel  éton- 
nement  de  vos  protedeurs ,  Se  une  telle 
confternation  publique  ,   que   Ton    n'y 
entendoit  que  pleurs  par  tout  &  gémif- 
femens,  fajis   que  jamais  il  parût  dans 
la  ville  un  feul   foldat  des  vôtres  pour 
la  défendre. 


C  iis  ) 

Ec  C\  ce  Prince  n'eue  aimé  votre  fa- 
lut,  beaucoup  plus  que  vous  ne  faites 
vous-même  ,  &  qu'il  n'en  eut  craint  le 
Tac  Se  le  pillage,  vous  étiez  fans  doute 
à  lui  ,  &  votre  fecours  y  fût  trop  tard 
venu. 

Il  me  déplaît  grandement  que  vous 
foyez  toujours  badauts ,  &  que  les  plai- 
fanteries  de  Madame  de  Montpenfier  ôc 
toutes  ces  petites  drogues  de  femmes  > 
qui  à  peine  tromperoient  deux  fois  un 
enfant ,  vous  entretiennent  toujours  en 
votre  oyfonerie  accoutumée  ;  vos  vies 
ôc  vos  fortunes  ne  font  plus  foûtenues 
que  de  coulis  &  de  reftaurants ,  &  des 
menus  artifices  de  Madame  de  Mont- 
penfier :  Elle  vous  entretient  de  petits 
portraits  d>c  de  petits  libelles ,  tantôt  on 
crie  une  défaite ,  tantôt  la  mort  aux  rais 
&  aux  fouris,  tantôt  la  mort  de  quelque 
Capitaine,  &  de  cela  on  vous  fait  lar- 
gefîe  pour  votre  argent. 

Et  pendant  que  votre  Lieutenant  gé- 
néral ferre  étroitement  le  béguin ,  qu'il 
vous  met  en  main  la  fonette  &  le  ho- 
chet ,  qu'il  vous  parle  d'une  baveroUe,  [u] 

[u  ]  Morceau  de  toile  &  d'étoffe  que  l'on 
met  (ous  le  menton,  à  préfent  bavette. 


'    (   119  ) 
8c  qu'il  fait  Tes  befognes   parmi  vous , 
vous  périlTez  tous  miférablement. 

Mais  dites-moi ,  je  vous  prie ,  qui  a 
dcferé  cette  qualité  ambitieufe  &  magni- 
fique au  Duc  de  Mayenne ,  de  Lieute- 
nant-général de  l'Etat  ôc  Couronne  de 
France  ?  Cela ,  Empereur  ,  Roi ,  Monar- 
que, font- ce  pas,  comme  nous  vivons, 
tous  fynonimes  ?  Ne  font  -  ce  pas  tous 
titres  de  fouveraine  dignité  ?  Sont  -  ce 
trente  ou  quarante  Louchards  &  Oli- 
viers ,  qui  ont  compofé  en  France  ce 
nouveau  Magiftrat  fouverain. 

Les  Bouchers  de  Paris  du  temps  de 
Char'es  VL  en  voulurent  faire  autant 
du  Duc  de  Bourgogne ,  s'ils  l'eudent 
trouvé  capable  de  fi  grande  folie.  Qiielle 
lifée  que  cette  fouveraine  dignité, qui , 
à  qui  que  ce  foit,  ne  pouvoit  par  les 
trois  Etats  même  de  France ,  vivant  le 
Roi ,  être  déférée ,  l'a  pourtant  été  au 
Duc  de  Mayenne,  Se  par  un  petit  nom- 
bre du  bas  populaire  de  Paris ,  avec  le 
mépris  extrêrric  des  trois  Erats,  &  fpé- 
cialement  de  toute  la  Noblefïe  ,  à  la- 
quelle comme  au  plus  digne  membre 
de  la  Monarchie ,  ce  fait  touchoit  davan- 
tage. Au(u  on  ne  voit  aucun  vrai  Gen- 
tilhomme le  reconnoître  pour   tel ,  ni 


(     110    ) 

fnatcher  fous  fes  enfeignes ,  &  fi  quel- 
qu'un l'a  fait,  inconcinenc  mieux  avifé, 
il  s'en  eft  retiré ,  &r  à  bien  l'eftimer ,  il 
n'eft  rien  davantage  que  Prévôt  des 
Marciiands  &  Echevin  dans  Paris ,  en- 
core moins  folemnellement  créé  que  de 
coutume. 

Il  eft  le  Tribun  du  peuple  j  &  fa  guer- 
re &  la  vôtre  eft  la  guerre  du  peuple, 
contre  les  Etats  Royal  &  Ariftocratique: 
Car  fans   doute,    &  tout    le  monde  y 
voit  clair  ,  vos  vrais    defteins   font  de 
vous    affranchir   en    Démocratie  ,  être 
xçgis  par  Tribuns ,  &  Magidrars  popu- 
laires ,  ufurper  une  puiftànce  fur  toutes 
les  autres  villes  de  la  France,  extermi- 
ner toute  la  Noblefte  &z  vous  emparer 
de  tous  leurs  biens.  Ne  font-ce  pas  les 
ordinaires  difcours  de  vos  féditieux  prê- 
cheurs, que  toute  la  Noblefie  eft  Hé- 
rétique ,   qu'elle  eft  ennemie  de   l'Etat 
populaire,  qu'elle   s'oppofe  à   vos  def- 
feins,  &  qu'il  la  faut  exterminer  ?  Ils 
n'ont  en  la  bouche  que  fang ,  que  meur- 
tres,  que  maffacres ,  ils  ne  parlent  que 
de  tuer ,  que  de  meurtrir  ,  que  de  brû- 
ler ,  &   que  de  pendre ,  &   la   férocité 
de  ces  mots  font  les  délices   de  leurs 
langues. 

Mais 


Mais  qui  peut  dire  (ans  trefTaillir  le* 
e"xtrêmes  dcbordemens  &c  les  violences 
de  ces  loups  publics  ,  de  de  ces  bourte- 
feux  enragez? Un  impudent  incefte,  Pi- 
genat  &  cinq  ou  fix  autres  leurs  com- 
pagnons ,  les  inftrumens  maudits  de  tant 
de  playes  publiques ,  qui  ne  fe  font  con- 
tentez d'avoir  fufciré  un  Moine  défefpéré 
pour  meurtrir  &  âfTadîner  cruellement 
notre  Roi  :  mais  encore  après  cela  pu- 
•bliquement  contre  le  mort  ils  ont  vomi 
de  leurs  ordes  [x']  poitrines  &  dégor- 
gé toutes  les  plus  vilaines  ôc  les  plus 
puantes  injures ,  que  le  plus  contume^ 
lieux  [j]  monftre  d'Enfer  fçauroit  iti- 
vsnter. 

Quelle  plus  abominable  impiété  ,  ont- 
il  pu  avoir,  lorfqu'il  vivoit,  d'avoir  dé- 
fendu de  prier  Dieu  pour  lui ,  &  con- 
cinuent  impudemment  aux  mêmes  dé- 
fenfes  après  fa  mort.  Quelle  inftrudion 
Chrétienne  en  la  bouche  de  ces  cruels 
Scythes  ? 

Dieu  par-tout  nous  recommande  la 
miféricorde  ,  nous  commande  de  prier 
pour  nos  plus  cruels  ennemis,  &  nous 
défend  la  vengeance.    Ce  font  fcs  pa- 

[x]  Sales,  infedes, horribles, 
[y]  Inlolent. 

Recueil  0%  I? 


rôles  i  6c  les  droits  chemins  de  notre 
faluc  ;  &  ces  monftres  fanguinaires  bat- 
tent publiquement  le  tambour,  prêchent 
la  guerre ,  prêchent  la  vengeance  ,  & 
vous  défendent  de  prier  Dieu  pour  votre 
Roi  vivant  &  mort  ;  mais  s'ils  prêchoient 
contre  Dieu  même ,  les  croiriez-vous  ? 
Etes-vous  Cl  privez  du  fens  commun  & 
de  la  connoilTance  du  bien  ,  que  vous 
ne  puifliez  connoître  que  ce  font  parmi 
vous  efprits  malins  j  &  Anges  de  ténè- 
bres qui  vous  féduifent  ?  Que  ce  font 
efprits  de  guerre  &  de  difcorde  qui  vous 
engagent  en  des  chemins  de  perdition  î 
Mais  ils  vous  ont  encore  promis  un  au- 
tre exploit  de  Moine ,  &  de  faire  bien- 
tôt anaffiner  notre  Roi.  Ils  ont  ,difent- 
sls,  par  voyedixou  douze  entrepreneurs 
défefperez ,  &  dont  il  ne  pourra  éviter 
la  main  de  quelqu'un  ,  il  vous  difeni  à 
l'oreille,  patience,  &  que  bifntôt  on 
verra  éclore  ce  fecret. 

Quels  Charlatans ,  &  quels  endor- 
meurs  de  fouris  ,  quelle  efpérance  de 
meurtriers  >  Mais  Dieu  &  l'amour  de 
Tes  bons  fujets  &  ferviteurs  le  garde- 
ront ,  £>(  par  fa  providence  leurs  mauvais 
confeils  feront  diflipez. 

Et  toutefois  quand  une  Ci  déteflable 


cntreprife  fuccederoic ,  penferiez-vous 
être  mieux  î  &  que  pour  un  homme 
qui  s'oppofe  à  vos  forfaits ,  Dieu  n'en 
fufcirâr  cent  ^  Les  mêmes  inrcrcrs  ne 
ralIieroienc-i!s  pas  toujours  les  mêmes 
hommes  à  la  pourfuite  d'un  même  bien , 
d'un  même  établiflTement  public  Se  d'une 
même  caufe  î  N'en  doutez  nullement, 
&  croyez  que  Ci  votre  châtiment  en  étoic 
pour  quelque  temps  différé  ,  que  h  gra- 
vité de  la  peine  récompenferoit  bien 
après  le  retardement  du  fupplice. 

C'eft  pourquoi,  Mefîîeurs  ,  tous  ces 
partis  défefperez  vous  montrent  par-tout 
des  précipices  ,    &  de  tous  cotez  que 
vous  tourniez ,  votre  ruine  efl:  toujours 
à  deux  pas  de  vous.  Et  toutefois  fi  vous 
voulez  tourner  la  tefte  fur  les  chemins 
.  que  vous  fuyez,  vous  y  trouverez  aufïï- 
tôt ,  avec  votre  repos  aflTuré  ,  tout  le 
bien  &  contentement  que  vous  fçauriez 
dé/irer.  Vous  aurez  à  faire  à  un  Prince 
votre  Roi  naturel  ,  tout  plein  de  bonté 
&  de  douceur,  qui  vous  tend  les  bras, 
&  qui  vous  recevra  à  fi  juftes  &  équi- 
tables conditions ,  qu'il  ne  vous  pourra 
relier  aucune  crainte  que  pour  les  cho- 
fes  palTées  ;  c'eft  le  feul   parti  qui  vous 
peut  tous  fauver,   &  vous  dégager  de 

Fij 


(    124    ) 

tant  de  follicitudes  &  d'ennuis  où  vous 
êtes  av>)ourd'hui  plongez.  Ceft  aujour- 
d'hui le  feul  parti  François;  car  comme 
ce  Chef  eft  le  lien  qui  ralTemble  tous 
les  membres  de  la  Monarchie ,  &  qui  en 
conferve  l'union  :  aulîî  fans  doute  s'il 
défaut  à  ce  corps,  il  eft  impofïible  que 
toutes  les  parties ,  comme  les  pièces  d'un 
naufrage  ,  ne  foient  battues  de  la  tem- 
pefte ,  ôc  déjettées  en  parts  toutes  con- 
traires. Je  fçais  que  ceux  qui  font  ten- 
dres des  yeux ,  les  moindres  vents  les 
offenfent ,  &c  que  ceux  qui  ont  les  efprits 
difpofez  à  la  difcorde  ,  les  moindres 
bledures  aiguifent  leur  acrimonie  ,  & 
leur  font  oublier  l'amour  de  la  paix  ; 
mais  les  hommes  fages  ne  laifTent  jamais 
tant  gagner  fur  eux,  qu'il  ne  fe  trouve 
toujours  le  jour  quelque  bonne  heure  , 
où  la  raifon  ,  comme  le  Liège ,  ne  re- 
tinonte  &  ne  regagne  le  delTus  chez  eux. 
Il  me  femble  qu'après  avoir  adez  lon- 
guement cherché  un  fonds,  &  ne  l'avoir  i 
pu  trouver  ,  vous  devez  en  mer  plus 
calme  jetter  votre  ancre,  &  changer  de 
Pilote  &  de  navigation,  c'eft  chofe  aifée 
à  faire,  &:  beaucoup  plus  que  je  ne  peux  [ 
dire  ,  il  ne  faut  que  le  vouloir ,  &  il  fera 
fait. 


(  iM  ) 

Je  fçais  que  ceux  qui  voudroîent  voi>s 
voir  brûler  jufqu'àla  dernière  flaméche, 
vous  oppofent  toujours  rempêchemeiic 
de  la  Religion  ,  &  par  ces  craintes  tant 
redites ,  s'efForcent  de  vous  fermer  l'en- 
trée de  ce  port  ;  mais  quand  vous  vou- 
drez faulTer  cette  barrière  enchantée ,  Se 
vous  difpofer  à  voir  ce  qui  eft  par  delà, 
vous  trouverez  le  Roi  en  toute  cette 
confidération  fi  raifonnable  ,  &  qni  fe 
difpofe  en  tant  de  moyens  légitimes 
pour  cela  ,  &  à  recevoir  infîru£lion  ,  que 
vous  &  tous  les  autres  bons  Catholiques, 
aurez  occafion  de  vous  en  bien  con- 
tenter. 

Il  eft  Prince  de  foi  ,  Prince  très- vé- 
ritable ,  très  homme  de  Disu  ,  qui  crâiî»? 
Dieu ,  &  jamais  ne  varia  de  fa  parole , 
ni  ne  manqua  de  foi. 

Et  fi  vous  rejettez  ces  moyens  de 
paix  ,  &  ce  fur  abry ,  &  que  duriez  en 
votre  opiniâtreté  ,  je  vois  votre  faluc 
défefperé ,  Se  votre  perdition  préfenre 
inévitable,  &  toute  afTurée ,  Se  que  où 
la  douceur  ne  vous  aura  pu  ramener,  la 
force  le  fera  avec  un  châtiment  fi  mé- 
morable, que  vous  fervirez  d'exemple 
à  toute  la  poftérité. 

F  iij 


(  11^  ) 


MEMOIRE  de  ce  qui  s'e(l  paffé  dans 
la  retraite  &  délogement  du  Duc  de 
Parme  hors  de  France. 


L  s  eft  vu  par  les  récits  précédens , 
comme  dès- lors  que  le  Duc  de  Parme 
eue  joinc  l'armée  du  Duc  de  Mayenne 
auprès  de  Meaux  à  la  fin  du  mois  d'Août 
précédent.  Le  Roi  ayant  confideré  qu  en- 
cores  qu'il  fut  venu  toujours  publiant 
çu'il  donneroit  bjtaille,  fitot  qu'il  l'au- 
roic  pu  approcher  ,  néanmoins  que 
l'ayant  relevé  de  la  peine  de  faire  tout 

Iech<fmin,&l«iéc— vtnunudêVâiu 
iiifques  au  village  de  Chelles  ,  &  lui 
ayanc  trois  jours  durant  préfentéle  corri- 
bat  fans  l'y  avoir  pu  attirer ,  au  con- 
traire qu'il  faifoit  gloire  de  s'en  être  pu 
excufer  ,  il  prévit  qu'il  ne  feroit  pas 
grand  progrès  en  Ton  voyage ,  &  qu'il 
lui  adviendroit  de  cette  armée,  comme 
de  quelques  autres  qu'il  avoit  déjà  con- 
duites j  qui  avoient  fait  beaucoup  de 
bruit  &  peu  d'effet ,  &  jugea  que  ledit 
Duc  de  l'arme  feroit  contraint  de  s'en 
rerourner  dans   la  fin  de  l'année  fans 


(   117) 
grand  contentement  ni  avantage  de  Ton 
voyage. 

S'étant  fur  cette  opinion ,  prife  néan- 
moins fur  de  bonnes  ëc  pregnantes  rai- 
fons ,  principalement  réfolu  à  la  répara- 
tion qu'il  fit  de  Tes  forces  ,  &  diftribu- 
lion  d'icelles  en  ces  Provinces  :  comme 
cette  prédiction  eft  bien  particulière- 
ment décrite  par  les  mémoires  qui  eii 
furent  dès -lors  envoyés  aux  Gouver- 
neurs des  Provinces ,  en  quoi  S.  M.  ne 
s'eft  de  rien  mefconrée  ,  linon  qu'elle  y 
a  été  devancée  de  quelque  temps  ,  ayant 
borné  le  terme  du  féjour  du  Duc  de 
Parme  en  ce  pays  jufqu'à  la  fin  de  ce 
mois  j  mais  lui,  qui  en  chofe  qui  lui  tou^ 
choit  de  plus  près,  a  été  plus  exad  Ôc 
plus  judicieux  que  nul  autre  ne  pouvoit 
ccre  ,  ayanr  reconnu  par  la  pré(ence  & 
contenance  de  cette  Noble(îe,qu'il  voyoic 
aiïemblce  dans  la  plaine  de  Chelles  » 
lorfque  la  bataille  lui  fut  offerte,  qu'il 
n'y  auroit  rien  à  gagner  d'en  venir  au 
combat  avec  eux  ,  outre  ce  qu'il  en  avoit 
entendu  par  ceux  qui  s'étoient  pu  fau- 
ver  de  la  bataille  d'Ivry ,  que  cent  de 
tels  gendarmes  ne  marchandcnr  point 
pour  enfoncer  cinq  cens  lanciers  Wal- 
lons ou  Italiens ,  &  que  l'on  nen  voyoic 

F  iv 


pomt  qui  les  eudènc  attendus,  qu^^ils  ne 
s'en  fuflent  repentis.  Ayant  auiîî  expé- 
rimenté aux  deux  Villes  de  Lagny  & 
Corbeil ,  qu'il  avoit  attaquées  ,  que  l'In- 
faaterie  Françoife  étoit  même  à  garder 
places ,  toute  autre  chofe  que  celles  qu'il 
a  pratiquées  en  d'autres  fiéges  ,  ayant 
■vu  à  bien  peu  de  gens  prendre  cette  ré- 
folution  d'attendre  cette  puiflTante  armée, 
&  toute  fraîche  en  deux  petites  bico- 
ques ,  cil  il  femble  que  cent  hommes 
n'en  devroient  pas  attendre  cent  cin- 
quante, &  néanmoins  les  lui  avoit  fait 
fi  chèrement  acheter. 

A'mCi  prévoyant  qu'en  ces  deux  exer- 
cices d'armée  de  combattre  en  la  cam- 
pagne, ou  en  fiéges  de  places,  il  n'y 
pouvoir  rien  avancer  :  au  contraire  que 
c'étoit  hazarder  toute  la  réputation  qu'il 
penfè  avoir  acquife,  il  ne  voulut  pas 
pour  complaire  à  autrui  fe  perdre  foi- 
même,  &  réiolut  prudemment  des  k 
fin  du  mois  d'Oélobre  de  le  retirer  , 
dont  S.  M.  avertie  ,  elle  délibéra  aufll- 
tot  qu'il  étoit  néceffaire  qu'il  fe  trouvât 
en  perfonne  fur  cette  retraite  ,  y  étant 
(  outre  qu'elle  eflima  qu'il  y  alloit  de  fa 
réputation  ,  qui  peut  près  d'elle ,  ce 
qu'elle  put  jamais  &  fçauroit  pouvoir 


C  129  ) 
envers  aucun  aurre  Prince  )  perfuadé  par 
ïfois  principales  raifons.  La  première  , 
qu'y  écanr,  i!  étoit  certain  que  toute  la 
NoblefTe  la  viendroit  trouver  de  toutes 
les  Provinces  voifines;  ce  qu'ell*^  n'eue 
pas  peut-être  fait,  au  moins  lî  volon- 
tiers ,  fous  quelqu'autre.  Et  le  Duc  de 
Parme  fçachant  cette  troupe  enfemble  , 
ne  Ce  hazatderoit  pas  de  rien  entrepren- 
dre, ce  qu'il  eut  pu  faire  ,  fi  elle  n'y  eut 
point  été.  L'autre ,  qu'ayant  cette  No- 
blelTe  qui  eft  fi  valeureufe,  &  déjà  ac- 
coutumée à  combattre  fous  elle  ,  &  étant 
conduite  de  fa  main  ,  qu'il  faudroit  de 
néceiïité ,  chj  que  l'armée  du  Duc  de 
Parme  marchât  fort  ferrée,  &  parcon- 
féquerït  fort  incommodée,  ou  qu'il  leur 
en  demeurâc  toujours  quelque  proye  r 
Et  la  dernière  qu'il  contrai^noit  le  Duc 
de  Mayenne  de  venir  avec  (es  meilleures 
forces  accompagner  le  Duc  de  Parme, 
&  par  même  moyen  lailTèr  quelques 
places  dégarnies,  où  fon  armée  pourtoir 
cependant  plus  facilement  entreprendre , 
&  profiter  en  quelque  chofe  ,  ce  que 
es  fufdiîs  trois  points  eft  fuccedé  forr 
heureu(emenc^ 

Le  Duc  de  Parme  ayant  félourné  plus 
£un  mois  eiitiec  au  fiége  de  Coibetl» 


(MO) 
y  féjoiirna  encore  trois  femaînes  après 
la  prile»  combattu,  comme  il  eft  à  pré- 
fuiner  ,  du  defir  qu'il  eût  eu  d'arraquer 
Meiun,  &  de  la  crainte  de  n'y  acqué- 
rir que  de  la  honte,  fentanc  cette  gar*- 
n  Ton  Cl  gaillarde,  qu'au  lieu  de  l'affa- 
mer par  la  préfence  de  Ton  armée ,  elle 
ne  vivoit  quaiî  plus  qu'à  fes  dépens ,  ne 
fe  partant  jour  qu'elle  n'en  eut  quelque 
proye  nouvelle  ,  ce  qui  fut  cauîê  qu*à 
la  fin  il  s'en  éloigna  de  cinq  ou  fix  lieues 
pour  Ce  tenir  plus  fûremenr. 

S.  M.  en  étant  avertie,  voyant  bien 
que  c'cîoit  pour  s'en  aller  à  bon  efcient. 
Ce  rcfolut  de  partir  d'Ecouy  en  Norman- 
die le  4.  Novembre  dernier ,  avec  ce 
qu'elle  avoir  de  Cavalerie  Françoife  » 
qui  n'étoit  pas  en  grand  nombre  ,  & 
quelques  Arquebufîers  à  cheval  ,  laif- 
fant  (on  armée  fous  la  charge  du  Ma- 
réchal de  Biron  pour  l'exploiter  en  ce 
qu'il  connoîtroit  de  plus  propre,  il  laifla 
aufîîen  Ton  armée  ,  M.  le  Chancelier  Se 
trois  de  Tes  fecrétaires  d'Etat  pour  vaquer 
aux  affaires  qui  fe  pourroienr  préfenrer 
pendant  Ton  voyage ,  qu'il  vouloir  tout 
donner  à  travailler  fes  ennemis  en  leur 
retraire. 

Il  Ce  rendit  après  à  Compiegne  ,  01) 


(  IM  ) 

il  ne  réjonrna  gueres ,  que  toute  la  No- 
hiefle  de  Picardie  ne  fe  vint  rendre  à 
lai,  6c  fie  incontinent  un  corps  de  huit 
cens  bons  chevaux. 

Il  eut  peu  de  jours  après  la  nouvelle 
comme  la  ville  de  Corbeil  la  nuit 
veille  de  faine  Martin  avoit  été  reprife, 
ce  'i:{u'elle  eftima  pouvoir  faire  deux 
effets  j  on  que  le  Duc  de  Parme  reiour- 
neroit  pour  la  reprendre  ,  auquel  cas 
elle  étoit  bien  réfolue  de  l'aller  trouver 
pour  le  combattre ,  ayant  foudainemenc 
averti  tous  ceux  qui  pouvoient  y  venir  j 
ou  s'il  ne  retournoit  à  Corbeil,  qu'il  fe 
hâteroic  de  partir  pour  fon  retour  ;  mais 
il  ne  fit  ni  l'un  ni  l'autre  ;  car  ùm  re- 
tourner en  arriére  ,  il  ne  marcha  pas 
aulïî  en  avant  ,  Se  fejourna  quelque 
temps  aux  environs  de  Château  Thierry , 
ce  qui  fut  caufe  que  S.  M.  y  alla,  &  y 
lailTa  M.  de  la  Noue  avec  bonne  troupe 
de  Noblerte  pour  l'y  attendre  s'il  le  fut 
venu  afiîéger. 

Quelques-uns  des  (îens  ont  voulu  dire 
pour  l'excufer  en  ce  long  féjour  inur  le 
qu'il  fit  en  ces  quartiers  là ,  que  c'étoit 
pour  fe  faire  plus  chèrement  acheter  par 
ceux  de  Paris  I  ou  bien  pour  attendre  il 
le  traité  de  paix  que  le  fieur  de  Mayenncf 

F  V) 


(  m  ) 

avoir  par  le  fieur  de  Villeroy  fait  re- 
mertre  en  avant  n'en  irriteroit  point 
quelques  -  uns  de  ce  parti  qui  vindent 
recourir  à  lui,  &c  le  proclamer  leur 
chef:  mais  la  vérité  fut  qu'il  jugea  bien, 
qu'étant  abandonné  des  Fiançois  ,  ôc 
n'ayant  plus  près  de  lui  que  le  refte  de 
ceux  qu'il  avoit  amenez  ,  contre  lefquels 
tous  élemens  croient  ici  conjurez  tant 
ils  s'y  éroient  mal  comportez,  qu'y  fé- 
journant  davantage  ,  il  y  pouvoit  arri- 
ver quelque  grand  malheur ,  &  finidre 
accident ,  &  aufli  que  ne  fe  voulant  fier 
en  ies  ieules  forces  pour  fon  retour ,  il 
attendoit  celles  que  ledit  fieur  Duc  de 
Mayenne  avoit  mandées  pour  pouvoir 
cheminer  plus  fûremenr. 

Ces  forces  arrivées,  le  DucdeParmg 
commença  à  cheminer,  &  S.  M.  à  aller 
auflî  droit  à  lui ,  elle  commença  à  le 
joindre  de  près  le  23.  Novembre  ,  & 
l'ayant  à  l'inftant  envoyé  reconnoîrre  > 
elle  en  eut  ce  njême  jour  pour  fa  pre- 
mière offrande  une  Compagnie  de  gens 
de  pied  Efpagnols  qui  furent  tous  raillea 
en  pièces ,  fans  qu'il  s'en  fauvât  un  feul, 
&  à  la  vue  du  G^m  de  Mayenne. 

Le  26.  le  Duc  die  Parme  délogeant 
de  f  ifmes  poui  aller  log,er  à  Poutavets^ 


©n  pa(îe  la  rivière  d'Aifiie,  S.  M.  le  fut 
aiifll  rencontrer  partant  de  Fere  en  Tar- 
tenois  ,  accomp.ignée  de  huit  cens  che» 
vaux,&  autant d'arquebulîers  à  cheval  ^ 
S:  ayant  commandé  au  Baron  de  Biron 
de  Ce  mettre  devant  avec  quinze  che- 
vaux pour  prendre  langue  de  l'ennemi  : 
S.  M.  étant  partie  en  même  temps  avec 
vingt-cinq  chevaux  ,  &  tenant  la  main 
droite  joignant  au  bois  ,  pour  juger  à 
vue  de  la  forme  de  cheminer  de  Ten- 
r-emi ,  duquel  il  eut  avis  par  le  Baron 
de  Biron  ,  qu'il  étoit  parti  d'un  village 
fort  proche  nommé  Baioges ,  ou  S.  M. 
donna  aufîttot  pour  apprendre  encore 
plus  particulières  nouvelles.  Et  jugeani 
bien  que  cette  pifte  les  pourroit  mener 
plus  loin  qu'il  n'avoit  propofé  ,  il  manda 
à  M.  de  la  Noue  de  lui  envoyer  di:s 
gens  d'armes  de  chacune  Compagnie, 
&  de  faire  repaître  le  refte  de  rarmce. 
Il  compofa  de  ces  Gendarmes ,  &  de  fa 
Compagnie  de  chevaux  légers  cinq  pe- 
tits efcadrons  qui  pouvoienr  être  de  cin- 
quante chevaux  chacun.  Et  étant  apper- 
eus  des  ennemis  ,  leurs  carabin*;  s'en 
voulurent  avancer  ,  auxquels  le  Baron 
de  Biron  fit  une  charge  ,  ôc  en  tua  huia 
fia.  dix  Cm  la  jplace  j  il  s'ea  iît  îani  d'ais* 


très ,  qu'à  la  fin  l'armée  des  ennemis 
qui  étoit  toute  en  bataille  y  voulut  venir. 

Lors  Sa  Majefté  ayant  fait  ce  qu'elle 
avoir  voulu  ,  d'avoir  fatigué  toute  cette 
armée  ,  &  leur  rompre  le  deffein  de 
leurs  logis  ,  elle  commença  Ca  retraite , 
qui  fe  trouva  plus  longue  qu'elle  n'avoit 
d'abord  penfé.  Toutes  fois  elle  la  fit  (î 
honorable ,  que  les  ennemis  même  l'ad- 
mirèrent beaucoup  ,  ayant  avec  Ci  petite 
troupe  fait  toujours  fi  bonne  contenan- 
ce 5  lai(rant  toujours  le  Baron  de  Biron 
qui  y  fit  fèpt  eu  huit  charges  ,  avec 
cette  rcfolution  accompagnée  néanmoins 
de  tant  de  jugement  ,  que  jamais  les 
ennemis  ne  les  oferent  enfoncer. 

Enfin  S.  M.  s'étant  retirée  auvilîage 
de  Longueval ,  les  ennemis  vinrent  don- 
ner des  coups  de  lances  jufques  dans 
les  portes  ;  mais  les  arquebufiers  qui 
croient  fur  les  murailles  leur  firent  une 
falve ,  quafi  à  miré ,  de  forte  qu'ils  en 
tuèrent  grand  nombre,  &  les  contrai- 
gnirent de  fe  tenir  plus  loin.  Ainfi  S.  M, 
(e  rerira ,  &  prit  Ion  logis  à  Pontarfi , 
&  l'ennemi  fut  contraint  de  camper 
toute  la  nuit ,  fe  doutant  du  devant  ôc 
du  derrière  ,  parce  que  ce  même  jour 
M.  de  Neveis  vint  joindre  le  Koi  avec 


(ns  } 

cinq  cens  chevaux  qu'il  amenoîc  de 
Champagne ,  &  les  fieurs  de  Givry  & 
Parabelle,  qui  venoienc  de  Melun  ,  ôc 
amenoienc  encore  une  bonne  troupe  » 
qui  fe  rendirent  tous  auprès  de  S.  M. 
laquelle  en  cette  longue  retraite  ne  per- 
dît que  deux  des  fiens ,  &  y  en  demeura 
des  ennemis  plus  de  cinquante. 

Le  29.  S.  M.  étoit  partie  avec  mille 
bons  chevaux  en  intention  de  faire  une 
bonne  charge  ,  &  emporter  toute  leur 
arrière  garde ,  mais  deux  canons  étant 
demeurez  embourbez  comme  ils  che- 
minoient ,  leur  avant  garde  qui  étoit 
déjà  avancée  rebrouiïa,  &  demeura  toute 
leur  armée  ce  jour-là  ei>  bataille  au  liea 
où  étoient  les  canons ,  &  y  campa  toute 
la  nuit ,  de  forte  que  ce  jour- là  on  ne 
put  rien  entreprendre  fur  eux. 

Le  30.  Novembre  S.  M.  leur  dit  adieu 
par  un  combat  de  cavalerie  qui  ne  fut 
pas  moins  honorable  qu*avoit  été  fa  re- 
traite du  17.  S.  M.  étant  avertie  que 
l'ennemi  partoit  prenant  le  chemin  de 
Marie  pour  gagner  Farbre  de  Guife,  Se 
fortir  hors  du  Royaume,  elle  ordonna 
à  toute  fa  cavaleiie  de  le  rendre  à  Crecy 
avec  les  armes  &  fans  bagages  ,  &  étant 
le  premier  arrivé  au  rendez- vous  1  les 


autres  ayant  été  un  peu  parenTeux ,  ne 
voulant  perdre  l'occafion  de  voir  Ten- 
nemi  ledit  jour  qui  devoit  être  celui  de 
leur  pirtement ,  elle  fit  partir  le  Baron 
de  Biron  ,  Se  le  fuivit  de  cent  pas  avec 
40  Gentilshommes  feulement.  Depuis 
y  furvint  M.  de  Longueville  avec  cin- 
quante chevaux,  &  le  relie  de  la  Cor- 
nette. S.  M,  joignit  le  premier  le  Baron 
de  Biron,  ayant  laifTé  fatroupe  un  peu 
derrière.  Il  parut  au  même  temps  au 
coin  d'un  bois  en  deux  troupes  enviroa 
cent  lances ,  y  ayant  en  chacune  troupe 
une  Cornette  de  Carabins ,  foudain  ils 
partent  pour  charger  les  coureurs  da 
Baron  de  Biron  ,  S.  M.  fit  avancer  ùt 
froupe  ,  &  y  étant  le  fieur  de  Gharmont 
qui  menoit  environ  vingt  chevaux,  arrive 
le  premier,  le  Baron  de  Biron  leur  fit 
une  Cl  lourde  charge  qu'il  leur  fît  tour- 
ner tefle  jufqiies  à  leurs  gros  qui  étoir 
de  cent  vingt  lances  que  menoit  Geor- 
ges Bare  qui  faifoit  la  retraite  ,  lefquels 
tous  enfemble  revinrent  à  la  charge  Se 
par  ce  que  le  cheval  du  Baron  de  Biron 
avoir  été  bleffé  d'un  coup  de  lance  6c 
d'un  coup  d'opce  ,  il  eût  été  en  danger 
de  Ce  perdre  ,  fans  que  S.  M.  rallia  ceux 
<5iii  s'ctoient  féparez ,  ôc  fie  avancer  le 


(  M7  ) 
tefte  de  fa  troupe  ,  laquelle  râfCemhUc 
fir  une  charge  fi  furieufe  à  toute  cette 
arriére  garde  ,  qu'elle  plia  ,  &  Ce  fauva 
à  tonte  bride ,  laiffant  leurs  morts  tous 
armez  fur  la  place ,  Se  plufieurs  cha- 
riots ;  mais  fi  le  refte  de  Tarmée  eût  été 
auiïî  diligente  que  S.  M.  il  en  fut  refté 
bien  davantage  ,  toute  l'arriére  garde 
eût  été  défaite. 

Ainfi  depuis  ce  jour  la  plupart  de  l'ar- 
tnée  ennemie  fortit  hors  du  Royaume, 
comme  fit  le  lendemain  tout  le  refte , 
la  réparation  ne  s'érant  point  encore 
faite  de  ce  qui  doit  demeurer  près  le 
Duc  de  Mayenne  ;  mais  il  y  a  grande 
apparence  qu'il  n'en  pourra  guères  re- 
tenir. 

Far  ce  que  deiïus  la  preuve  eft  h'isn 
confirmée  des  raifons  que  S.  M.  a  eu 
d'entreprendre  ce  voyage  ,  &  des  bons 
fuccès  d'icelui,  ayant  par  fa  préfence  & 
de  fes  forces  empêché  que  le  Duc  de 
Parme  ait  rien  entrepris  en  Ton  palTage , 
&  en  cette  retraite  fait  fur  lui  plufieurs 
défaites  :  l'ayant  contraint  de  loger  Cî 
ferré  ,  &  faire  de  Ci  grandes  journées  , 
qu'il  a  fallu  par  force  ,  qu'il  ait  laiffé 
une  grande  fiîe  de  ceux  qui  n'ont  pas 
pu  matcher  û  légèrement ,  Se  de  leus 


(ijS) 
bagage  qui  eft  demeuré  à  la  merci  des 
payfans ,  qui  leur  ont  fait  mauvaife  guer- 
re ,  &  en  outre  occupe  en  ce  palfage  les 
meilleures  forces  du  Due  de  Mayenne. 
De  forte  que  le  Maréchal  de  Biron  a 
durant  icelui  pris  cinq  ou  fix  villes  & 
une  vintaine  de  forts  &c  cliâteaux  ,  où 
les  ennemis  tenoienr  garnifon. 

Ainfi  le  Duc  de  Parme  eft  forti  hors 
du  Royaume  fans  grande  occafion  ,  non 
pas  de  s'en  louer ,  mais  quafi  de  s'excu- 
fer  de  fon  voyage  ,  ayant  laiffé  ceux 
en  Faveur  defquels  il  étoit  venu  ,'  même 
la  ville  de  Paris,  de  la  délivrance  de 
laquelle  il  Ce  donnoit  l'honneur,  en  pa- 
reille &  plus  grande  néceffité  qu'il  ne 
î'à  trouvée,  n  ayant  à  tout  ce  parti  pro- 
fité d'aucune  chofe ,  Se  auffi  peu  à  la 
réputation  du  Roi  fon  Maître ,  remettant 
cette  grande  armée  toute  ruinée  fans 
aucun  effet,  &  moins  encore  à  la  fienne 
particulière  qui  en  fouffiira  grande  di- 
minution. Ce  qui  ne  peut  être  référé 
qu'a  la  gloire  de  Dieu  ,  qui  continue  de 
montrer  que  les  puiffances  humaines 
lont  toujours  trop  foibles  pour  entre- 
prendre contre  ce  qui  eft  fous  fa  pro- 
teétion. 

Depuis  la  fortie  du  Duc  de  Parme  Se 


.     r     r  ^    '59) 

de  les  forces  hors  du  Royaume  ,  S.  M. 

eft  allée  faire  Ton  entrée  en  la  ville  de 
(àint  Quentin ,  ou  elle  a  été  reçue  avec 
une  allégrefle  extrême  des  habitans  d'icel- 
le  ,  qui  ont  même  à  cette  occafion  fait 
une  fort  honorable  dépenfe. 

Sa  Majefté  y  eut  la  nouvelle  le  dix 
de  ce  mois  comme  le  même  jour  la  ville 
de  Corbie  avoir  été  remife  en  Ton  obéif- 
fance  par  une  entreprife  que  les  fieurs 
de  Humiéres ,  de  la  Boifllére  fon  beau- 
frere  &  de  Parabelle  ,  y  ont  fort  heu- 
reufement  exécutée  à  la  pointe  du  jour 
avec  un  pétard ,  &  une  efcalade ,  ayant 
eu  grand  combat  par  ceux  de  la  garni- 
fon  qui  y  étoienc  en  grand  nombre,  lef- 
quêis  y  ont  tous  été  tuez ,  même  le  lîcur 
de  Bellefourrier  qui   en  éroit   Gouver- 
neur pour  la  Ligue,  bc  fans  que  lefdits 
(leurs  y  ayent  perdu  autre  chofe  ,  que 
deux  hommes  de  leurs  troupes.    Ayant 
trouvé  dans  cette  ville  deux  canons   & 
deux  coulevrines  ,    &  plufieurs  autres 
pièces  montées  fur  roues ,  &  une  grande 
quantité  de  munitions  de  guerre  &  de 
vivres,  comme  étant  une  des  plus  for- 
tes places  de  la  Picardie  :  laquelle  fer- 
vira  beaucoup  à  recouvrer ,  ou  à  faire 


(   140  ) 
téduîre  les  autres  qui  font  détenues  par 


ceux  de  la  Ligue. 


LETTRE  d'un  François  pour  la  pré- 
fiance  du  Roi  de  France  contre  le  Roi 
d'EJpagne.  En  ISP4- 

MOnfieur,  j'ai  lu  ce  difcours  Ita- 
lien ,  que  m'efcrivez  venir  de 
Rome  ,  &  courir  maintenant  par  Paris , 
pour  la  préféance  du  Roi  d'Efpagne  con- 
tre le  Roi.  Quiconque  en  eft  Tautheur, 
il  femble  fort  retenir  du  terroir  qu'il 
veut  défendre  :  autrement  il  n'eut  tant 
exalté  Arhanarich  ,  lequel  exerça  (î  crueT- 
le  perfécution  contre  les  Chrétiens ,  té- 
moignées par  Ilîdore  Evêque  de  Sevilîe, 
&  par  Roderich  Archevêque  de  Tolède  : 
ôc  fît  tellement  enraciner  rArrianifme 
par  tout  le  pays  qui  ctoit  de  (on  obéif- 
lance,  que  le  tronc  en  demeure  encore 
en  plulieurs  endroits  ,  même  en  ceux 
d'où  nos  Rois  ne  l'ont  arraché.  Aufîî 
peu  euft  il  mis  en  jeu  Alarich  pour  le 
fac  de  Rome,  non  gueres  moins  cruel 
que  celui  fait  du  temps  de  nos  pères , 
par  ceux  qui  lui  donnent  pour  fuccefTeurs 


(  141  ) 
■SiT  pour  avoir  planté  Ton  héré/îe  Arrien- 
ne  en  Italie ,  où  elle  a  été  maintenue 
par  Aiflulphe,  &  autres  Rois  Gots  ,  tant 
&  fi  long  temps ,  qu'elle  n'en  fut  extir- 
pée par  les  François.  Je  me  rapporte  à 
vous ,  Cl  quand  nous  étions  enfemble  à 
Home,  ou  à  Trente ,  l'on  tenoit  Ton  axio- 
me pour  Catholique  ,  que  les  Papes  ne 
regardent  qu'à  leur  propre  &  particu- 
lier intérêt  ,  Se  que  la  donation  faite 
par  les  Rois  de  France  au  faint  fiége 
Apoftolique  ,  des  droits,  terres  Se  Sei- 
gneuries fpécifiée  en  la  confirmation  de 
Lois  Débonnaire  ,  récitée  par  pluûeurs 
-Hiftoriens  affidez ,  même  par  aucuns 
Italiens ,  fut  pour  certains  Papes  feule- 
ment ,  Se  pour  leur  particulier.  Mais 
foit  ceft  Efcri vain  Catholique  &  Romain  : 
l'ancienne  fplendeur  de  nos  Rois ,  qui 
ibnt  entre  les  autres ,  dit  le  Balde ,  com- 
me l'étoile  du  jour  au  milieu  d'une  nuée 
venant  du  Midi,  ne  peut  eftre obfcurcie 
par  tels  brouillards.  Car  de  tout  temps 
-&  ancienneté  ils  ont  eu  telle  préémi- 
nence par  tout  le  monde  ,  que  parlant 
fîmplement  du  Roi ,  l'on  a  entendu  le 
noftre,  ainli  que  Suidas  ancien  autheur 
Grec  à  pieça  efcrit,  &  Boniface  de  Vira- 
linis  Auditeur  de  la  Rote ,  témoigne  cela 


(  H^  ) 
avoir  encore  efté  commun  &  ordinaire 
à  Rome  de  Ton  temps.  Et  de  fait  Hinc- 
niar  ,  qui  a  tranfcrit  il  y  a  huit  cens  ans , 
la  vie  de  faint  Remy  d'un  autheur  du 
(îécle,  dit   que  certaine  couronne   d'or 
vouée  à  faint  Pierre  par  le  Roi  Clovis, 
y  ayant  efté  envoyée,  fut  appellée  par 
le  Pape  Hormifda  ,  comme  par  excellen- 
ce, Regniim.   Je  laifTerai  à  part  ce  que 
Procopius  fecretaire  de  Bellidaire  remar- 
que ,  qu'autres  Roys  que  les   nôtres  » 
ny  même  celui  de  Perfe,  ne  pouvoient 
faire  bartre  monnoye  d'or  marquée  de 
leurs  effigies  :  &  que   celle  des  Rois 
de   France  avoir  cours  par-tout    l'Em- 
pire   Romain.    Ce  qui  fe    peut   reco- 
gnoiflre  par  les  conftitutions  mêmes  des 
Empereurs   Léo  &  Majorian.    Mais  je 
ne  puis  obmettre  ce  que  tant  d'autres 
eftrangers  ont  remarqué,  que  non  fans 
très  -  juft:e  caufe  ce   Grand    Pape  faint 
Grégoire  a  jugé  &  efcrit ,  que  le  Roi 
de  France   furpaiïoit    d'autant  tous  les 
Rois  des  autres  nations,  que  la  dignité 
Royale  excelle  par  defTus  les  autres  hom- 
mes. Et  fon  fucceflèur  Etienne  III.  de 
ce  nom,  que  la  brave  nation  Françoife 
reluit  par  deflus  toutes  autres  :  comme 
audi  le  Dalde  did ,  que  les  bannières  de 


(  143  ) 
France  marchent  les  premières ,  fur  lef- 
quelles  autre  Roi  ne  peut  prétendre  avan- 
tage d'honneur  :  &c  que  les  Rois  de 
France  portent  la  couronne  de  liberté 
&  de  gloire  par  delTus  tous  autres.  Ce 
que  nous  repréfentent  encore  les  anciens 
tableaux  ,  &  tous  les  Rois  Chrétiens  font 
peincfts  enfemble  ,  qui  fe  voyent  par 
l'Italie,  Allemagne,  Angleterre,  Efpa- 
gne ,  &  autres  lieux.  Et  n'eft  mémoire 
qu'auparavant  le  défbrdre  de  ces  der- 
niers jours ,  &  la  conFufion  que  l'avarice 
&  l'ambition  ont  mifes  entre  les  chofès 
plusfacrées,  cefte  ptéféance  de  nos  Rois 
aye  efté  révoquée  en  doute,  &  nel'eft 
encore  de  préfent  par  les  Princes  &  Po- 
tentats ,  qui  ne  font  trann30ftés  de  paC- 
fîon  trop  particulière:  lelquels  leur  ont 
toujours  déféré  le  premier  honneur  fans 
contredit,  jufquesà  avoir  efté  feuls  ho- 
norez par  les  Empereurs  anciens  de 
Conftantinople,  du  tiltred'Augufte,qui 
leur  eft  demeuré  ,  voire  &"  celui  même 
d'Empereurs,  ainfi  que  témoignent  les 
Hiftoriens ,  &  qu'il  fe  peut  voir  par  les 
Chartes  de  Dagobert  ,  Lois  le  Gros  , 
Lois  le  Jeune  &  autres.  Au/îî  par  les 
Provinciaux  de  toutes  les  Eglifes  Cathé- 
drales de  la  Chreftienié  ci- devant  im- 


(  144  ) 
f/time^  à  Rome,  le  Roi  de  France  ell 
mis  le  premier  des  autres  Rois  ,  eftant 
fuivi  par  le  Roi  d'Angleterre,  puis  par 
celui  d'Efpagne  :  &  n'y  a  que  l'Empe- 
leur  de  Rome ,  &  celui  de  Conftanti- 
nople  ,  le  nom  duquel  monftre  adez  l'an- 
cienneté de  ce  rang  ,  qui  le  précédent 
<n  cefl  ordre. 

Imperatores  Chriflîanorutn. 

Imperator   Romanorum. 

Imperator  Conftantinopolitanus. 

Reges  Chriftianorum- 

Rex  Francorum, 

Rex  Anglia^. 

Rex  Cafteila:   &  Legionis  ,  &c. 

Ce  quAlberic  de  Rofaté ,  Alvarof, 
&  autres  Docteurs  eftrangers,  &  non 
François  ,  témoignent  avoir  auffi  lu  à 
Rome ,  au  Livre  ancien  intitulé  ,  Liber 
Romande  Ecdejîd ,  &  eftre  confirmé  par 
la  martinienne  &  fepeut  encore  en  voir 
celui  intitulé  par  eux  ,  regijlrum  Romana 
curidt,  qui  porte  ces  mois  ^  fequitur  de 
regibus  Chriftianoriim  ,  &  funt  quidam 
Coronandi^  &  quidam  non.  IIU  qui  CO' 
r.onandi  funt  y  debent  inungi  ^  &  illi  ha- 
bent  priyilegium,  FideliceL  ,  Rex  Fran^ 

corum 


.   .  (  Uî  ) 
^ecrum  Chrijlianijfimus  coronatiir  &  un-i 
gitur,  Rex  Anglite,  coronatur  &  unghur, 
Rex  CafldU  non.  Rex  Legionis  ^  &c. 

Lequel  ordre  auflî  fe.  trouve  es  an- 
ciens Conciles ,  &  fut  fuivi  fans  contre- 
dit de  notre  fiécle  au  Sinode  tenu  h 
Rome  fous  les  Papes  Jules  II.  &  Léon  X. 
&  depuis  par  -  tout  Je  Confiftoire  des 
Cardinaux.  Comme  auflî  les  Anglois  nos 
anciens  ennemis  ,  qui  quicteroient  les 
cinquante  mille  écus,  dont  parle  ce  dil^ 
coureur ,  pour  un  rouge  Maravedis ,  l'ont 
toujours  recogneu  ;  ainfi  que  témoigne 
frère  Matthieu  ,  Religieux  du  Monaftere 
faine  Alban  de  Londres ,  fous  Henry  Ilf. 
de  ce  nom,  Roi  d'Angleterre  ,  difant  , 
Rex  Francorum  y  Regum  cenfetur  di^ 
gnijjimus.  Encore  aujourd'hui  es  tilrres 
de  leurs  prétentions  ils  poftpofènt  le  nom 
de  leur  propre  pays  à  celui  de  la  France. 
Et  eft  tout  notoire  qu*en  Tan  rj^j  5-  au 
Chapitre  tenu  la  veille  de  la  faint  Geor- 
ge par  les  Chevaliers  de  l'ordre  de  la 
Jarretière ,  fut  arrefté ,  que  le  Roi  de 
France  retiendroit  fa  place  au  cofté  droit 
du  cheF  de  l'ordre  ,  comme  le  plus  ap- 
parent lieu  :  &  le  Roi  d'Efpagne  ,  en- 
core qu'il  eût  efpoufé  Marie  leur  Roy  ne, 
demoureroic  à  gauche.  Ce  qui  depuis  3 

Recueil  O,  Q 


(    14^  ) 
eflé  confirmé  par  divers  ades ,  (ans  avoîf 
eu  égard  à  fa   prétention  :   de   laquelle 
il  fut  auffi  débouté  par  tout  le  Sénat  de 
Venize  l'an    1558.  &  n'a  gueres  ,   lors 
même  que  la  Ligue  contre  le  Turc  fut 
faite  par  ladite  Seigneurie  avec  fa  fain- 
teté  ik  lui.   Aulli  en  la  difficulté  qui  fe 
préfenta  à  Calais  ,   en   Septembre  Tan 
IS21.  entre   le  Roi  de  France,  ou  fes 
Ambaffadeur?,  &  Charles  dernier  de  ce 
nom ,  lors  éleu  Empereur ,  la  préféance 
de  noftre  Roi  contre  ledit  Charles  com- 
me Roi  d'Efpagne  ,  ne  fut  révoquée  en 
doute.  Mais  bien  Monfieur  le  Chance- 
lier  du    Prat    maintint  que   le  Roi   de 
France  ne  devoir  laiflTer  de  le  précéder , 
encore  qu'il   fut  éleu  Empereur.    Et  ne 
fe  trouvera  aucun  cérémonial  ,  qui  pot  te 
autre  préféance  d'Efpagne  :  finon  qu'en- 
tre les  quatre    nations,   l'Elpagnole  eft 
la   dernière  comme  étant  nouvellement 
faite    Chreflienne.      Et     de     fait    l'an 
M.  CCCC.  LXXX.  Ferdinand  V.  de  ce 
nom  >  prit  le  ùltre  non  de  Roi  d'Efpa- 
gne  Catholique  fimplement  ,    mais  de 
Roi  Catholique    d'Efpagne  ,    pour  être 
dillinâ:  feulement  des  autres  Rois  d'Ef- 
pagne Arrians  ,  ou    Sarrazins.    Lequel 
ùltre  lui  fut  confirme  par  le  Pape  Jules  II. 


(  147) 
en  Tan  i  p  i.  ainfi  que  difênt  les  efcri- 
vains  de  fa  nation.  Mais  le  tilrre  &:  qua- 
lité deChriftianiiïîme  a  elle  d  -:  tout  temps 
«pproptic  à  nos  Rois ,  voire  des  &  de- 
puis Clovis  jufques  à  préfent  :  comme 
iè  voie  par  le  teflament  de  faint  Rémi , 
par  les  Conciles  d'Orléans,  Mayance, 
^ix  ,  ôc  autres  ;  &  par  les  Décretales 
d'Eftienne  II.  Paul  I.  Eftienne  III. 
Adrian  I.  Nicolas  I.  Jean  VIII.  Inno- 
cent ôc  Honoré  III.  ou  ils  font  aind 
appeliez  non- feulement  pour  eftre  oinds 
de  l'huile  célefte  ,  mais  aufîî  pour  avoir 
e(\é  &:  eflre  l'unique  azile  &  refuge  des 
Papes  affligez,  ôc  le  mur  inexpugnable 
de  la  Chreftienté  ,  comme  les  appelle 
Honoré  VIII.  ou  ,  comme  dit  un  autre 
Pape,  la  trouiïe  &  k  Carquois  ,  d'où 
Dieu  déployé  fes  traits ,  pour  Ce  fouf- 
mettre ,  ôc  conferver  en  fon  obéidjnce 
les  autres  nations.  De  quoi  leur  relie 
encore  entre  plufieurs  autres  remarques 
d'honneur ,  cefte-ci  ,  que  tous  les  chefs 
d'ordres  anciens  des  Mc-nafteres  ,  fonc 
en  leur  Royaume ,  &  fous  leur  protec- 
tion. Auflî  ne  fe  peut  nier  fans  impu- 
dence manifefte,  que  par  leur  moyen 
le  Chriftianifme  a  efté  ou  planté  ,  ou 
remis ,  ou  maintenu  tant  en  Italie,  Ai- 

G  ij 


(  H8  ) 

îemagne ,  Angleterre ,  EcoflTe  &  Efpagna 
qu'en  la  plupart  du  Levant  :  ou  encore 
aujourd'hui  tous  Chreftiens  font  appel- 
iez François ,  &  compris   fous  ce  nom 
comme  Catholique.  Les  Efpagnols  mê- 
rnes  en  leur  particulier  recognoiffent  par 
îeurs   efcrits,   que  la    Foi   Chreftienne 
fut  replantée  jufqu'à  Cordoue  par  Char- 
lemagne,  qui  fit  anfembler  un  Sinode  à 
compoftelle ,  où  fut  ordonné  que  l'Eglife 
de  faint  Jacques  feroit  la   première  de 
toutes  les  autres  de  Gallice  &  d'Efpagne, 
qui  ufent  encore  à  préfent  du  Pfautier 
Gallican.  Alcuin  en  une  EpiRre  dit  que 
cefte  conquefte  de  Chatlemagne  en  EC- 
pagne ,  fut  de  trois  cens  mille  d'éten- 
due du  long  de  la  Marine.   Et  Eynard 
fon  Chancelier  ,   ou  fecretaire ,  témoi- 
gne qu'Alphcnfe   lors    Roi   de  Gallice 
&  de  las  Afturias  fe  tenoit  tant  oblige 
&  redevable  à  ce  Prince  ,  qu'il  ne  vou- 
loir eftre  appelle  autrement  en  fon  en- 
droit ,  quçproprius/uusj^  comme  il  parla 
en  Latin  du  temps.  Encore  aujourd'hui 
fe  trouvent  quelques-unes  des   requêtes 
préfentces  par  le  peu  de  Chrétiens ,  qui 
reftoit  lors  en  Efpagne,  tant  à  ce  Roi, 
qu'à  Lois   Débonnaire    fon   fils  ,    pour 
avoir  recours  &  fecours  d'eux  en  l^uc 


(  '49  ) 
jaffTi^lion.  Et  les  provifionsquien  furent 

fur  ce  ottroyées  ,  font  telles  que  leur 
poftérité  ne  les  peut  nier  ou  difllmuler 
fans  note  d'une  très- grande  ingratitude. 
Que  G  tant  de  changemens  &  de  Prin- 
ces, &■  de  Reiijiions,  excufenc  en  ceft 
endroit  leur  ignorance  du  pafTé  :  au 
moins  doivent  ils  apprendre,  pourquoi 
les  Evêques  non-feulsment  de  l'AlTeu- 
d'Urgel  ,  de  Vich-d'AlTonne  ,  &  d'Elna  , 
mais  auiîî  ceux  de  Gironne,  &  de  Bar- 
celonne,  ont  efté  C\  long-temps  fulTra' 
gans  df"  l'Archevêque  de  Narbonne,  & 
Tont  recogneu  comme  leur  Métropoli- 
tain :  &  quant,  &  comment,  ils  en  ont 
efté  diftraits.  Pourquoi  aulîî  les  Arra- 
gonnois  en  toutes  leurs  chartes  &  inf- 
trumens  dattoyent  le  temps  par  les  an- 
nées des  Rois  de  France  ,  jufqu'au  CoD" 
elle  tenu  en  la  ville  d'Arragonne  ,  fous 
l'Archevêque  Berangier  ,  l'an  de  Notre- 
Seigneur  i  i  Se.  aind  que  leurs  Hiftoriens 
même  témoignent  :  éc  pourquoi  encore 
ils  retiennent  en  Arragon  ce  beau  mot 
de  franchife  par  les  privilèges  des  Rois 
do  France  ,  qui  leur  ont  confervé  ce  peu 
de  liberté  qui  leur  refte ,  au  grand  cre- 
vé cœur  des  Caftillans. 

Mais  ce  que  j'ai  dit ,  &  en  général  & 
G  iij 


(  r5o  ) 
en  particulier ,  fe  pourroit  plus  ample^ 
ment  vérifier    par  les  Conciles   &   Dé- 
crctales  des  Papes,  &  par  les  hiflorio- 
graphes  de  chacun  temps  ,  auiïi  par  les 
bàtimens  à   ia   Françoile ,   Ik  fondation 
des    Eglilcs  &c  Monafteres  de  toute  la 
Chrétienté  :    fi  ce  n'étoit  peine    perdue 
de  s'^heurter  plus   avant   contre  celui  , 
qui  veut  perfuader  que   le  foleil  prend 
la  clarté    de    la  lune  ,    ou    de  quelque 
Comere   errante.  Comme  aufîi  de  réfu- 
ter cefle  plâifante  imagination  ,  que  puiG 
qu'en  quelques  chartes  cofmographiques 
TETpagne  eft  peinte  comme  un  des  chefs 
de  la  terre,  par  confcquent  le  Roi  d'Ef- 
pagns  doit  eftre  le  premier  du  monde  j 
anÙl    peu  d'apparence  v  ait ,  fous  om- 
bre de    fuppofer   que.  Athanarich   étoit 
fî's  de  Roi ,  &  Roi  d'Efpagne  Chrétien , 
auparavant  que   Pharamoni  fut  Roi  de 
France,  que  noftre  Roi  doit  ertre  privé 
de  fon  ancienne  prérogative  d'honneur. 
Comme  Ci  Afcaric  ,   Gaife ,  Mellobau- 
des  ,  Marcomir  ,  Sunno ,  &  autres  men- 
tionnez par  les  anciens  Efcrivains,  n'é- 
toyent  Rois  des  François  ,  ou  qu'Atha- 
narich  n'eût   eflé  le  premier  des    Rois 
Gots,   lefquels  ont   encore  eflé  éleâiifs 
long  temps  après.    Tant  s'en  faut  qu'il 


(  MI  ) 

toi  né  de  Roi  ,  comme  ce  difcoureut 
fuppofe  à  fa  fantaifie ,  contre  ce  que  en 
tefcrivenc  Ifidor,  Roderich  ,  &  aurres 
Chroniqueurs  Efpagnols ,  qui  monftrenc 
aufîî  au  doigt  &  à  l'œuil ,  que  les  guerres 
conrre  les  Maures  ont  toujours  eftc  def- 
fenfives  feulement  de  la  part  des  Chré- 
tiens d'Efpagne  ,  jufqu'à  Ferdinand  V. 
depuis  lequel  temps  fi  Tes  fuccefleurs 
ont  fecouru  le  Pape  ,  comme  vaiTaux  , 
à  caufe  du  Royaume  de  Naples  &z  de 
Cicile,  en  laquelle  qualité  ,  ils  (onc  tenus 
porter  l'eftendart  devant  lui  :  ou  même 
àcauie-de  celui  d'Efpagne,  que  le  Pape 
Grégoire  VII.  maintenoit  eftre  tenu  eri 
fîef  du  faint  Siège  ,  ainfi  qu'il  fe  trouve 
par  (on  rcgiftre  ,  ou  bien  s'ils  ont  aidés 
les  Vénitiens  ,  &  autres  Potentats  d'Ita- 
lie ,  je  m'en  rapporte  au  fac  de  l'an  i  j  17. 
qui  arrefta  le  fon  des  cloches  d'Efpagne  : 
&  à  la  guerre  des  années  1556.  5c  57, 
fans  parler  autrement  pour  cefte  heure 
de  fienne,  Plaifance,  Petilia  ,  Foyan  , 
Gennes  ,  Luques  ,  Manroue  ,  Parme  , 
Ferrare,  Urbin  ,  &  du  Marquifat  de 
Final.  Je  m'en  rapporterai  au(ïï  à  i'en- 
treprife  fur  Corfou  ,  &  aux  comptes  à 
rendre  de  toute  la  dépenfe  avancée  par 
ladite  Seigneurie  de  Venife  ,   laquelle 

G  iv 


^   (MO  , 

enfin  trouva  erre  plus  expédient  de  faîne 
paix  avec  le  Turc  par  l'intervention  de 
l'AmbaOTadeur  que  nos  Rois  tiennent 
devers  lui  pour  le  bien  ôc  profit  com- 
mun de  toute  la  Chrétienté. 

Et  ne  faut  point  que  pour  furhaulTèt 
la  maifon  du  Roi  d'Efpagne  on  lafafle 
monter  fur  la  tefte  ,  ou  fur  le  ventre  de 
noftre    Roi  ,    les    prédéceffeurs   duquel 
regnoient  en  France  long-temps  aupa- 
ravant que  le   Chaftel    d'Habfpurg  fut 
bafti  :  les  fondemens  en  ayant  efté  pre- 
mi-remeni  jettez  par  Wernerd  ,  qui  étoit 
Evêque  deStrafbourg  l'an  1017.  comme 
fe  vérifie   clairement   par    la   fondation 
de   l'Abbaye  de  Mur,  non  loin  d'Illec, 
<^ui  le  porte  par  exprès.  Et  de  fait,  Otto, 
Àdelbert ,  &  Vuerned  fils  de  Radeboth, 
frère  dudit  Evêque  »  furent  les  premiers 
qui  prirent  la  qualité  de  Comtes  d'Habf- 
purg :  ainfi  qu'il  efl:  déduit  par  la  généa- 
log  e   de  cefie  maifon  ,    trouvée  entre 
les  chartes  dudit   Monaflere ,  fe  conti- 
nuant de  père  en  fils ,  jufques  à  Rodol- 
phe d'Habfpurg  :  lequel  ayant  été  maiftre 
d'Hoiiel  ,  quoique  foit   ferviteur  d'Ot- 
tocar  de   Bohême ,  qu'il  tua   depuis  de 
fa  propre  main  :  &  s'eflant  mis  à  la  fuite 
de  l'Archevêque  de  Mayenne  >  s'entre- 


(  153  ) 
i^nc  II  avant  en  Ces  bonnes  grâces  au 

voyage  qu'il  fit  à  Rome,  qu'a  fon  retour 
il  fut  fait  par  lui  Empereur ,  outre  ôc 
contre  la  volonté  de  tous  les  autres  Prin- 
ces :  combien  qu'il  fut  peu  de  moyens, 
ainfi  que  témoignent  Albertus  Argen- 
tinenfis  ,  Joannes  Vitoduranus  ,  Ricor- 
dano  Malefpini,  Giouan  Villani  ,  Ra- 
phaël Volaterran,  Albert  Crantz,  Jean 
Abbé  de  Tritehem ,  Antonin  Archevê- 
que de  Florence  ,  &  même  le  Pape 
Pie  II.  &  autres.  Si  que  de  depuis  ledit 
Archevêque  fe  vanta  par  rifée  ,  qu'il 
portoit  des  Empereurs  en  fon  cornet  , 
qu'il  avoir  pendu  à  fon  col  allant  par 
les  champs ,  à  la  façon  des  Seigneurs 
&  Gentihhommes  du  pays.  Et  ne  Ce  peut 
dénier  ,  que  tous  les  Royaumes ,  Da- 
chezj  Marquifars,  Comtez ,  Terres  & 
Seigneuries  ,  qui  font  de  préfent  en 
cefte  Maifott,  fans  rien  excepter  que  le 
Chaftel  d'Habfpurg ,  n'y  fuient  entrées 
depuis  l'avancement  &  le  trop  bon  mé- 
nage dudit  Rudolphe,  par  acquêts  ou 
conquets  de  la  lance  de  chair,  comme 
dit  d'eux  certain  Poète  Allemand  :  & 
principalement  par  Mariages  avec  quel- 
ques filles  de  Seigneurs  de  France,  donc 
elle  rfiiieni  encore  de  préfent  entre  autre» 

G  V 


tiltres  celui  du  Royaume  dé  Hiérufa-' 
lem,  conquis  par  les  François ,  &  plu- 
fîeurs  autres  Duchez  &  Comtez  qu'il 
n*eft  befoin  de  vous  particularifer  quant 
à  préfenc.  Tant  y  a  que  ce  n'a  point  efté 
fans  caufe  qu'on  a  dit  depuis  par  farme 
de  Proverbe  ;  que  la  Maifon  d'Autriche 
étoit  la  Maifon  d'autrui  Riche.  Mais 
quoi  qu*il  en  foit  la  très -Chrétienne» 
très-  facrée  ,  très  -  noble  ,  &  très-excel- 
lente Couronne  de  France  nefl  point  » 
grâces  à  Dieu ,  &c  ne  fut  onques  de  ce 
chef,  &  n'y  peut  le  Roi  d'Efpagne  jufte- 
ment  précendre  droit  tant  petit  (bit, par 
toutes  les  ouvertures  de  ce  difcoureur  : 
Duquel  toutes  fois  l'intention  principale 
ne  femble  avoir  eu  autre  but  ,  que 
ceftui  là  :  &  néanmoins  avec  fi  peu  d'ap- 
parence ,  que  quand  tout  ce  qu'il  fup- 
pofe  la  plupart  contre  vérité,  lui  feroic 
accordé  pour  autre  qu'il  4^'efl:,  la  feule 
loi  du  Royaume  ,  que  nous  appelions 
par  tradition  de  nos  pères ,  Salique,  en- 
gravée  au  cœur  des  bons  François  ,  feroic 
fuffifante  pour  enarrefter&la  maxime, 
&  la  conféquence. 

Et  pour  ce  qu*un  trait  4e  voftre  maîa 
à  l'endroit  où  ce  difcoureur  femble  vou- 
loir révoquer    en    doute    cefte  loi  & 


îcoultume,  m*a  fait  penfer  que  vows  , 
qui  n'êtes  naturel  François ,  defirez  eftre 
éclairci  de  ce  poindt  ;  je  vous  ai   bien 
voulu  donner  queltjues  heures  de  cefte 
matinée  pour  vous  extraire  aucuns  lieux , 
qui  me  font  venus  en  mémoire  ,  d'Ef- 
crivains  hors    de  tout  foupçon   pour  ce 
regard,    &  pour  la   plupart  mal  aflfec- 
tionnez  à  celle  Couronne  ,  qui  monf- 
trent  néanmoins  clairement  ,   que  cefte 
loi ,  quelque  nom  qu'on  lui  veuille  don- 
ner, efl:  née  avec  le  P.oyaume ,  qui  a 
grâces    à   Dieu   fubfîfté    par   le  moyen 
d'icelle  l'efpace  de  douze  cens  ans   ÔC 
plus  :  &  furpalTé  non  feulement  en  préé- 
niinence  &  grandeur ,  mais  atiflî  en  âge 
&  durée ,  toutes  les  autres  Monarchies 
&  Royautez   depuis  le  commencemenc 
du  monde.  Suivant  laquelle  loi ,  a  eflé 
de  tout  temps  gardé  &  tenu  pour  très- 
certain  &:  inviolable,  que  tant  &  fi  lon- 
guement qu'il  fe  trouve  des  Princes  ifTus 
du  fang  &  ligne  de  nos  Rois  ,  ce  Royau- 
me leur  eft  entièrement  afFedé  ôc  déféré 
ip/b  jure  j  comme  dient  les  légiftes  :  fans 
que  les  filles ,  &    les   defcendus  d'elles 
y  puilTent    aucunement    fucceder  ,    ny 
tranfporter  par  ce  moyen  la  Couronne 
en  Princes  eftrangers. 

G  vj 


(1S6) 
Da  livte  du  Sacre  &  couronnêmeht 
des  Rois  de  France,  extraid  de  l'ancier» 
Pontificat  de  TEglife  Métropolitaine  de 
Rheims. 

Dum  Rex  ad  foUum  vénerie  ^  Ar» 
chiepifcopus  ipfum  coUocet  in  fede  _,.  6f 
dicat  Archiepifcopui  :  Sta  j,  &  rétine  k 
modo  ftatum  j  quem  hue  ufque  paternel 
fuccefjîvne  tenuifli  ^  hereditario  jure 
tibi  delegatum  per  aucloritatem  Dei 
omnipotemïs. 

Agatlîias  ou  Livre  premier  de  l'Hiilr 
toire  qu  ,1  a  écrite  niil  ans  font ,  &  qui 
cft  en  la  Bibliothèque  Vaticane  à  Rome  : 

OuTû)  JJLIV  OVV  olçpU^UlaptÇCL  /3<0VVT€«  (T^MVTÉ  CtO- 

Tuv  i,  Tuv  ZT-fOo-oî-xav  y-CAT^crt  -nraTc/^ÉJ  ex  wx']ifaf- 

vtitê^Oi    aM'  sxctAeTyg  OLVTQV  iU  rh  iyi/xon'ui/  0 
vrxT^iQs  véjxoi. 

Theophanes  en  fa  Chronique,  qui  eft 
audî  en  la  Vaticane. 

'ro¥  '^iya  xetTèt  -j^os  ct^^tTi'. 

Gregorius  Cedrenus  en  fon  abbregé 
de  l'Hiftoire  Univerfeile» 


f  157) 

ytyot  upxu'^ 

Saint  Grégoire  le  Grand  ,  Pape ,  en 
une  fienne  Homélie  fur  l'Evangile  des 
Rois. 

In  Francorum  terra  Reges  ex  génère 
prodeunt, 

Anaftalîus  Bibliothécaire  du  Pape 
Adrian  II.  &  Landulfus  Sagax  en  ïh.\(- 
toire  par  eux  efcrire. 

Genti  Francorum  maris  eft.  dominum^ 
îdefi  regem  fecundum  genus  fuumprinr 
£ijpari, 

Nodgerus  Erefque  du  Liège  erila  vie 
de  S.  Landoalde  efcrite  par  lui  Tan  980, 

Francorum  regnum  à  Jui  prïncipia 
femper  infatîgabile  _,  &c.  Maximum  au- 
tem  accepit  incrementum  j  &  firmumfub 
€0  fancïa  Dei  Ecclefîa  ftatum  j  chm  Clo- 
tarius  Rex  jufla  fuccejfione  Clodoueo 
quartus  monarchiam  Jingulariter  triian 
Tcgebat  regnorum.  Ec  toutesfois  Chil- 
deberc  avoit  lailTé  deux  filles. 


(  155) 

Flodoardus  en  THifloire  de  TEglife 
'  Métropolitaine  de  Rheims  ,  en  la  vie 
de  l'Archevêque  Foulques,  fous  le  cha- 
pitre des  lettres  qu'il  efcrivit  de  Ton  temps 
à  quelques  Princes. 

Anncclit  etiam  quod  in  omnibus  penè 
gentibus  nommfuent  ,  gentem  Franco^ 
rum  ^  reges  ex  Juccejjione  habcre  con- 
fueui(Je  ^  proferens  Juper  hoc  tejiimo- 
nium  beau  Gregorii  Papa  ^  fupplïcatque 
nefceleratis  hic  Rex  acquiefcat  conjîliis  : 
fed  mifcreatur  gencis  hujus  ^  &  regio 
generi  fubveniat  decedenii  j  fatagens  ut 
in  diebus  fuis  dignitas  /ucce(Jionis  Ju£ 
roboremr  j  &  hi  qui  ex  aliéna  génère 
reges  exijlere  cupiebant  ^  non  prévale- 
rent  contra  eos  quibus  ex  génère  honor 
Regius  debebatur. 

Innocentius  III.  en  une  epiftre  de- 
cretale  efcrite  aux  Prélats  de  France. 

Nec  illud  humillimum  omittimus  _, 
quod  Theodojrus  flatuit  Imperator  j  & 
Karolus  innovavit  ^  de  cujus  génère  Rex 
ipfe  nofcitur  dtfcendiQe,  Il  entend  Phi- 
Jippes  Augufte  Dieu  donné. 

Charle  IV.  de  ce  nom  Empereur  ,  fils 
de  Jehan  Roi  de  Bohême,  en  fa  vie: 

Èodem  anno  obiit  Carolus  Franco^ 
rum  Rex  ^  relicla  uxore  pr^gnance  _,  qu4 


peperu  filiam.  Et  ciim  de  confuetudme 
^^gf^^  j  fi^i<^  nonfuccedant ,  proueclus  ejl 
PhUippusfiLiusJoceri  mei  in  regcm  Fran- 
cis y  quia propinquior  erat  hères  in  Unex 
mafculina. 

Albertus  Argentinenfîs  en  fa  Chro^ 
nique. 

Ciim  Francïa  a  nullo  haberi  dicatur 
in  feitdum ,  quamvis  e  contra  nullusper 
femininam  lincam  fuccejjljje  dicatur. 

MeCHre  Jean  Froiffari  partifanr  à' An- 
glererre,  ou  4.  chap.  du  1.  volume  de 
Tes  Hiftoires. 

Le  Roy  Philippes  nommé  le  Bel  de 
France  Roy  ,  eut  trois  fils ,  &c.  &  furent 
tous  trois  Rois  de  France  ,  après  la  more 
de  Philippes  leur  père  par  droide  fuc- 
cefllon  légitime  l'un  après  l'autre,  fans 
avoir  aucun  hoir  mafle  de  leur  corps  en- 
gendré par  voye  de  mariage  :  (\  qu'après 
la  morr  du  dernier  Roy,  Charles,  les 
douze  Pers  &  les  Barons  de  France  ne 
donnèrent  point  le  Royaume  à  leur  (œur^ 
qui  efloit  Roine  d'Angleterre  i  Pourcanc 
qu'ils  vouloient  dire  &  maintenir ,  & 
encores  veulent ,  que  le  Royaume  de 
France  eft  bien  fi  noble ,  qu'il  ne  doit 
mie  aller  à  femelle ,  ne  par  conféquenn 
au  Roy  d'Angleterre  fon  aifné  fils»  Car 


•ïnfi  comme  ils  veulent  dire,  le  fils  de 
la  femelle  ne  peut  avoir  droiâ:  ne  fuc- 
ceiïion  de  par  fa  mère  venant ,  là  où  fa 
fiiere  n'a  point  de  droid.  Si  que  par 
ces  raifons  les  douze  Pers  &  les  Barons 
de  France  donnèrent  de  leur  commun 
accord  le  Royaume  de  France ,  à  Phi- 
Jippes  neveu  jadis  au  beau  Roy  Philippe 
de  France  deflTufdir. 

Lequel  jugement  de  Pers  &  Barons 
eft  même  recogneu  par  Edouard  III.  de 
ce  nom  Roy  d'Angleterre ,  efcrivant  au 
Pape  &  au  Collège  des  Cardinaux  pour 
le  droit  par  lui  prétendu.  Ce  qu'auflî 
efcrit  certain  Hiftorien  du  temps ,  en  ce 
Latin  ,  Obeunte  inhumatoque  Carolo 
Pulchro  orra  e(i  qiujiio  non  modica  ^ 
qiàs  in  regno  de  ipfîus  progenie  proxt- 
mior  exijleret  ad  fuccedendum.  ^ffif- 
mantibus  quibufdam  Anglicis  Eduardiim , 
eo  quod  proxïmior  ^  fcïlictt  nepos  régis. 
Tandem  opinionibus  &  altercationibus 
fopitis  y  per  principes  &  regni  fapientes 
tonclujum  fuit  &  unanimiier  détermina- 
tum  quod  regnum  eo  quod  de  confuC' 
tudine  &  flatutis  ejufdem  ,  in  génies 
femineum  defcendere  non  valebat  y  com- 
iii  de  Valefio  Philippo  vertinerc  de- 
iebata 


(^i6i  ) 

Hfteuan  de  Caribay  y  Camalloa  Es- 
pagnol parlant  de  cela  même  ou  i^, 
chap.  du  2(5.  Livre  de  Ton  Hifloire. 

Porque  Philippe  Conde  de  Valoes 
defcendia  de  la  Corona  real  por  linea 
mafculina,  fue  coronado  por  Rey  di 
Francia  por  virtud  de  la  ley  falica.  Al 
Rey  Eduardo  por  defcender  de  linea 
de  muger  excliiyeron  de  la  fuccefllon 
Real ,  &c.  Aunque  fodas  razones  d'E- 
duardo  euaden  y  excluyen  los  Francefes 
con  ley  falica,  que  en  eftos  dias  yna 
tomando  grande  vigor  y  fuerça  para  los 
figlos  futures. 

Baldus  fur  la  loi  i.  du  tilrre  dey^/z^- 
to'ihus  es  Digejles  &  Pet  rus  Jacobus 
fur  le  tiltre  de  caujis  ex  quitus  Vafall, 
&c.  ou  livre  des  fiefs. 

FUia  Régis  Francorum  non  fuccedit 
in  regno  ex  rationabili  confuetudine 
trancorum. 

Ce  même  Douleur  Baldus  fur  le  riltre 
defiudo  MarchiA  j  ou  livre  dfs  fiefs. 

Si  moreretur  tota  domus  regia  j  & 
extaret  unus  de  fanguine  antiqito  ^  puta 
de  domo  Borbonia  ^  &  non  effet  alius 
proximior  j  efto  quod  effet  millefîmo 
praduj  tamen  jure  Janguinis  &  perpétué 


(   i6i  •} 

confiietudînîs  fuccederet  in  regno  Frari' 
corum.   Ce    qui   a  auflî    efté  fuivi  par 
Marcinus  laudenfis  ^  Jacobinus  de  fancîo 
Georgio  j  Guilielmus  de  Monte- ferrato 
Catelarij  &  plulîeurs  autres.   Mais  cela 
fuffira    pour  ce   coups  s'il   vous  plaît  , 
refervant  à  vous  en  dire  davantage  quand 
nous  aurons  ce  bien  de  nous  revoir  de 
plus  près,  ou  que  j'aurai  plus  de  loifir. 
Cependant  je  vous  fupplie  de  nVexcufer, 
&    me   tenir  coujoars   en    vos    bonnes 
grâces,  priant   Difu  ,  Mondeur  ,   voui 
donner  bonne  &  longue  vie. 


0^ 


^ 


(I^î) 


RELATIONS  des  cérémonies  du /acre 
&  couronnement  de  Menry  IV.  Roi 
de  France  &  de  Navarre  2j.  Février 
JS94- 

LE  Dimanche  vingt  feptiéme  iour 
de  Février  mil  cinq  cens  quatre- 
vingt  quîtorze,  le  Roi  a  été  facré  &:  cou- 
ronné en  TEglife  de  Chartres  avec  les 
cérémonies  accoiltumées. 

Le  marin  de  ce  jour  fur  les  ^va  heu- 
res les  fix  Evêques  défignés  pour  repré- 
fcnrer  les  fix  Pairs  Eccléfwftiques  ,  fe 
fiinr  rendus  au  chœur  de  ladite  Eglife; 
L'Evêque  de  Chartres  repréfentoit 
l'Archevêque ,  Duc  de  Rheims.  Celui  de 
Nantes  l'Evêque  &  Duc  de  Laon.  Celui 
de  Maliezais  ,  l'Evêque  &  Comte  de 
Beauvais.  Celui  d'Orléans  l'Evêque  & 
Comte  de  Chaalons  :  celui  d'Angers 
rEvêque&  Comte  deNoyon.  Ils  éroienc 
tous  vêtus  de  leurs  habits  Pontificaux, 
mitres  &  avoient  des  chapes  de  velours 
cramoili  à  fond  d'argent  avec  les  écuf- 
fons  des  armes  de  France. 

Sur  les  Tept  heures  les  Seigneurs  qai 


dévoient  repréfenter  les  fix  Pairs  laïcs 
entrèrent  dans  l'Eglife.  M,  le  Prince  de 
Conty  repréfentoit  le  Duc  de  Bourgo- 
gne -,  le  Comte  de  Soi  (Tons  le  Duc  d'A- 
quitaine ;  le  Duc  de  Montpenfier  ,  celui 
de  Normandie.  Le  Duc  de  Luxembourg 
le  Comte  de  Flandres  •-,  le  Duc  de  Rets , 
le  Comte  de  Champagne;  &  le  Duc  de 
Ventadous  le  Comte  de  Thouloufe.  Ils 
étoient  tous  habillés  d'une  robe  de  toille 
d'argent  à  feuillages  violets  &  incarnats, 
qui  leur  defcendoit  jufqu'à  mi-  jambe.  Ils 
avoienr  ceints  leurs  épées  par  defTus  dont 
le   foureau  étoit   de   velour   blanc  ,  ils 
portoient  fur  leurs  robes  un  grand  man- 
teau d'écarlatte   violette  fourrée  d'her- 
mine  mouchetée    qui  croit  fort  long  , 
aVec  un  grand  coîet  aufîî  fourré  d'her* 
mine.     Les  trois    premiers  avoie-nt   fur 
leurs  têtes  des  couronnes  d'or  à  la  Duca- 
le ,  &  les  trois  autres  des  couronnes  de 
Comte. 

Les  douze  Pairs  étant  ainfi  alTemblés 
s*a{îirent  aux  deux  côtés  du  grand  autel 
&  députèrent  les  Evêques  de  Nantes  & 
de  Mallezais  pour  aller  à  la  tête  du 
Chapitre  de  Lidite  Eglife  trouver  le  Roi 
à  fon  logis  &  l'amener  à  l'Eglife.  Les 
députés  furent  trouver  Sa  Majefté  jufr 


f 


ques  à  fa  chambre  dans  le  palais  EpiP-' 
copal.  Ayant  trouvé  la  porte  fermée,  ils 
heurtèrent  par  deux  fois  ,  &c  alors  le 
Duc  de  Longueville  faifant  les  fondions 
de  grand  Chambellan ,  leur  demanda 
fans  ouvrir  la  porte  ce  qu'ils  fouhait- 
toienc  ;  les  Evèques  lui  répondirent 
qu'ils  dematidoient  celui  que  Dieu  avoic 
elu  pour  être  Roi  de  France.  Le  Cham- 
bellan leur  dit  ,  //  efl  céans ,  les  députés 
s'informèrent  de  ce  qu'il  faifoir.  A  quoi 
le  Chambellan  répondit  qu'il  repofoir. 
Les  Evêques  répliquèrent  qu'il  falloit 
l'éveiller  afin  qu'ils  puifent  lui  faire  leur 
révérence.  Après  avoir  attendu  quelque 
temps  le  Grand  Chambellan  leur  ouvrit 
la  porte  en  leur  difant,  que  le  Rqjétoit 
éveillé.  Alors  les  deux  Evêques  Pairs 
entrèrent  &  après  avoir  falué  Sa  Majefté 
ils  lui  firent  une  harangue  dont  la  fub{^ 
tance  étoit  j  que  l'ayant  reconnu  pouc 
vrai  &  naturel  Seigneur  &  Roi  ,  ils  lui 
venoient  rendre  la  Foi  &  hommage 
qu'ils  lui  dévoient ,  promettant  de  lai 
être  toujours  fidèles  ferviteurs  &c  lujets 
&  le  fupplierent  de  fe  rendre  à  l'Eglife, 
où  Ton  avoir  tout  préparé  pour  fon  lacre 
&  couronnement  &  pour  fê  faire  voir 
à  Ton  peuple. 


(  16^) 

Le  Roi  Ce  leva  auffitoc  &  prit  le  che* 
min  de   l'E^life  ,  ayant  devant  lui   les 
compagnies  de  !es  Gardes  Françoifes  qui 
fe  rangèrent  fur  deux  hayes  depuis   le 
Palais  Épifcopal  jufqu'à  TEglife.  Sa  Ma- 
jefté  étoit  aufîiefcortée  par   les  Archers 
de  fa  garde,  &  les  cent  SuiflTes  tous  ha- 
billés de  la  même   livrée  qui  étoit  de 
fèrge  grife  ,  bouffant  de  taffetas  verd  & 
incarnat.  Les  cent  Gentilshommes  por- 
tant chacun  leur  becdecorbin  doré.  Les 
trompettes  &  clairons  (onnans  pendant 
toute  la  marche.  Le  Roi  d'armes  &  les 
fix  Hérauts  vêtus  de  leur  côtes  d'armes 
de    velours  violet  ,  avec  les  armes  de 
France  en  broderie  d'or ,  étoient  fuivis 
d'un  grand  nombre  de  Gentilshommes 
fuivalil  laCour,  de  plufieurs  Chevaliers 
de  l'ordre  du  Saint-Efprit ,   du   Clergé 
de    ladite  Eglife  ,    des    deux    premiers 
Huiiïîers  portans  leurs  mafles.  Marchoic 
enfuite  le  Roi  entre  les  deux  Evéques- 
Pairs ,  qui  lui  fervoient  d'Ecuyers.    Un 
peu   à   côté   ctoitnt    les     Seigneurs    de 
Chavigny  Se  de  RambouilUc  Capitaines 
des  cent  Gentilshommes  ;  de  les  EcolTois 
de  la  garde  vêtus   de  leur    Hoquetons 
blans  garnis   d'orféveries  &  armés   de 
leurs  hallebardes.   Le  Roi  étoit  luivi  de 


(  1^7  ) 
M.  le  Maréchal  de  Matignon  ,  faifanf 
les  fondions  de  Connétable  ,  habillé 
ainfi  que  les  Ducs  &  Pairs  ;  de  M.  le 
Chancelier  vêtu  d'une  longue  faye  de 
velour  rouge  cramoifi,  Se  d'une  robe 
d'écarlate  rouge  ,  tenant  (on  mortier  d'or 
à  la  main;  du  Duc  de  LonguevilU gzand 
Chambellan,  du  Comte  de  faine  Pol 
grand  Maîrre  ,  &  de  M.  de  Bel  le- garde 
grand  Ecuyer,tous  ces  grands  Officiers 
étoient  revêtus  d'habits  femblables  à 
ceux  des  Pairs  ôz  portoient  des  couronr 
nés  de  Comtes. 

Le  Roi  étant  entré  au  chœur  dans  cet 
ordre  fut  falué  par  les  Pairs.  Sa  Majeftc 
vint  enfuite  fe  mettre  à  genoux  au  banc 
&  oratoire  qui  etoient  prépares  a  cet 
effet  devant  Se  près  le  grand  Autel.  Ils 
étoient  pofés  fur  un  eflrade  élevé  fur 
le  pavé  de  douze  pas  de  longueur  Se  de 
largeur  &  couvert  de  tapis  fort  riches. 
L'oratoire  étoir  garni  de  plufieurs  oreil- 
lers de  toille  d'or  &  au-delfus  étoit  na 
riche  ciel  de  broderie.  Le  Roi  après 
avoir  fait  fa  ptiére,  ainfi  que  les  grands 
Officiers  qui  l'accompagnoient ,  chacun 
prit  fa  place  &  fut  s'atTeoir.  Sçavoir  le 
Connétable  fur  un  fcabeau  derrière  Sa 
Majcfté.  Le  Chancelier  fur  un  autre  au 


(  i6B  ) 
(delTous  de  S.  M.  &   le  Grand-Maître; 
Je  grand  Chambellan  &  le  grand  Ecuyec 
s'affirenc  fur  un  banc  derrière  le  Chan- 
celier. 

Incontinent  après  le  Roi  fut  conduit 
par  les  deux  Evêques- Pairs  au  grand 
Aurel ,  devant  lequel  il  fit  (a  prière  ÔC 
préfenta  fur  ledit  Autel,  un  grand  reli- 
quaire d'argent  fort  péfant  en  forme  de 
Temple  ,  dont  il  faifoit  préfent  à  l'Eglife. 
Puis  s'en  retourna  à  fon  fîége. 

Cependant  tout  le  Clergé  de  la  ville, 
excepté  celui  de  l'Eglife  du  Château  , 
s'étoit  rendu  à  l'Abbaye  de  faint  Père 
pour  chercher  la  fainte  Ampoulle,  qui 
eft  celle  de  l'Abbaye  de  Marmouftier- 
les-Tours ,  laquelle  avoir  été  feurement 
conduite  par  le  Seigneur  de  Souvray 
Gouverneur  de  Touraine ,  aiïîfté  d'un 
grand  nombre  de  Noblcffe  &  de  trois 
Religieux  de  ladite  Abbaye  de  Mar- 
mouftier  qui  portoient  la  fainte  Am- 
poulle. Ils  paffèrent  parla  ville  de  Char- 
tres le  dix-neuf,  où  ils  furent  reçus  avec 
la  plus  grande  vénération  ,  les  ruesétanc 
tendues  de  tapilTeries. 

La  fainte  Ampoulle  fut  apportée  pro- 
cefTionnellement  de  l'Abbaye  de  faint 
Peie;  par  un  des  Religieux  de  Mar- 

mouftier^ 


(  x6ç)  ) 
mouftier ,  monté  fur  une  haquenée  blan- 
che avec  une  houlTe  de  Damas  blanc  , 
&  fous  un  poifle  aufli  de  Damas  blanc 
porté  par  quatre  Religieux  :  aux  côtés 
marchoient  à  cheval  quatre  Seigneurs 
pour  la  garde  de  la  fainte  Ampoulie  , 
Tçavoir  les  Comtes  de  Dinan ,  de  Chi- 
verny  ,  de  Thermes  &:  de  Provencheres 
portant  chacun  le  guidon  de  leurs  armes. 
L'Evcque  de  Chartres  vint  recevoir 
la  fainte  Ampoulie  à  l'entrée  du  choeur  , 
&  la  mit  fur  l'Autel  avec  beaucoup  de 
vénération.  Il  fut  enfuùe  derrière  le 
grand  Autel  fe  revêtir  de  Tes  .habits  Pon- 
tificaux pour  célébrer  la  MeiTe  ,  &  revint 
à  l'Autel  où  le  Roi  fe  mit  à  genoux  de- 
vant ledit  Evcque,  &  jura  fur  l'Evangile 
de  défendre  l'Eglife  &  de  garder  la  juf- 
tice  en  fon  Royaume. 

Le  Roi  retourna  à  Ton  Ciégt ,  oii  le 
grand  Chambellan  &  le  grand- Maître 
.  lui  "chauiïerent  des  bottines  de  fatin 
violet  femées  de  fleurs  de  lis  d'or.  M.  le 
Prince  de  Conti  lui  attacha  les  éperons 
d'or  que  peu  après  le  grand  Chambellan 
lui  ôta. 

Sa  Majerté  revint  à  l'Autel  &  alors 
l'Evcque  de  Chartres  bénit  une  épce  nue 
&  reçut  de  nouveau  le  ferment  du  Roi. 
Rl:ucil  O.  H 


^  ^7o  ) 
enfuite  les  deux  Evêques  qui  conduifoient 
le  Roi,  lui  ceignirent  i'épée  &  l'Evêque 
du  Chartres  l'ayant  retirée  du  foureau 
la  donna  au  Roi  qui  la  pofa  nue  fut 
l'Autel.  L'Evêque  de  Chartres  la  remit 
entre  les  mains  de  Sa  Majefté  ,  qui  la 
donna  à  M.  le  Connétable,  il  la  reçut 
avec  refpeâ:  &  la  tint  toujours  élevée 
jufqu'après  le  dîner  du  Roi. 

Après  cela  M.  le  Chancelier  Ce  leva 
&  ayant  falué  le  Roi ,  il  appella  les  Pairs 
félon  leur  rang  de  Ducs  ou  de  Comtes, 
en  ces  termes.  »  M.  le  Prince  de  Conti 
»s  qui  afiiftés  à  cet  acfte  pour  le  Duc 
»  de  Bourgogne  approchez-rous  «  & 
ainfi  des  autres  Pairs  tant  Eccléfiafliques 
que  Laïcs.  Pendant  cette  invitation  l'E- 
vêque de  Chartres  apprêta  du  faint  Crê- 
ine  avec  un  peu  d'huile  de  la  fainte 
Ampoulle  qu'il  tira  avec  le  bout  d'une 
aiguille  d'or.  Le  chœur  chanta  les  Li- 
tanies en  mufique ,  pendant  que  S.  M. 
demeura  couché  avec  l'Evêque  de  Char- 
tres au-devant  du  grand  Autel  fur  un 
matelas  couvert  de  toile  d'argent ,  ayant 
j'un  &  l'autre  le  vifage  tourné  contre  un 
chevet  de  même  étoffe.  A  la  fin  des 
Litanies  l'Evêque  fe  leva  &  fit  fur  le 
Roi  les  bénédidions  accoutumées. 


(   171  ) 

Les  prières  étant  finies  le  Roi  Ce  re-» 
leva ,  &  alors  on  le  dépouilla  de  Ca  robe 
de  teille  d'argent.  Sa  Majefté  fe  remit 
enfuite  à  genoux  &  l'Evêque  en  pro- 
nonçant plufieurs  oraifons ,  oignit  le  Roi 
à  la  tête  ,  à  l'eftomach  ,  entre  les  épau- 
les ,  aux  joinftures  des  coudes  ,  la  che- 
mife  &c  la  camifoie  de  fatin  cramoifi  du 
Roi  étant  fendues  à  tous  ces  endroits. 
Après  ces  onctions  les  Evêques  Pairs 
renouèrent  les  attaches  de  ces  ouver- 
tures. 

L'Evêque  étant  retourné  à  i'Autel  fît 
d'autres  prières ,  après  lefquelles  il  deC- 
cendit  &  vint  oindre  les  paulmes  des 
mains  de  S.  M.  &  lui  mit  des  gands  de 
{"atin  blanc. 

Après  cette  cérémonie  le  Roi  fut  re- 
vêtu par  le  grand  Chambellan  de  Tes 
habillemens  Royaux  ,  qui  étoient  une 
robe  en  façon  de  chafuble  de  Diacre  de 
fatin  violet ,  avec  quatre  clinquars  d'or 
fort  large  ,  une  autre  robe  plus  longue 
de  veloufs  violet,  puis  un  grand  man- 
teau auflî  de  velours  violet ,  tous  ces  ha- 
billemens écoient  femés  de  fleuis  de  lis 
d'or  &  fort  pefans. 

L'Evêque  prit  enfuite  fur  l'Autel  la 
grande  couronne  &  avec  lui  les  Pairs 

Hij 


(  I70 
la  mirent  tous  enfemble  fur  la  tête  d« 
Sa  Majefté.  Il  bénit  auflî  un  anneau 
qu'il  mit  au  doigt  du  Roi,  le  Sceptre 
qu'il  mit  dans  la  main  gauche ,  en  réci- 
tant les  oraifons  accoutumées. 

Après  le  couronnement  le  Roi  fut 
mené  à  Ton  thrône  préparé  fur  le  Jubé 
ou  pupitre  de  ladite  Eglifejtour  le  long 
duquel  on  avoit  drefle  un  échafïaut,  fur 
lequel  étoit  préparé  le  thrône  élevé  de 
quatre  à  cinq  marches  ,  avec  un  (îége 
&  oratoire  de  velours  violet  femé  de 
fleurs  de  lis  d'or.  On  pouvoir  voir  ce 
thrône  de  tous  les  endroits  de  ladite 
Eglife  ,  6c  aux  deux  côtés  ctoient  deux 
bancs  ou  étoient  aiïis  à  droite  les  Pairs 
Eccléfiaftiques  &  à  gauche  les  Pairs  Laïcs. 
Il  y  avoit  de  chaque  côté  du  thrône 
deux  grands  degrés  fort  larges  pour  y 
monter  Ôc  dcfcendre  ;  au  bas  defquels 
ctoient  les  Héraut»  d'armes. 

Sa  Majeûé  en  allant  à  Ton  thrône 
ctoit  précédé  des  Hérauts  ,  des  grands 
Officiers ,  du  Chancelier  &  du  Conné- 
table. Le  Roi  marchoit  entre  les  deux 
files  des  Pairs ,  ayant  la  queue  de  Ton 
manteau  Royal  pottée  par  Monfieur  de 
faint  Luc. 
.    Le  Roi  s'étant  alTs  fur  Ton  thrône  ôc 


(  Ï75  )  . 
les  douze  Pairs  ayant  pris  place  fur  lè'i 
bancs  qui  leur  avoient  été  préparcs  > 
l'Evêque  de  Chartres  fe  leva  &  après 
avoir  falué  le  Roi ,  il  fe  retourna  du  côté 
du  Peuple  &  cria,  vive  le  Roi  a 
JAMAIS.  Alors  S.  M.  fe  leva  &  s*étanc 
avancé  du  côté  qui  regarde  la  Nef  de 
rEglife,  il  fe  montra  au  Peuple  qui  cria 
à  haute  voix  &  avec  les  marques  de  la 
plus  vive  allégrede,  Vive  le  Roi.  Ces 
cris  de  Joie  étoient  accompagnes  du  Ton 
des  trompettes  ,  des  clairons  ,  &  des 
tambours.  Un  Héraut  d'armes  jettà  en- 
fuite  beaucoup  de  pièces  d'argent. 

Le  Roi  retourna  enfuire  à  Ton  thrône 
dans  lequel  il  s'alîît ,  ôc  l'Evêque  de 
Rente  s'ctant  approché  de  Sa  Majefté 
lui  fit  une  révérence  profonde  ,  Se  le  baifa 
à  la  joye.  Les  autres  Pairs  montèrent 
au  thrône  &  en  firent  autant. 

Le  Chancelier  ,  le  Connétable,  le 
Grand -Maître,  le  Grand  Chambellan 
&  le  Grand  Ecuyer  fe  tinrent  debouc 
pendant  cette  cérémonie,  chacun  à  leur 
place  &  faluerent  les  douze  Pairs  à  me- 
fure  qu'ils  pafferenr. 

Ce  fait  l'Evêque  de   Chartres  afllfté 
de  l'Abbé  de  fainte  Geneviève  de  Paris 
pour  Diacre,  ôc   du   Doyen   de  cette 
H  iij 


C  174  ) 
Egîife  pour  fous  Diacre  avec  dix  autres 
Diacres  &  fous  Diacres  tous  Chanoines 
de  cette  Eglife ,  commença  la  grande 
Meffe  qui  fut  chantée  par  les  Chantres 
de  la  Chapelle  du  Roi,  qui  étoienc  à 
Taigle  du  chœur.  Sa  Majefté  ayant  quitte 
fon  fceptïe  &  fa  main  de  juftice,  qui 
furent  pofés  fur  deux  oreillers  de  toille 
d'or  5  entendit  la  Meffè  avec  beaucoup 
de  dévotion. 

Après  l'Evangile,  Monfieur  l'Arche- 
vêque de  Bourges  grand  Aumônier  de 
France  partit  d'auprès  du  Roi  où  il  étoic 
à  genoux  ,  &  afiîfté  de  Monfieur  du 
Perron  premier  Aumônier ,  nommé  à 
l'Evêché  d'Evreux ,  &  des  quatre  Aumô- 
niers ordinaires  fut  à  l'Autel  prendre 
de  la  main  du  Diacre  le  Livre  de  l'E- 
vangile, qui  étoit  couvert  à  l'endroit 
de  l'Evangile  du  jour  d'un  taffetas  rouge 
que  le  Diacre  ôra  ,  en  donnant  le  Livre 
au  grand  Aumônier  ,  qui  l'apporta  en 
grande  révérence  au  Roi  ,  &  l'ayant  fait 
bàifer  à  S.  M.  il  le  reporta  à  l'Autel 
avec  le  même  cortège. 

Le  ginni  Aumônier  étant  de  retour 
auprès  du  Roi ,  prépara  l'Hoftie  &  le 
vin  pour  la  communion  de  Sa  Majefté 
&  après  en  avoir  fait  l'elTay ,  il  le  porta 


(  175  ) 
a  TAutel  pour  ctre  confacré  par  l'Eve* 
que  de  Chartres. 

Après  cela  le  Roi  fut  à  l'ofliande 
précédé  des  quatre  Hérauts  d'armes  ,  des 
quatre  Aumôniers  ordinaires ,  du  pre- 
mier Aumônier,  du  grand  Aumônier  Se 
des  grands  Officiers  de  la  Couronne  i 
quatre  Chevaliers  du  Saint -Efprit  por- 
toient  les  offrandes  de  Sa  Majeflé.  M.  de 
Sourdy  Gouverneur  de  Chartres  por- 
toir  un  vafe  d'or  plein  de  vin.  M.  de 
Scuvray  un  pa\n  d*argent.  M^à'^mra- 
gués  un  pain  d'or.  M.  Defcars  une  bourfe 
dans  laquelle  il  y  avoit  treize  pièces 
d'or  chacune  de  la  valeur  de  douze  écus. 
Le  Roi  fu'vi  des  douze  Pairs  en  arrivant 
à  l'Autel  fe  mit  à  genoux  fur  un  car- 
reau qui  lui  fut  préfenté  par  le  grand 
Aumônier,  qui  reçut  les  offrandes  pré- 
fentées  par  S.  M.  Le  Roi  après  avoir 
fait  ces  offrandes  retourna  à  ion  thrône 
dans  le  même  ordre  qu'il  étoit  venu  à 
J'Autel. 

A  VJgnus  Dei  le  grand  Aumônier 
accompagné  comme  il  Tavoit  été  à  l'of- 
frande fut  à  l'Autel  recevoir  le  baifer 
de  paix  de  M.  TEvêque  de  Chartres  , 
enfuite  vint  baifer  le  Roi.  Les  Pairs  don- 
nèrent aufïï  le  baifer  de  paix  à  S.  M. 

H  iv 


(  nn 

fur  la  fin  de  la  Meffe.  Après  les  béné- 
di(f^ions  folemnelles  &  accoutumées  fai- 
tes par  PEvêque  célébrant  ,  Sa  Majefté 
fe  rendit  à  l'Aurel  dans  le  même  ordre 
ciu'elle  y  avoit  éré  lors  de  Toffrande. 
Lorfqu'il  fut  arrivé  il  ôra  fa  couronne  8c 
reçut  la  communion  fous  les  deux  efpcces. 

Après  cela  TEvêque  mit  fur  la  tète 
du  Roi  une  couronne  de  moyenne  gran- 
deur. Lorfque  la  Mefle  fut  achevée ,  Sa 
Majefté  forîit  de  l'Eglife  &  retourna  dans 
Ton  logis  dans  un  pareil  ordre  qu'il  étoit 
venu;  il  y  avoir  en  outre  devant  S.  M. 
Je  iieur  de  Roquelaine  Maître  de  la 
garderobe  portant  la  main  de  Juftice. 
Le  lîeur  d'O  premier  gentilhomme  de 
ia  Chambre  portant  le  fceptre  ,  &  le 
Duc  de  Monîba-:^on  portant  la  grande 
couronne  fur  un  oreiller  de  toille  d'or. 
Les  douze  Pairs  fuivoient  le  Roi  tout 
Je  peuple  criant  fans  ceHfè,  vive  le  Roi. 

La  fainte  Ampoulle  fut  enfuite  recon- 
duire iufques  à  l'Abbaye  de  faint  Père 
dans  le  même  ordre  qu'elle  avoit  éré 
apportée,  par  le  Clergé,  les  Religieux 
&  les  quarre  Barons  ci-deffus. 

Le  Roi  de  retour  à  fon  Logis  fe  mit 
à  table  ,  M.  le  Prince  de  Conû  donna 
la  fervietie  pour  laver  ,  la  bénédi(flîon 


(   177  ) 

fut  faite  par  M.  l'Evêque  de  Chartres. 
La  table  du  Roi  éioit  entre  celles  des 
douze  Pairs ,  mais  plus  élevée.  M.  le 
Comte  Aefaint  Paul  fit  pendant  le  dîner 
l'office  de  grand  Maître.  Le  Comte  de 
Sancere  celui  de  grand  Echanfon.  Le 
Connétable  tenant  l'épée  nue  la  pointe 
élevée  demeura  debout  durant  le  dîner. 
A  chaque  fervice  les  trompettes  &  les 
clairons  fonnerent. 

Au  coté  droit  du  Roi  croit  une  autre 
table  à  laquelle  étoient  aflls  M.  les  Anv- 
bafladeurs  d'Angleterre  &  de  Venife,  le 
Chancelier  ,  les  quatre  Seigneurs  qtri 
avoienc  porte  la  couronne,  le  fceptre, 
la  main  de  Juftice  &  la  queue  du  man- 
teau Royal,  &  les  quatre  Chevaliers  qui 
avoient  porté  les  offrandes  du  Roi. 

Le  Roi  s*ctant  levé  de  table ,  M.  de 
Chartres  dit  les  Grâces  qui  furent  chan. 
tées  par  la  mufique  du  Roi.  S.  M.  fe 
retira  enfuite  dans  fa  Chambre  dans  îe 
même  ordre  qu'elle  étoit  venue  de  l'E- 
glife.  Alors  le  Connétable  &  les  autres 
grands  Officiers  fe  retirèrent. 

Le  lendemain  Li^ndi  dernier  jour  de 
Février,  Sa  Majefté  reçut  Tordre  da 
Saint-Erprit  avec  les  cérémonies  accotr: 


(  I7S  ) 


SONNET  fur  le  Sacre  du  RoL 

FRANÇOIS  c'eft  à  ee  coup  que  nous  verrons- 
efteinte 
La  Ligue,  vrai  fuzil  <fe  nos  calamicez 
Et  bientofl  rEfpagnol  quittera  nos  citez  , 
Qii'il  nous  avok  ravi  ,  foubs  fa  piété  feinte^ 

Long-temps  a  que  le  Roi  de  Dieu  l'image 
empreinte , 
Tovx  nous  régir  en  paix  ;  mais  les  folemnitcs 
De  fon  Sacre  ,  ont  tardé  nos  parrialitez  , 
Oindre  ores  l'avons  de  Chartres  dans    i'eni- 
ceinte. 

Par  ce  Sacre  divin  plus   Augufte  il  fera. 
Son  diadème  un  front  redoutable  rendra, 
D'^fvoire  par  la  main  qu'il  tiendra  nous  dé- 
monftre  , 

Qo'it  fera  de  Themis  très-Ibyal  Proteélear, 
Et  fon  glaive  Royal  le  défigne  vainqueur, 
De  la  fiere  Erynnis ,  de  BeÙonc  Se  du  monftie. 


•"K^ 


(  179  ) 


REMONTRANCE  au  Roi  Henry  IK 
contre  les  hlajphémateurs ,  par  M.  de 
Lanagerie  ijçp» 

Sire.  Comme  la  voix  d'un  ccho  s'en- 
cend  volontiers ,  &  ne  fe  trouve  ja- 
mais aubefoin,  de  même  les  Edirs  qui 
fe  font  en  votre  Royaume  font  très- 
volontiers  écoutez  ,  &  mal  obfervez,  & 
il  femble  que  leur  vertu  conlifte  feule- 
ment à  la  le<flure ,  laquelle  achevée  » 
Tobéi (Tance  ell  finie. 

L'impunité  engendre  la  tranfgredîon  , 
&  eafevelit  l'autorité.  Mêmes  effets  ap- 
portent les  réglemens  faits  par  \qs  Cours 
de  Parlemens  contre  les  exadions  faites 
fur  le  peuple  r  pluâeurs  mal  à  propos 
rejettent  la  faute  fur  les  Officiers  de  la 
juftice  »  à  qui  la  ciiarge  de  les  faire  ob- 
server eft  adreiïée.  Ils  font  fi  occupez 
à  rendre  la  jnftice  à  ceux  qui  (on:  fous 
leurs  yeux  ,  &  qui  la  leur  demandent  » 
qu'ils  ne  peuvent  vacquer  à  punir  ceux  , 
contre  lefquels  perfonne  ne  leur  parle  j 
tellement  qu'à  faute  de  partie  &  d'iafli- 

H  V) 


(  i8o  ) 
guant  *  5  piufîeurs  crimes  demeurent 
impunis  î  &  enrre  autres  le  blafphéme 
contre  Dieu,  ne  faifar.t  la  plupart  des 
hommet),  non  plus  de  difficulté  de  blas- 
phémer ,  que  de  manger.  L'ire  de  Dieu 
a  toujours  découlé  Air  les  Royaumes 
par  le  canal  du  blafphéme. 

La  paix  inopinée  que  Dieu  vous  a 
donné  ,  vous  foUicite  afTez  de  remédier 
à  ce  mal ,  de  puifque  V.  M.  a  commandé 
la  celfation  des  armes  pour  empêcher 
d'offenfcr  les  créatures ,  il  eft  raifonna* 
h\e  qu'elle  fade  ceflTer  les  blafphêraes 
qui  offenfent  le  Créareur  ;  &  pour  ce 
faire ,  j'ai  penfé  depuis  avoir  parlé  à 
V.  Me  des  remèdes  fort  certains  ,  par 
îe  moyen  defquels  elle  ehaflera  bientôt 
le  blafphéme  de  fon  Royaume ,  tocs  les 
autres  péchez  regardent  l'intérêt  du  pro- 
chain ;  mais  celui-ci  eft  diredemenî 
tout  contre  Dieu. 

Il  y  a  en  chaque  ville  de  votre  Royau- 
me trente  perfbnaes  qui  s'occupent  à 
faire  fendre  la  judice  aux  hommes ,  & 
qui  vivent  aux  dépens  du  public  ,  pour 
faire  obferver  les  loix  des  Empereurs  , 
&  les  ordonnances  de  vos  prédécefTeurs  : 
31  fc  trouvera  parm.i  ces  trente  >  quel- 
*   DcUteurs ,  provocsuïs ,  re<5^ae£anM 


qu*Avocat  ou  Procureur  pouc  prendre 
la  charge  de  défendre  l'honneur  de  Dieu , 
&  Ce  rendre  partie  contre  les  blafphé- 
mateurs  :  le  tiers  des  amencies  fuffira 
pour  leurs  gages  ,  confideré  que  leurs 
peines  &  vacations  feront  payez  fur  les 
dépens  que  le  juge  taxera  fur  les  délin- 
quants ,  par  ce  moyen  on  remédiera 
facilement  ,fans  toucher  à  vos  finances, 
ni  à  la  bourfè  du  peuple  ,  &  moins  eft-iî 
befoin  de  faire  fur  ce  aucuns  Edits  ni 
ordonnances  de  nouveau  ;  mais  feule- 
ment de  faire  obferver  ce  qui  a  été  mû- 
rement délibéré  &  cftdonné  »  tant  par 
votre  Confeil,  que  par  les  Etats. 

Il  eft  certain  que  la  Loi  ni  l'Ordon- 
nance n'ont  point  de  paroles  vives  pouj 
folliciter ,  ni  langue  pour  accufer  ,  & 
moins  de  boiirfe  pour  frayer  aux  frais 
de  juftice.  Les  amendes  fuffiront  à  tous 
les  frais,  il  n'eft  question  que  de  dépu- 
rer un  Comntîiiïaire,  lequel  avec  l'avis 
des  Officiers  des  lieux,  pourra  choifir 
une  perfonne  qualifiée  pour  être  commis 
en  la  charge  d'inftiguant.  Cela  dépend 
de  votre  commandement ,  &  de  la  vo- 
lonté &  obéiflance  de  M»  le  Chancelier^» 
fans  qu'il  foie  nécedaire  d'ufer  d'autra 
Corqiâlicé  :  Le  commandemenc  de,  pui^ 


(  i8i  } 
iahce  abfolue  ne  fut  jamais  mieux  em- 
ployé: les  fréquentes  &  ordinaires  conf^ 
pirations  que  l'on  fait  fur  votre  vie  , 
font  autant  d'avertifTemens  que  Diea 
vous  envoyé ,  pour  vous  montrer  que 
vous  devez  avoir  autant  de  foin  de  dé- 
fendre fon  honneur,  qu'il  a  eu  jufques 
ici  de  conferver  votre  vie  j  &  que  li 
V.  M.  foufîre  que  l'on  blafphcme  contre 
lui  5  il  permettra  que  l'on  confpire  con- 
tre vous  ,  vous  avez  fur  tous  les  Rois 
plus  d'expérience  de  fon  affiftance  ;  d'au- 
tant eftes-vous  plus  obligé  à  défendre 
fon  honneur.  La  feule  colère  éroit  le 
pafTe  *  la  mère  qui  engendroit  le  blaf- 
phême ,  mais  à  préfent  on  blafphême 
en  risnr,  &  qui  blafphême  le  plus,  parle  le 
mieux.  Tellement  qu'il  femble  que  l'en- 
nemi de  notre  ^alut  Ce  foit  rendu  Sei- 
gneur foncier  de  nos  difcours,  ou  qu'il 
ait  pris  en  afferme  toutes  nos  paroles , 
&  que  de  trois  mots ,  il  en  tire  un  blaf- 
phême pour  fon  droit  ;  les  chambrières 
s'en  mêlent ,  les  valets  s'en  jouent ,  les 
petits  enfans  s'y  adonnent ,  les  artifans 
en  font  métier ,  les  médiocres  n'en  font 
pas  moins  ,  &  la  plupart  des  granâs 
n'en  font  pas  exempts.  C'cft  le  torrent  qui 
♦  Anciennement. 


(   iJ?5  ) 
tefle   du  déluge  de  Ja  longue  guerre 
palfce. 

On  allègue  pour  toute  excufe  que 
c*efl:  une  mauvaife  coutume,  je  répons 
que  celui  qui  blafphême  par  coutume  ^ 
fera  damné  par  ufage  >  car  comme  la 
coutume  engendre  l'habitude,  la  juftice 
Élvine  produit ,  &  met  fa  punition  en 
ufage  :  11  ne  fe  peut  autrement  »  confi- 
deré  que  le  blafphême  eft  l'avant-cou- 
reur  de  l'impiété  ,  tellement  que  quand 
le  biafphémateur  monte  à  cheval ,  l'A- 
théifme  lui  monte  en  trouîTè ,  étant  cer- 
tain que  qui  renie  ,  defnie. 

Je  fçai  que  ehacun  portera  fon  far*- 
deau  ,  cela  s'entend  pour  le  principal  y 
&  non  pour  l'accefToire.  Celui  qui  écou- 
te &  entend  blafphérner  ,  peut  bien  être 
exempt  pour  ce  regard  de  la  peine  de 
damnation  ;  mais  non  pas  de  la  punition 
que  fa.  Juftice  diftribue  en  ce  monde  » 
tant  fur  le  criminel,  que  fur  l'innocent. 
Cela  fe  fair ,  tant  pour  nous  induire  à 
reprendre  les  blafphémateurs ,  que  pour 
nous  inciter  à  pourfoivre  le  châtiment 
par- devant  le  Magiftrat -,  &  puifqu'à 
faute  de  remonftrer  &  de  s'oppofer  ,  l'in- 
nocent eu  puni  j  V.  M.  qui  a  le  fceptre 


(184) 

de  la  jurtice  en  main  ,  doit  d'autant  plus 
craindre  le  courroux  de  Dieu. 
'V  C'eft  une  des  principales  occasions 
qui  m'induit  à  vous  faire  cette  remon- 
trance,  craignant  que  V.  M.  paye  les 
dépens  de  cette  procédure  ,  ce  qu'elle 
peut  éviter  par  l'exécution  de  cette  com- 
mifîîon.  Ce  defTein  eft  bien  féant  à  votiè 
zèle  ,  convenable  à  votre  ame  1  &  digne 
de  V.  M.  &  ferez  à  bon  droit  appelle 
de  nom  &  de  fait  Roi  très-Chrétien ,  ôc 
vous  attirerez  par  ce  moyen  de  plus  en 
plus  la  bénédidlion  de  Dieu  fur  vous. 

Mon  entreprife  eft  infaillible,  Diea 
la  bénira  ,  puifqu'elle  ne  regcirde  que  fa 
gloire,  votre  icrvice ,  le  bien  public, 
le  cours  delajuftice  ,  &  le  foulagement 
des  Juges ,  tant  en  la  rechercfie  du  cri- 
me, qu'en  la  pourfuite  d'icelui  :  bref , 
elle  profite  à  tous,  &  ne  nuit  à  per- 
fonne.  Le  profit  ne  fe  peut  mieux  con- 
noître  qu'en  repréfentant  le  dommage 
que  le  blafphême  porte  par  fa  propre 
defcription  ,  laquelle  j'ai  recueillie  dt 
divers  Auteurs,  avec  tant  de  foin  qu£ 
de  defir,  que  j'ai  de  couronner  par  cette 
ceuvre  ,  le  fer  vice  de  trente  ans  que  j'ai 
faiî  à  V.  M.  avec  inteniion  de  demeurer 


(  iS5  } 
le  refte  de  ma  vie ,   Sire.    Votre  plus 
que  très- humble  fujet  &  ferviteur,  La- 
nagerie. 

Defcrîption  du  Blafphcme. 

Le  blafphême  eft  le  crime  de  Icze- 
^ajefté  divine ,  le  mépris  de  Dieu  , 
l'ame  de  l'ingratitude  ,  le  témoin  de  l'im- 
picté  ,  réclipte  de  la  dévotion,  l'ennemi 
de  la  Foi ,  le  fcandale  de  l'Eglife  ,  le 
tonnerre  de  la  terre  ,  la  frayeur  des 
Elus ,  l'organe  de  l'Antechrift  ,  la  mé- 
lodie des  Enfers,  le  prix  de  la  vanité, 
le  garant  des  menteurs ,  l'alTurance  Aes 
afFronteurs ,  la  parenthèfè  des  fuperbes  , 
l'indice  de  la  maliee ,  la  mort  de  la  ver- 
tu ,  le  fépuîchre  de  la  bienféance  ,  la 
pefle  des  âmes,  la  gangrené  du  péché, 
la  ruine  des  Royaumes,  la  caufe  du  Dé- 
cret du  ciel  contre  les  Princes  ,  bref, 
le  blafphême  eft  la  lie  du  Calice  de  Tire 
de  Dieu  ,  &  Talembic  qui  diftile  fa  ma- 
lédidion  fur  nous  ,  &  la  continuation 
efl  l'aéte  de  réprobation.  Très-heureux 
eft  le  Roi  qui  chaftc  ce  monftre  de  foii 
Royaume. 


(    iS6   } 


Lettre  du  Roi  cl  M.  le  Chancelier. 

MOnfieur  le  Chancelier ,  je  trouve 
bonne  la  commiffion  que  le  fieur 
de  Lanagerie  m'a  préfenrée  touchant  les 
blafphêmes ,  parce  que  vous  la  lui  fêtez 
expédier  ,  comme  chofe  que  je  veux  '■, 
auflî  que  vous  mandiez  par  devers  vous 
mes  gens ,  pour  leur  commander  de  ma 
part,  qu'ils  ayent  à  pourfuivre  la  véri- 
fication de  ladite  commiffion  à  ma  Cour 
de  Parlement,  &  celle  -  ci  ne  rend  à 
autre  fin.  Dieu  vous  ait  ,  Monlieur  le 
Chancelier,  en  fa  garde.  Ce  4^  Novem- 
bre 1598.  a.\nû  Jigné  Henry,  &  au  dos 
efl:  écrit.  A  Monfieiu  le  Comte  de  Chi- 
verny  Chancelier  de  France. 


^■J^ 
#y^ 


l 


r^87) 


POMPE  funèbre  de  Henry  le  Grand 
IV.  du  nom  Roi  de  France  &  de 
Navarre.  Faite  à  Paris  &  à  S,  Denis 
les  2ç.  &  jo.  Juin  16 lO. 

LE  Roi  crant  décédé  le  léî.Mai  Kjio.. 
la  Reine  affidée  des  Princes ,  Pré- 
lats &  grands  Officiers  de  la  Couronne 
mit  en  dclibcration  de  lui  rendre  les  der- 
niers devoirs  &  de  lui  taire  des  obfecjues 
fuivant  X étiquette  Koy aie  ^  &  de  donner 
ordre  tant  pour  faire  prier  Dieu  pour 
fon  ame  ,  que  pour  toutes  les  cérémo- 
nies qui  dévoient  être  obiervées  aux  fu- 
nérailles de  ce  grand  Monarque. 

Le  18.  Mai  le  corps  da  Roi  fut  mis 
dans  un  lit  la  face  découverte  ,  &:  après 
avoir  été  expofé  à  la  vue  du  peuple ,  il  fut 
procédé  à  l'ouverture  &  tmbaumement 
de  fon  corps  ,  dont  on  tira  fon  cœur 
pour  le  porter  à  la  Flèche  ,  &  fes  en- 
trailles à  faint  Denis,  ainfi  qu'il  l'avoit 
ordonné  de  fon  vivant.  Apres  cela  il  fut 
enfeveli  &  mis  dans  un  cercueil  de 
plomb  couvert  de  velours  violet  fur  le- 
quel étoic  une  grande  croix  blanche. 


(  i8S  ) 
Le  lendemain  qui  étoit  le  jour  de  la 
Pentecôte  ,  fur  les  quatre  heures  du  ma- 
tin ,  le  cœur  du  Roi ,  qui  avoit  été  em- 
baumé dans  un  cercueil  de  plomb  revêta 
de  vermeil  fut  porté  à  la  Flèche  ,  Heu 
de  la  fépulture  du  Roi  de  Navarre  (on 
père,  accompagné  de  quatre  cens  Maî- 
tres à  cheval ,  tant  Seigneurs  Gentils- 
hommes qu'autres.  Le  cœur  étoit  dans 
un  carolTè  fur  une  petite  eftradc  au  mi- 
lieu de  quatre  Pères  Jéfuites  qui  l'ac- 
compagnoienr. 

Etat  &  ordre  de  la  Chambre  du  Trépas» 

L  E  corps  ayant  été  pofé  dans  le  cer- 
cueil ,  fut  mis  dans  une  chambre  riche- 
ment tapifTée  ,  fur  un  lit  à  côté  duquel 
on  avoit  drelTé  deux  Autels  ou  (ê  di- 
foient  tous  les  Jours  cent  Méfies  célé- 
brées par  des  Prêrres  de  divers  ordres. 

Dans  la  Chambre  croient  plufieurs 
bancs  richement  couverts  pour  alTeoir 
les  Princes  &  Officiers  de  la  Couronne, 
les  Cardinaux  ,  Archevêques ,  Evêques , 
grand  Aumônier  &  autres  Prélats  & 
Officiers  d'Eglife.  Auprès  du  bénitier 
étoient  deux  Hérauts  d'arraes  &  des  deux 
côtés  étoient  plufieurs  autres  bancs  pour 


\      (iSç,) 

afleoîr  les  Religieux  qui  pfalniodioienc 
jour  6c  nuit. 

On  avoir  pofé  fur  le  corps  dn  Roi  (a 
couronne ,  le  fceptre  &  la  main  de  jus- 
tice, fur  an  grand  couffin  de  riche  bro- 
derie. Le  corps  refta  ain(î  dans  ladite 
Chambre  Tefpace  de  quinze  ou  feize 
jours  ;  il  fut  enfuite  defcendu  ôc  porte 
en  grand  honneur  6c  cérémonie,  en  la 
grande  falle  bade  du  Louvre ,  affilié  des 
Evêques,  Prélats  6c  grands  Seigneurs 
de  la  Cour- 

SaUe  d'honneun 

La  grande  falle  d'honneur  étoit  ta- 
pîflce  des  plus  riches  tapi(îèries  du  Roi 
depuis  le  haut  jufques  en  bas  même 
contre  le  plancher  6c  les  pilliers.  Aa 
long  de  ladite  falle  on  avoir  formé 
^eux  galeries  des  deux  cotés  pour  l'entrée 
6c  la  fortie  des  Princes  &  des  grands 
Seigneurs  ,  lefquelles  galeries  étoient 
couvertes  de  riches  tapis  de  pied. 

Au  haut  de  ladite  falle  étoit  érigé  un 
t-ribunal  de  quatre  marches  fur  lequel 
étoit  dre^Tc  un  grand  châlit  couvert  d'un 
grand  drap  de  toiUe  d'or  fur  lequel  ctoic 
pofce  l'effigie  du  Roi ,  relevée  6c  faite  en 


(  Î90  ) 
cire  ayant  les  mains  jointes  &c  vécue  des 
habits  Royaux ,  la  couronne  fur  la  tête 
qui  repofoic  fur  un  couflîn  de  riche  bro- 
derie. Sur  Ton  manteau  Royal  étoit  le 
coller  de  l'Ordre  &  à  Tes  deux  côtés 
étoient  pofés  le  fceptre  Royal  &  la  maiti 
de  Juftice. 

Près  de  ladite  effigie  étoient  deux: 
Autels  richement  parés  l'un  à  droite  & 
i'autre  à  gauche.  A  celui  de  la  droite 
on  difoit  une  Méfie  de  Requiem  en 
mufique  &  à  celui  de  la  gauche  Ce  di- 
foient  quatre  autres  Méfies.  Sur  chacun 
des  Autels  étoit  un  riche  poifle&  entre 
deux  étoient  plufieurs  fiéges  pour  les 
Prélats  &  Religieux  qui  pfalmodioienc 
&  tout  du  long  de  la  falle  dans  le  bas 
étoient  plufieurs  autres  Autels  aufîî  fort 
richement  parés  où  l'on  célébroit  des 
Méfies  bafies. 

L'effigie  étoit  ordinairement  fervie 
de  viandes  fur  fa  table  par  Tes  Maîtres 
d'Hôtels ,  Pannetiers ,  Echanfons ,  valets 
tranchans ,  Officiers  &  Aumôniers ,  Se 
l'ordre  étoit  gardé  comme  fi  le  feu  Roi 
eût  été  vivant.  On  faifoic  les  eflais ,  on 
difoit  le  benedicite,  on  rendoit  grâces  à 
Dieu  Se  cnfuite  les  viandes  étoient  dif- 
trtbuées  aux  pauvres. 


Le  vingt-unième  jour  de  Juin  l'effi- 
gie fut  levée,  ainfi  que  les  tapifTeries 
&toute  ladite  falle  fut  entièrement  tendue 
de  drap  noir  ,  &  le  corps  du  feu  Roi 
fut  mis  à  la  place  de  l'effigie  Se  couvert 
d'un  grand  velours  noir  qui  traînoit 
jufques  à  terre ,  avec  une  croix  de  fàtin 
blanc  &  le  poifle  delTus  le  velour  noir. 

Deffijs  le  cercueil  étoient  la  couronne 
Royale,  le  colier  de  l'ordre,  le  fceptie 
&c  la  main  de  juftice.  Au  pied  du  cer- 
cueil étoit  une  grande  croix  d'argent, 
fur  un  couffin  près  de  laquelle  étoient 
des  grands  cierges  allumés  brûlans  ordir 
nairement  dans  des  chandeliers  d'argent, 
ôc  aux  deux  côtés  étoient  deux  Hérauts 
d'armes,  qui  de  deux  heures  en  deux 
heures  étoient  relevés  par  d'autres. 

Le  vingt-deuxième  jour  de  Juin  Henr 
ry  III.  Roi  de  France  &  de  Pologne 
fut  poité  à  faint  Denis ,  ce  Prince  étoit 
reflé  en  dépôt  à  faint  Cloud  ,  fous  la 
conduite  de  M.  le  Duc  d'Epernon  ac- 
compagné d'un  grand  nombre  de  No- 
blerfè  &  d'Officiers ,  &  le  lendemain  le 
fervice  fut  célébré  pour  lui  par  M.  le 
Cardinal  de  Joyeuie  Archevêque  de 
Rouen  &  enluite  mis  dans  la  cave  au- 
près du  Roi  Henry  II.  fon  père  ;  de  la 


\ 


Reine  fa  mère  &  des  autres  Princes 
de  fa  Mâifon.  Cette  cave  fut  enfuira 
fce  liée. 

Le  23.  dudic  mois  de  Juin  Louis  XIII. 
Roi  de  France  &  de  Navarre  à  préfenc 
régnant  ,  dîna  à  l'Hôtel  de  Longueville 
&  après  dîner  fut  conduit  en  belle  or- 
donnance jufqu'au  Louvre  pour  donner 
de  l'eau  bénite  fur  le  corps  du  feu  Roi 
fon  père ,  accompagné  de  Mefîieurs  Ces 
frères  ,  qui  étoient  portés  à  fes  deux 
côtés  fçavoir  ,  Monsieur  Duc  d'Orléans 
à  droite ,  &  M.  le  Duc  cT Anjou  à  gau- 
che ,  à  côté  de  Sa  Majeflé  ctcient  les 
Cardinaux  de  Joyeufe  &  de  Surdi. 

Sa  Majefté  portoit  le  grand  deuil  vio- 
let à  longue  qjjeue  qui  étoit  portée  par 
Meffîeurs  les  Princes  de  Conty  ,  de 
Soiffons  j  de  Gui/e  _,  de  Joinville  & 
d'£/^^«/fuivis  des  Maréchaux  de  France 
6c  des  Chevaliers  de  l'Ordre.  Plu  (leurs 
Evêques ,  Prélats ,  grands  Seigneurs  &c 
nombre  infini  de  NoblefTè  ,  grandes 
Dames  &  Damoifelles  étoient  dans  la 
faile  qui  artendoient  la  venue  du  Roi  qui 
ayant  jetié  de  l'eau  bénite  fe  retira  au 
Louvre. 

Le  lendemain  i6.  Me(Tîeurs  de  la 
Cour  de  Parlement  fur  les  dix  heures 

du 


du  matin  au  fortir  de  Taudiance  allèrent 
aiiiïi  au  Louvre  en  l'ordre  accoûrumé 
pour  donner  de  l'eau  bénite.  Ils  éroieM 
fuivis  de  Meilleurs  de  la  Chambre  ries 
Comptes  ,  des  Aides  ,  Généraux  des 
Monnoyes  &  état  de  la  juftice  ,  du  Pré- 
vôt de  Paris  ,  Prévôt  des  Marchands  & 
Echevins  de  la  ville. 

Le  Lundi  28.  les  douze  CTieurs  jures 
de  Paris  parle  commandement  qui  leur 
fut  fait ,  s'étant  vêtus  des  écuiTons  & 
armes  du  Roi  qu'ils  portoient  par  de- 
vant &  par  derrière,  allèrent  par  cous 
les  carrefours  de  Paris  avec  leurs  clo- 
chettes Tonnantes  pour  annoncer  le  con- 
voy  &:  les  funérailles  du  feu  Roi ,  criant 
à  hante  voix  les  paroles  fuivantes. 

»  Nobles  &  dévotes  perfonnes  priés 
»  Dieu  pour  l'ame  de  très -haut,  très- 
«  puifTant  ,  &  rrès  •  excellent  Prince 
»  Henry  le  Grand  par  la  grâce  de 
w  Dieu  Roi  de  France  &  de  Navarre , 
»>  très  Chrétien,  trcs-Augufte,  très-vic- 
»>  torieux  ,  incomparable  en  magnani- 
»»  mité  Se  clémence ,  lequel  eft  trépade 
«  en  Ton  Palais  du  Louvre,  priés  Dieu 
»  pour  qu'il  reçoive  Ton  ame. 

»  Mardi  à  deux  heures  après  midi 
u  le  corps  de  Sa  Majefté  fera  levé  pour 

Recueil  O.  I 


»î  être  porté  en  l'Eglife  de  Paris,  auquel 
M  lieu  ce  même  jour  fe  diront  Vêpres 
»j  &  Vigiles  des  Morts  &  le  lendemain 
M  matin  ,  Tes  fervices  &  prières  accoû- 
»j  tumées  pour  à  la  fin  d'icelles  être 
»>  porté  en  l'Eglife  faint  Denis  ,  fépul- 
«  ture  des  Rois  de  France  &  y  être 
>»  inhumé.  Priés  Dieu  qu'il  reçoive  Ton 
M  ame.  « 

L'ordre  du  convoy  allant  à  Notre-Dame. 

Le  Mardi  29.  Juin  on  tendit  de  noir 
les  rues  depuis  le  Louvre  jufqu'à  Notre- 
Dame  ,  fur  lefquelles  tentures  éioient 
les  armoiries  de  la  ville  proche  l'une 
de  l'autre  ,  &  à  chacune  maifon  une 
torche  allumée. 

Le  même  jour  fur  les  deux  heures 
après  midi  les  funérailles  commencèrent 
à  cheminer  dans  Tordre  qui  fuit. 

Premièrement ,  marchèrent  les  Capi- 
taines ,  Lieutenans  &  Enfeignes  de  la 
maifon  de  ville  avec  leurs  grandes  ro- 
bes ,  l'épée  au  côté,  le  capuchon  &  cor- 
nettes i  les  Archers  arbalétriers  de  ladite 
ville  vêtus  de  leurs  cafaques  de  cou- 
leurs en  broderie,  6c  le  capuchon  de 
deuil   par   de^us   au  nombre  de   cent 


(  I5>?  ) 
toîxante- douze,  marchant  deux  à  deur 

les  mèches  allumées  portant  leurs  arque- 
tufes  &  hallebardes  rcaverfées  &  divifés 
en  trois  bandes. 

Après  eux  marchoient  foixante  Pères 
Pénitens  du  tiers  ordre  de  (aine  Fran- 
<çois. 

Quarante-cinq  Pères  du  troifiéme  or- 
dre de  faint  Louis. 

Les  Capettes  autrement  les  pauvres 
•écoliers  du  Collège  de  Montaiga  au 
nombre  de  trente- trois.  Quatre-vingt- 
trois  Capucins.  Soixante- huit  Mini/nes, 
Deux  cens  vingt-quatre  Cordeliers.Cent 
cjuatre- vingt- dix  Jacobins.  Cent  Au- 
guftins.  Cinquante  Carmes  ôc  trente- 
cinq  Feuillans. 

Lacroix  étoit  portée  devant  tous  ces 
Religieux,  Si  à  côté  de  la  croix  quatre 
Torches  auxquelles  étoient  attachées  les 
écuffons  &  armoiries  du  Roi. 

Après  eox  marchoient  cinq  cens  pau- 
vres habillés  de  grandes  robes  de  drap 
noir  ,aveG  lé  chaperon  en  forme ,  chaul- 
(ès  &  fouliers  ,  portans  chacun  une  tor- 
che ardente  à  doubles  armoiiies  du  feu 
Roi. 

Suivoient  enfuite  vingt-quatre  crieurs 
]urés  de  la  ville  de  Paris,  fonnauc  de 


(  I90 
leurs  clochettes  ayant  par  derrière  Se  paf 
devant  les  armes  da  Roi. 

Apres  eux  marchoit  le  Chevalier  du 
Guec  avec  fon  Lieutenant  en  grand 
deuil ,  tenant  un  bâton  à  la  main  ,  fuivi 
de  toute  fa  compagnie  vêtue  de  leurs 
cafaques ,  portant  derrière  l'épaule  des 
cornettes  de  drap  noir.  Au  milieu  delà 
compaf^nie  marchoit  le  Capitaine  Enfei- 
gne  ,  traînant  Ton  enfeigne  par  terre, 
couvert  de  crefpe  noir  ,  les  tambours 
bâtant  piteufement  auflî  couverts  de 
crefpe  noir. 

Après  marchoient  trente  Sergens  du 
Châtelet  vécus  de  grandes  robes  noires 
de  bonet  caré,  tenant  chacun  un  bâton 
noir  à  la  main.  Les  Sergens  de  l'Hôtel 
de  ville  venoient  enfuite  au  côté  gau- 
che ,  &  ceux  du  Châtelet  à  cheval  à 
main  droite. 

Après  eux  fuivoient  les  Notaires  ,' 
Commifiaires  de  quartiers  i  les  Procu- 
reurs ,  Avocats  du  Châtelet  tout  par 
ordre ,  vécus  de  longues  robes  de  deuil 
&  bonet  carré  du  côté  droit.  Et  les  Pro- 
cureurs Commis  Greffiers  &  Bourgeoi» 
de  la  ville  à  main  gauche,  auflî  vêtus 
de  mêiv.c  façon. 

M.  le  Lieutenant  civil  du  Châtelec 


croît  après  eux  à  droite,  &  M.  le  Lien- 
tenant  criminel  à  gauche  >  fuivis  des 
Confeillers  du  Châtelet. 

Marchoient  enfuite  les  Religieux  de 
fainre  Avoye  ,  alias  Pique- puce.  Les 
Blancs- manteaux,  fainte  Catherine  du 
Val.  Le  Collège  des  Mathurins  ,  faine 
Paul  ,  faint  Etienne  du  mont  avec  Tainc 
Euftache  &:  fainte  Croix  de  la  Cité. 
Saint  Sauveur ,  faint  Jacques  de  b  Bou- 
cherie, faint  Gervais.  Les  faints  Inno- 
cents, faint  Germain  le  viel ,  faint  Hi- 
laire,  faint  Jacques  de  l'Hôpita'.  Saint 
Etienne  des  Grès.  Saint  Nicolas  du 
Chardoneret  ,  faint  Barthélémy  ,  faint 
Seveiin,  la  Magdeleine  ,  faine  Su'pice. 
Les  Bernardins  ,  faint  Magloire  ,  faint 
Jacques  du  Haut  pas ,  faint  Martin  des 
champs  &  faint  Germain  des  Prés.  Saint 
Vidor,  fainte  Geneviève  ,  les  quatre 
filles  de  Notre  -  Dame ,  qui  (ont  faine 
Mery,  faint  Benoît,  fainte  Oportune  & 
faint  Germain  del'Auxerois.  Saint  Ho- 
noré, faint  Thomas,  faint  Nicolas  du 
Louvre.  Notre-Dame  avec  la  fainte 
Chapelle  ôc  faint  Marcel  chantons  en 
Mufique,  &  à  gauche  marchoir  lUni- 
verfités  les  maîtres  Arts  ,  Licentiés  , 
principaux  Régens ,  Bacheliers ,  Dodeurs 


(  1^5  ) 

en  ?vfédectne  avec  leurs  robes  rouges 
êc  mitres,  Do(fleurs  en  Droit  canon  Se 
civil  ,  Dofteurs  en  Théologie  de  tous 
les  ordres  ,  tes  Bedeaux  de  l^CIniverflré 
&  le  Reâ;eur.  Après  eux  marchoienc 
les  mf  (Ta^ers  Jurés  &  fuivoic  le  Maître 
des  portes  vêtus  de  grandes  robes  noires 
&  capuchons. 

Après  marchoient  les  Pages  de  récil- 
rie  vêtus  de  ferge  noire  ,  fuivis  des 
Maures  de  haut- bois  des  flattes  inflru- 
mens  muficaux,  trompettes  &"  tambours 
couverts  de  noir.  Venoit  enfuite  M.  de 
Crequy  à  droite,  &  M.  de  Y  Eure  à  gau- 
che ,  fuivis  des  Capitaines  Lieutenans  & 
Enfeignes  des  Garde*  &  Régiment  du 
Koi.  ^ 

M.  le  grand  Prévôt  de  l'Hôtet  mar- 
choic  après  à  cheval ,  aufîî  habillé  de 
noir  traînant  une  longue  queue  foûrenue 
par  fes  Officiers  ,  fuivis  de  Tes  Lieute- 
nans Enfeignes  à  pied  avec  grandes  ro- 
bes noires  chaperons  &  leurs  cafaques 
deffus  portant  leurs  efcopettes  &  halle- 
bardes fous  le  bras. 

Le  Capitaine  de  la  porte  de  la  mai- 
fon  du  Roi  avec  fes  portiers  ayant  leurs 
cafaques  en  broderie  le  capuchon  de 
deuil  par  delTus. 


M.  cJe  MarolUs  a  côré  droir ,  &•  M. de 
Bouillon  ôc  M.  de  la  Bordoifiere  fou 
Lieurenant ,  fuivi  du  Capiraine  dts  cens 
Suiiïes  da  corps  habilles  de  drap  noir 
&  camelot  floqnant  &:  bonet  rond  pliHe 
de  camelot ,  Tenfeigne  couverte  de  cref- 
pe  noir. 

M.  de  la  Palus  en  rêre  des  deux  Com- 
pagnies des  deux  cens  G:nrj's!iomme; 
d'honneur,  fuivies  de  deux  Enfeignes  à 
fçavoir  celle  de  M.  de  Vidanie  du  Mans', 
à  main  droite  &  celle  de  M.  de  la 
Bordoifiere  ,  à  main  gauche  tous  habillés 
de  lerge  noire  avec  la  cornette. 

Apres  marchoient  cent  foixante  Ofii- 
clers  du  commun  du  Roi.  La  Mufîqiie, 
les  Médecins  ,  Chirurgiens,  Valet  de 
garderobe  &  de  la  Chambre  du  feu  Roi , 
chacun  fcparement.  Les  Huiffiers  de  la 
falle  tête  nue  leurs  chaperons  avaîlcs. 
Les  Gentilshommes  (ervans  &  maîtres 
d'Hôtels  à  droite.  Les  Généraux  des 
Monnoyes  &  Chambres  des  Comptes 
à  gauche. 

Après  eux  allouent  huit  trompettes  en 
deuil  couvertes  de  crefpes.  M.  de  Pv.ho- 
dés  maître  des  cérémonies  portant  le 
Panon  du  Roi. 

Le  chariot  d'armes  couvert  d'un  grand 

I  iv 


(    lOO    ) 

drap  poiflé  de  velours  noir  croife  cfe 
farin  blanc  ,  enrichi  de  vingt -quatre 
grands  EcunToas  de  France  en  riche  bro- 
derie ,  mené  par  fix  grands  courfiers 
auiïi  couverts  de  velours  noirs  avec  une 
croix  de  faiin  blanc  par  le  n\i!ieu,  gui- 
dés par  deux  chartiers  habillés  de  ve- 
lours noir  la  tête  nue  &  chaperon  ra- 
baru. 

SuivoientauiTî  douze  grands  courfiers 
couverts  de  velours  noir  croiféde  fatin 
blanc,  fur  chacun  defquels  étoit  monté 
un  Page  vêtu  de  velours  noirs  la  tête 
nue  &  le  chaperon  avalé. 

L'Ecuyer  Benjamin  fuivoit  après  por- 
tant les  Eperons  dorés  ,  l'Ecuyer  de 
Betbe-:^e  portoit  les  gantelets.  M.  Plu" 
yinet  l'écuiron  de  France  &  de  Navarre 
&  M.  de  Vicomte  de  Lijle  portoit  la 
cotte  d'armes. 

M.  le  Premier  portoit  le  Heaume 
timbré  à  la  Royale  ,  d'un  manrelet  de 
velours  violet  femé  de  fleurs  de  lis  d'or 
&  doublé  d'hermine  ,  &  la  couronne 
Royale  au-delTus  du  Heaume,  le  tout 
couvert  de  crefpe  noir.  Tous  les  Ecuyers 
qui  portoient  ces  pièces  d'honneur  étoienc 
à  cheval  en  longues  robes  de  deuil  (3c 
ie  chaperou  en  forme. 


C    20I     ) 

Apres  marchoicnt  les  PrédîcStcnrs  , 
ConfelTèur  &  Aumôniers  du  Roi.  Sui- 
voient  à  pied  dix-fept,  ranc  Archevê- 
ques qu'Evêques  tous  mirrés  de  mitres 
blanches  &  portant  chspes  de  ve- 
lours noirs ,  à  la  fin  defquels  marchoit 
M.  l'Archevêque  de  Lyon  ieul  &  éloi- 
gné des  antres. 

Après  croient  Meflleurs  les  Ambafni° 
deurs  de  Savoye,  de  Venife,  &  d'LC- 
pagne  à  cheval  habillés  en  grand  deuil 
à  longue  queue  portée  chacune  par  fîx 
de  leurs  Officiers.  Lefquels  AmbafTa- 
deurs  étoienc  conduits  chacun  par  un 
Archevêque  ou  Evêque  montés  fur  des- 
mules. 

Marchoient  après  les  deux  NonceS' 
ordinaires  &  extraordinaires  ayant  à 
leur  côtelés  Archevêques  d'Aix  &  d'Em- 
brun montés  fur  des  mules.  Suivoienr 
les  Cardinaux  de  Joyeufe  &  de  Sourdls 
avec  leur  chapes  violettes  &  chapeau 
rouge  audi  montés  fur  des  mules  & 
fiiivis  de  leurs  OHiciers. 

Après  eux  alloit  le  cheval  d'honneur 
entièrement  couvert  d'une  houlTe  de 
•velours  violer  azuré  femé  de  fleurs  die 
lis  d'or  ,  la  bordure  de  frange  d'or,  une 
fellg  &  étrier  tichement  dorés ,  duqu:L 

l  7 


(   loi   ) 
chevaî^on  ne  voyoit  que  les  yeux  »  8c 
il  éroir  conduit  par  deux   Ecuyer  à  pied 
chaperon  enformé. 

Des  deux  côtés  du  cheval  marchoienc 
dix  H.rauts  d'armes, vêtus  de  deuil  cha- 
peron enformé  ^  ayant  leur  cotte  d'ar- 
mes par  dellus  leur  robe  de  dueil,  lef- 
quelles  cottes  étoient  femées  de  grandes 
fleurs  de  lis  d'or  delTus. 

M»  le  grand  Ecuyer  venoît  enfuite 
fnonté  fur  un  grand  couflîer  houfTc  ôc 
couvert  de  velours  noir,  grande  croix 
de  latin  blanc  portant  l'épée  Royale  eri 
écharpe  dans  le  foureau  de  velours  vio- 
let femé  de  fleurs  de  lis  d'or. 

Puis  venoient  quatorze  H ui  (Tiers  de 
îa  Cour  de  Parlement  la  baguette  à  la 
main  ,  «Se  après  eux  MeOîeurs  les  Préfi- 
dens  Se  Confeillets  en  robes  rouges  au. 
Hombre  de  quatre-vingt-neuf. 

Après  eux  venoient  deux  Huiflîers 
de  Chambre  avec  leur  maflè ,  ayant  la 
tête  nue  &   le  chaperon  abatu. 

Suivoient  auflî  M.  l'Evêque  de  Paris 
&  d'Angers  ,  ayant  leurs  mitres  furplis 
&  chapes  de  velours  noirs. 

Puts  fuivoii  l'effigie  du  Roi  en  même 
honneur  qu'elle  éroit  dans  la  grande 
(aile  du  Lou^vie  ceiiain  à  la  main  droits 


îe  fceptre  Royal  &  à  la  gauche  la  main 
£Îe  Juftice  ,  portée  par  les  porteuTs  de 
Tel  de  Paris. 

Autour  de  ladite  effigie  les  quatre 
premiers  Préfidens  avec  plnfieurs  Con- 
ieillers  de  la  grand'Chambre  &  les  Gar- 
des Ecoflotfes  arcbers  du  Roi. 

Le  ciel  poifle ,  à  fonds  de  drap  d'oc 
frifé  de  reiours  violet  cramoifi  azuré  , 
de  fleurs  de  lis  de  broderie ,  les  franges 
de  fil  d'or  ,  porté  par  les  Prévôt  des 
Marchands  &  Echevins  de  la  ville  de 
Paris. 

Après  vpnoît  à  droite  M.  le  Sonnre 
de  iamt Paul,  portant  le  bâton  de  grand 
Maître  repréfentant  M.  de  Soiijons  ^ 
«^rand  Maître  de  France.  A  gauche  étoit 
M.  le  Chevalier  de  Gui/e ,  repréfentant 
M.  le  Duc  d'Eguillon  grand  Chambel- 
lan portant  la  bannière  de  France ,  il» 
étoient  montés  Tun  &  l'autre  fur  de 
grands  courllers  couverts  de  houfTés  de 
velours  noir  croifé  de  latin  blanc. 

Marchoit  après  fur  un  petit  cheval 
houffé ,  M.  le  Prince  de  Conty  portant 
îe  grand  deuil  &  par-de(u]s  le  colier  de 
l'ordre  ,  fa  queue  étoit  portée  par  fep5 
Gentilshommes. 

Après  lui  (bivoit  M.   le  Comte  die 

î  v| 


,    (    204    ) 

Soifjons  aufîî  à  cheval  en  pareil  ordre 
&  même  deuil.  Suivoit  auffi  M.  le 
Duc  cîe  GMife  fans  ordre  portant  même- 
deuil. 

Apres  lui  marchoit  M.  le  Prince  de 
J'oinville  monté  à  cheval  avec  grand 
deuil  &  fans  ordre,  fuivi  du  Ducd'E/- 
heuf  à  cheval  en  même  deuil ,  &  à\i 
Duc  de  Mombafon  en  même  ordre  &: 
deuil.  Leur  queue  étoic  portée  par  des 
Gentilshommes  de  leur,  fuite. 

L'Huifïîer  de  Tordre  vêtu  en  deuil  & 
chaperon  rabatu  ,  portant  une  baguette 
noire  à  fa  main. 

Après  les  Princes  &  les  Ducs  vencient 
Mefïïeurs  les  Chevaliers  de  l'Ordre  à 
pied  avec  leur  colier  par  deflus  leur 
manteau  de  deuil  ,  leur  queue  portée 
par  leur   Page. 

Suiroit  enfuite  un  grand  nombre  dé- 
Noblefle  deux  à  deux. 

Les  Capitaines  des  quatre  cens  archers 
de  la  c;arde  avec  leurs  Enfeignes,  fnivis 
de  tous  îefdits  archers  en  robes  de  deuil 
&  le  chaperon  entormé  tous  en  robes 
de  deuil. 

Auparavant  le  départ  du  Louvre  il 
y  eut  quelque  différend  entre  les  grands  3. 
Ja  Cour  du  Parlement  &  la  garde  Ecof- 


C    20f    )^ 

foife.  Mais  la  Tage  prévoyance  de  fib 
Reine,  fit  que  tour  fe  pafTa  fans  bruir. 

La  pompe  funèbre  pa(Ta  dans  cet  or- 
dre le  long  du  Château  &  Quay  da 
Louvre,  le  Pont -neuf,  le  Qtiay  des 
Auguftins ,  le  pont  faint  Michel ,  le  mar- 
ché neuf  &  delà  à  TEglife  de  Notre- 
Dame  ,  ou  tout  ce  cortège  ne  fut  entré 
qu'à  neuf  heures  du  foir.  Tous  les  en- 
droits fur  la  route  étoient  tendus  de 
drap  noir  avec  les  armoiries  du  Roi  de 
celles  de  la  Ville. 

Le  corps  du  feu  Roi  fut  pîjfé  au  mîH 
lieu  du  cœur  de  l'Eglife  fous  une  cha- 
pelle ardente ,  élevée  de  la  hauteur  de 
deux  piques.  Le  chœur  étoit  tendu  de 
drap  noir  &  au  milieu  étoit  une  bandé 
de  velours,  fur  lefquels  éroient  attachés 
ies  armoiries  Se  écuiTons  du  Roi, La  gran- 
de nef,  ainfî  que  les  bas  côtés  étoient 
égaiemenr  tendus  de  noir'&  contre  cha- 
cun des  pilliers ,  il  y  avoit  des  cierges  à 
double  rangs ,  3c  le  foir  même  on  die 
]es  Vêpres  èc  Vigiles  des  trépafles. 

Le  lendemain  matin  trente  Juin ,  lés 
Princes ,  Cardinaux  ,  Seigneurs,  ôc  Om- 
ciers  de  la  Couronne  ,  la  Cour  de  Par- 
lement ,  les  Couvents ,  Paroi(Tes,  &  tous 
ceux  qui  avoient  accompagné  le  corgs,^ 


du  Feu  Roi  le  jour  précédent ,  Ce  ren  Jî- 
rent  en  ladite  Eglife  de  Notre- Dame 
fur  les  dix  heures  du  matin  où  le  (êrvice 
divin  fut  célébré  par  l'Evêque  de  Paris. 
Après  rOffèrtoire  l'Evêque  de  Hères  fit 
î'oraifbn  funèbre,  qui  dura  un  bonne 
heure.  Le  fervice  ayant  été  fini  à  deux 
heures  après  midi  ,  tous  les  Princes  » 
Cardinaux,  Evèques  Se  grands  Officiers 
furent  diner  à  l'Evêché.  Pendant  ce  tems 
les  premiers  commencèrent  à  marcher 
chacun  dans  le  même  ordre  qu'ils  avoienc 
tenu  le  jour  précédent,  depuis  le  Lou- 
vre iufqu'à  Notre  -  Dame  ;  en  prenant 
îeur  chemin  par  le  pont  Notre-Dame, 
la  rue  faim  Denis  &  furent  ainfi  fans 
s'arrêter  jufqu'à  faint  Denis. 

Les  rues  étoient  tendues  de  drap  noir 
fur  lequel  les  armes  du  Roi  &  de  !a 
Ville  étoient  attachées  ,  depuis  l'Eglife 
de  Notre-Dame  jufqur'à  la  porte  faint 
Denis. 

Les  Religieux &:  Prêtres  de  ParoifTes, 
les  ConfefTeurs ,  les  Aumôniers ,  Bache- 
liers, Regensde  rUniverfité&  Doifleurs 
en  Théologie ,  chacun  en  leur  rang  ac- 
compagnèrent le  corps  du  feu  Roi  juC- 
ques  à  TE^life  faint  Lazare  ,  alors  ils 
fe  retirèrent,  6c  le  corps  du  Roi  ne  fui 


(    207    ) 

pîns  accompagné  que  de  toute  îa  Couri 
du  Parlement,  des  Princes ,  Ducs ,  Genr 
tilihoninnes ,  Comtes  &:  Seigneurs,  Ca- 
pitaines, Gardes  &  Archers  ,  &  des 
Prctres  de  rEglife  de  Notre  -  Dame  > 
c]ui  s  arrêtèrent  a  la  croix  qui  pancne  a 
moitié  du  chemin  de  faint  Denis,  ou  le 
Prieur  Se  les  Religieux  de  cette  Abbaye 
étoient  venus  pour  recevoir  le  corps^ 
Les  Prêtres  qui  croient  reftés  Ce  retirè- 
rent tous  alors;  &  le  convoi  ne  fut  plus 
compofé  que  des  Cardinaux ,  Evêques  ,. 
Princes,  Ducs,  Confites,  Seigneurs  & 
route  la  Cour  ,  tant  da  Roi  que  du  Par- 
lement &  autres  Officiers  ,  qui  accom- 
pagnèrent le  corps  jufqu'^à  1  Eglife  de 
faint  Denis»  où  il  Fut  pofé  fous  une 
chapelle  ardente  fort  élevée  &  on  chan- 
ta les  Vigiles  des  trépafTés.  Alors  cha- 
cun fe  rerira  dans  les  logemensqui  leur 
avoient  été  marqués. 

Ladite  Egiife  de  faint  Denis  éroit 
toute  tendue  de  drap  noir  au  milieu  du- 
quel étoit  une  large  bande  de  velours 
fur  laquelle  écoient  attackées  les  armoi^- 
ries  du  Roi. 

Le  jour  fuivant  la  grande  Mclîe  fut 
célébrée  pat  M.  le  Cardinal  de  Joyeufs. 
&  chantée  ^ac  la  Mufique.  Après.  l'O^ 


rertoire,  M.  i'Evêque  d'Angers  fiî  Torat- 
Ton  funèbre. 

L'office  érant  achevé  les  prières  5r 
oraifons  accoutumées  dires  ,  le  Maître 
des  cérémonies  leva  de  deiTus  le  corps 
du  Roi  la  Couronne  ,  le  Sceptre  &  la 
main  de  Juftice,  &  le  drap  d'or  qui  cou- 
vroit  le  cercueil.  Enfuite  les  Gentils- 
hommes fervans  &  les  archers  de  la 
garde  portèrent  le  corps  dans  la  fofle 
qui  efl:  devant  le  grand  Autel  de  ladite 
Eglife  à  main  droite.  Le  Cardinal  de 
Joyeufe  vint  enfuite  près  de  la  folTe  & 
ayant  jette  de  la  terre  &  de  Peau  bénire 
fur  le  corps ,  il  s'afîît  à  côté  de  la  folfe 
du  côté  du  grand  Autel,  &  le  Maîtse 
des  cérémonies  en  fît  autant  de  l'autre 
coré ,  ayant  entre  eux  deux  ury  Héraut 
d'armes  ,  qui  appella  l'un  après  l'autre 
les  Seigneurs  qui  avoient  porté  les 
pièces  d'honneur ,  qui  furent  jettées  dans 
la  forfe.  Après  cela  M.  le  Comte  de 
faint  Paut  frapa  du  baron  de  grand 
Maître  contre  terre  &  dit  à  voix  balTe, 
le  Roi  ejl  mort  ;  enfuite  le  Héraut  d'ar- 
mes repéra  par  t:o5S  tois  ,  le  Roi  efl 
mon  ,  priei  Dieu  pour  fon  atne,  Alocs 
chacun  fe  mit  à  genoux. 

Peu  après  le  Comte  de  faint   Pduî- 


(  i09  ) 
ayant  repris  Ton  hâton  prononça,  Vive 
lE  Roi,  &  le  Hcrauc  reprenant  la  pa- 
role eria  par  trois  fois ,  Vive  le  Roi 
Louis  trei-^iéme  de  ce  nom.  Par  la 
grâce  de  Dieu  ,  Roi  de  France  &  de 
Navarre  très- Chrétien ^  notre  très- fou- 
yerain  Seigneur  &  bon  maître  ^  an-quel 
Dieu  doinc  très-heureuje  &  très- longue 
vie.  Après  cela  les  trompettes  Se  autres 
inftruniens  Tonnèrent  une  fanfare. 

Les  Seigneurs  reprirent  enfiiite  les 
pièces  d'honneur  qu'ils  avoient  mifes 
dans  lafofTe  ,  Se  les  Princes  &  Seigneur 
furent  conduits  dans  la  grande  falle  ou 
le  dîner  croit  préparc. 

Après  le  repas  Meilleurs  de  la  Cour 
de  Parlement ,  de  la  Ciiambre  des  Comp- 
tes, des  Aides,  les  Généraux  des  Mon- 
noyes,  les  Officiers  de  1  Hôtel  de  ville 
de  Paris  &  autres  Ce  trouvèrent  dans  la 
grande  Salle,  où  M.,  le  Comte  de  fainî 
Faul  tenant  Ton  baron  à  la  main  leur 
lit  une  courre  harangue  fur  la  mort  dti 
Roi ,  leur  offrir  Tes  (etvices&  leur  pro- 
mit de  les  recommander  à  la  Reine  ré- 
gente &  au  Roi  pour  les  maintenir  ea 
leurs  offices.  Et  pour  montrer  qu'ils  en 
étoient  dépourvus  ainfi  que  tous  les  autres 
Officiers  ,  il  rompit  fon  bûton  en  leur 
préfence. 


(    3IO    ) 


PRISE  des  fonereffes  de  Lepante  & 
Fatras  fur  les  Turcf  ^  par  les   Che'- 
valiers  de  Mahhe  ^  le  20,  Avril  160^ 
Précédée  d'un  Sonnet  au  Roi  Hen^ 
ry  IK 

SONNET. 

TU  vois,  ô  (rrand  Henry  ,  la  force  &  piété 
Des   Mal'ois    généreux  ,  &    leurs    verras 
très  rares , 
Leur  imgnanime  e!Tor:  ronrre  les  Turcs  Bar- 
bares : 
Cela  doir  émouvoir  les  Granls,   en  vcrirc. 

S'ils  fulTent  afTillez  ,  comme  il  eft  d'cquiré 
Ces  forrs  fufî'enc  garde?,  j  &  les  Tyrans  avares  , 
Souillez  du    fang   Chrcîien  ,  chailez   jafqu'aa 

Tartare  , 
La  gift  le  los  *  des  Dieur  ,  comble  d'éternitc. 

Vive  ces  grands  Héros,  dont  nous  voyons 
la  gloire. 
Traverfcr  l'Orienr  en  triomphe  &  victoire  , 
Qui  d'un  zèle  pieux  ,  fans  vaine  ambition 

Ont  prorogé  la  foi.  Et  qui  tient  cette  voye. 
Il  terrafTe  ennemis  ,  il  vie  rempli  de  joye , 
C'eft  le  laurier  des  tiens ,  c'eft  la  perfedîion. 

*  Récompenfe. 


Cm  ; 

Depuis  que  rilIuftri(Tîme  grand  Maî- 
tre de  l'Ordre  de  fainr  Jean  de  Hiéru- 
falem  •  frère  d'Alof  de  Vignacoart  ,  a 
été  élevé  à  la  grande  Maîtrife  ,  il  a  rou- 
jours,  fuivant  Ton  pieux  naturel.  Se  la 
profelîîon  de  cet  ordre  ,  eu  le  cccur  & 
refprit  bandé  *  à  l'honneur  de  Dieu  , 
avancement  &  manutention  de  notre 
fainre  Foi,  cherchant  tous  les  moyens, 
avec  Tes  forces  de  travailler  &  inquiéter 
le  Turc ,  ennemi  commun  de  la  Chré- 
tienté. Pour  cet  effet,  des  h  première 
année  de  Ton  Ele»5tion  ,  il  fit  faccager 
Château-neuf  place  forte  en  la  Morée , 
dont  on  ramena  deux  cens  efclaves ,  & 
depuis  au  mois  d'Août  dernier,  il  a  dé- 
truit &  ravagé  la  ville  de  Mahomet 
afllfe  en  Barbarie,  &  afpirant  toujours 
à  plus  hautes  entreprifes  il  avoir  convié 
quelques  uns  de  fes  voillns  de  l'aider  de 
leurs  forces  pour  les  employer  cet  été  ^ 
ce  qui  lui  avoit  été  promis  ,  &  néan- 
moins n*en  voyant  l'apreil  qu'aller  fort 
lentement  ,  il  Ce  réfolnt  au  mois  de 
Mars  dernier  avec  fes  forces  feules  de 
furprendre  &  ruiner  les  forts  &  Châ- 
teau de  Lepante  &  Patras ,  places  très- 
fortes  ,  fifes  à  l'embouchure  du  Golf© 
*  Porte, 


(211    ) 

de  Lepante,  &  disantes  Tune  de  l'aurre 
d'une  canonade  feulement. 

Mais  ne  voulant  iéelui  grand  Maître 
rien  entreprendre  qu'avec  mûre  délibé- 
rarion ,  au  commencement  du  mois  d'A- 
vril ,  Ton  confeil  étant  aflTemblé,  déclara 
ce  deffein.  Les  avis  qu'il  avoir  de  la 
garde  &  munitions  de  ces  Châteaux,  les 
voyes  6<.  les  moyens  qu'il  avoit  jugé" 
propres  pour  en  venir  à  heureufe  i{rue, 
admoneftant  les  fieurs  de  Ton  Confeil 
d'y  penfer ,  le  tenir  fecret,  &  eflire  au- 
cuns d'eux  pour  le  bien  coniiderer  :  ce 
qu'étant  rapporté  à  autre  Confeil,  il  fat 
arrêté  d'en  venir  à  l'exécution  au  plutôt. 
En  quoi  le  grand  M.àtre  uia  de  telle 
diligence  ,  que  fept  Avril  il  fît  mettre  à 
la  voile  le  Galion  dudit  Ordre,  &  far 
icw^Iui  deux  cens  hommes  de  guerres  , 
deux  autres  Gallions  (iens ,  avec  autres 
cinq  cens  hommes,  enfemble  deux  Na- 
vires qui  fe  trouvèrent  alors  au  port 
alfez  bien  armez  ,  que  l'on  avoit  pris  à 
la  folde  dudit  Ordre. 

Le  neuvième  jour  dudit  mois  d'Avril, 
il  en  fit  de  mcme  de  quatre  Galères  avec 
l'armement  renforcé  de  quatre  Fré- 
gates, fur  lefquelles  Galères  &  Gallions 
ledit  Seigneur  grand  Maître  ,  avant  leur 


(213   )      . 

parrement ,  monta  pour  vifiter  fi  l'ordre 
"donné  s'étoit  effedué   &   exhorcer  un 
chacun  à  Ton  devoir  ,  fpécialement  ceux 
qui  avoienc  les  charges,  qui  étoient  les 
fieurs  Duvivier,  Bailly  de  Lyon,  aupa- 
ravant Maréchal  dudit  ordre  ,  pour  chef 
&  général  de  terre  ,  le  fieur  Cambiano 
Admirai  dudit  Ordre ,  déjà  auparavant 
général  des  Galères.  Le  fieur  Comman- 
deur de  Beaufotc  François  pour  porter 
Tétendart.     Pour    Sergens    Majors    les 
fleurs   Chevaliers  Comte  de    Gatinare 
Italien ,  de   Potonville   François  ,   San 
Lazare  Efpagnol  ;  les  fieurs  Chevaliers 
d'Ognou&  deCremeaux  François ,  pour 
avec    chacun  une   troupe    foûtenir    les 
pétardiers  :  Le  Chevalier  de  Campremy 
François ,  pour  planter  un  pétard  à  l'un 
des  Châteaux,  le  Capitaine  Beaulaigne 
pour  planter  l'autre. 

Le  vent  leur  dit  fi  à  propos ,  que  le 
feiziéme  fijivant ,  les  Galères  &  Frégates 
arrivèrent  aux  Ifles  de  Curfolary  lieu  du 
rendez-vous ,  diftantes  de  quarante  mille 
de  ces  ForterelTes  :  comme  aufli  firent 
le  jour  fijivant  les  Gallions,  Navires  ôc 
Tartanes,  fans  être  découverts. 

Le  i8.  le  fieur  Duvivier  ordonna  au 
Chevalier  de  Clairet  François ,  d'aller  U 


nuit  fîiîvante  avec  une  Frégate  reconnoi- 
tre  les  fortereffes,   &  prendre  langue, 
ce  qu'il  fit ,  ramenant  un  Grec,  qui  dit, 
que  dans  lefdits  forts  ôc  Châteaux  ,  il  y 
avoir  une  grodè  garniTon  ,  faifant  bonne 
garde ,   &  doutoit   qu'il  avoient  quel- 
qu'avertifTernent    d'une    entreprilè    fur 
eux.    Ce   qui  ne  refroidit   aucunement 
les  Chevaliers,  ains  d'un  courage  plus 
gaillard  ,  conflderant  qu'aux  choies  ha- 
zardeufes  confifte  la  vertu,  s'approchè- 
rent ,  &  le  19.  le  fieur  Duvivier  fit  em- 
barquer les  gens  de  guerre  des  Gallions , 
fur  les  Galères  &  Frégates  ,  faifant  en 
tout  le  nombre  de  deux  cens  Chevaliers, 
&  huit  cens  fol^ats,  &  fur  la  minuit  , 
ayant  également  féparé  fes  forces  pour 
aiTàillir  les  deux  places  en  même  temps , 
avec  deux   Galères  ,  deux  Frégates  & 
quelques  Barques  de  Grecs  trouvez  ôc 
retetîus ,  s'approcha  en  terre  à  demie 
lieue  de  Patras,  qai  eft  du  côté  de  la 
Morée,où  ildefcendit&  fes  gens,  avec 
lefquels  ayant  cheminé  en  bonne  ordon- 
nance ,  à  trois  cens  pas  près ,  fur  le  point 
du  jour  fitalîèmbler  le  Capitaine  Beau- 
laigne  à  l'une  des  portes,  qui  étant  dé- 
couvert par  un  fentinelle  donnant  l'alar- 
me )  ne  laiiïa  de  paCIer  outre  ,  &  aa 


mépris  des  harquebufades  ,  coups  de 
pierres  &  autres  deffènfes  par  ceux  de 
dedans ,  de  planter  le  pétard  ,  qui  joua 
en  forte ,  qu'il  renverfa  entièrement  la- 
dite porte,  où  foudain  entra  le  Cheva- 
lier d'Ognon  avec  fa  troupe  compofée 
de  foixanre  ,  tant  Chevaliers  que  foldats , 
comme  auiïi  le  fieur  de  la  Porte  Gen- 
tilhomme de  Picardie  parent  dudit  Sei- 
gneur grand  Maître  ,  Commandant  à 
un  efcadron  ,  fuivis  de  près  par  le  fieur 
Duvivier  avec  le  gros ,  trouvant  renne- 
mi  armé  &  combattant  opiniâtrement , 
qui  ne  pouvant  foûtenir  longuement  les 
efforts  des  nôtres ,  Ce  retira  avec  le  Gou- 
verneur dans  le  dongeon ,  ou  inconti- 
nent fut  planté  un  autre  pétard,  qui  ne 
fit  ouverture  que  la  paffée  d'un  homme , 
par  oi\  on  entra ,  palfant  ce  qu'ils  ren- 
contrèrent au  fil  de  l'épée  ,  &  après  un 
long  combat  Ce  rendirent  maîtres  de  la 
place  ,  où  fut  à  l'indant  arboré  au  lieu 
le  plus  éminent  l'étendart  vi<florieux  de 
cet  Ordre. 

Et  ignorant  le  fieur  Duvivier  ce  qui 
s'étoit  palfé  à  l'autre  forterefle  dite  Le- 
pante  ,  du  côté  de  la  Grèce ,  y  envoya 
un  Chevalier  fur  un  Caicq  pour  en  fça- 
yoir  nouvelles,  auquel  fut  rapporté  y 


îtce  fuccedé  le  même  qu'à  lui ,  [^a]  8t 
que  le  Comte  Gatinare,  commandant 
aux  forces  envoyées  en  cette  part  [h]  8c 
au  lieu  duquel  faifoit  l'oiïîce  de  Sergent 
Major  le  fieur  Chevalier  de  Ventrolles 
François,  avoir  ufc  de  tel  devoir  à  met- 
tre Tes  geiis  à  terre,  quoiqu'à  plus  d'une 
lieue  de  ladite  fortereiïe,  qu'il  y  arriva 
avec  fa  troupe  en  même  temps  que  les 
autres  à  Patras ,  &  approché  d'une  des 
portes  ,  le  Chevalier  de  Campremy  y 
planta  le  pétard  qui  mit  cette  porte  par 
terre,  ou  ne  perciit  point  de  temps  le 
Chevalier  de  Cremeaux,  ayant  pareille 
troupe  que  le  Chevalier  d'Ognon  ,  fuivi 
de  fort  près  par  le  fieur  Comte  de  Gaf- 
tinare  avec  le  gros ,  repoulTant  l'ennemi 
qui  fai(bit  tête  ,  jufqu'au  milieu  de  la 
place,  où  il  y  avoit  un  fort  retranche- 
ment bien  flanqué ,  au  moyen  duquel 
furent  les  nôtres  arrêtez,  qui  toutes  fois, 
pouflez  de  grand  courage  ,  ne  tardèrent 
gueres  avec  échelles  à  gagner  le  haut 
dudit  retranchement. 

L'ennemi  prefle  de  telle  façon  ,  Cq 
voulut  retirer  en  un  dongeon,  mais  il 
fut  tellement  talonné ,  que  les  nôtres  y 

f«]  Qu'ils  avoient  eu  le  même  avantage, 
h]  En  ce  lieu, 

entrèrent 


entrèrent  pelé  mêle  ,  &:  furent  tuez  fe 
GouvernearÂ:  les  Janiiïàires  qui  étoienc 
demeurez. 

Cec  heureux  fucccs  tant  en  l'un  qu*eii 
l'autre  de  ces  forts  &  châteaux,  donna 
aux  nôtres  !e  contentement  qu'il  fe  peut 
rniaginer ,  qui  au  moyen  de  cette  uoa- 
telle  portée  aux  villes  ik  pays  circon^ 
voifins ,  parquelqu'uns  qui  s^étoiem  fau-* 
vez  ,  ne  demeurèrent  guc-res  fans  fe  voie 
kiveitis  d'un  grand  nombre  de  cavalerie 
&  infanterie,  contre  lefquels,  pendant 
quatre  jours  entiers  qu'ils  demeurèrent 
audit  lieu  ,  ils  (brtirent  continuellement 
à  l'elcarmouche  :  5c  ayant  fait  charger 
fur  le  Gallion  dudit  Ordre  ,  &  les  deût 
Navires  foldoyez  ,  l'artillerie  au  nombre 
de  76.  pièces ,  fçavoir  douze  de  batte* 
lie,  deux  grands  canons,  fept  canons 
pierriers ,  cinq  demies  coulevrines  ,  C\X 
baftardes ,  huit  demis  canons  ,  &  le  reftç 
pièces  de  campagne  ,  avec  trois  cens 
<5uatre-vingt  douze  efclaves  ,  parmi  lef- 
quels étoit  l'un  des  Gouverneurs,  &:  après 
avoir  auflî  fait  fauter  les  principales 
tours  &  deffenfes  par  le  moyen  des  pou- 
dres trouvées  en  ces  places  ,  démoli  & 
ruine  le  refte.en  panirent  le  24.  dudit 
mois  d'Avril  ,  mettans  les  vaifTeaui 
Recueil  O.  £ 


(  "S  1 

cliafgex  de  butin ,  tournèrent  vers  Maîr 
iKe  où  ils  arrivèrent  le  4.  Mai. 

Les  Galères  pafTant  plus  outre  prirent 
fous  les  murailles  de  Modon  deux  Car- 
moufalis  ou  Navires  Turquefques,  char- 
gez d'environ  deux  mille  charges  de 
bkd ,  &  de  vingt  petites  pièces  de  ca- 
non ,  avec  lefquelles  ils  furent  auflî  de 
retour  à  Malthe  le  fept  fuivant ,  qui 
fut  un  fecours  fort  notable  en  la  né- 
ceflirc  où  on  étoit ,  par  le  défaut  des 
traittes  ordinaires  de  l'Ifle  de  Sicile , 
qui  avoir  manqué  Tannée  précédente  en 
fa  fertilité  accoutumée. 

Les  deux  Gallions  dudit  neur  Grand 
Maître  ,  la  Tartane  &  les  deux  Frégates 
font  aufli  paflees  outre  à  bufquer  'au- 
tre  fortune  :  Dieu  les  ramené  avec  bon- 
ne prife  ,  &  nous  falTe  la  grâce  ,  qu'à 
rexemple  de  fi  généreufes  exécutions 
par  fi  petites  forces  ,  les  Princes  & 
Monarques  Chrétiens  foient  efmeus  de 
joindre  leurs  armes  invincibles  ,  pour 
exterminer  ce  barbare  ennemi  com- 
mun, y  ayant  apparence  infaillible  que 
!a  Majefté  divine  les  appelle  à  la  ruine 
d*i  celui ,  contre  lequel ,  de  notre  mé- 
«noire  a  été  en  ce  lieu  de  Lepantc  ob- 


(  II?  ) 

tenue  une  tant  fignalée  viéloîre,  que 
depuis  il  n'a  pu  remettre  tant  de  força 
enfemble  :  ce  qu'étant ,  il  ne  faut  douter 
que  bientôt  la  Morée,  toute  la  Grèce, 
Se  Conftaminople  roêmene  foient  ébran- 
lées ,  &  fi  une  fois  (on  orgueil  3c  pre- 
mier effort  ibnt  abbatus,  on  les  verra 
décbeoir,  &  perdre  ceeur  tout  à  coup. 
Ce  font  Royaumes ,  ce  font  Empires 
dignes  des  armes  &  de  la  conquelle  des 
grands  Princes  :  c'eft  la  délivrance  d'in- 
nnies  âmes  qui  fouffrent  &  (ont  dére- 
nues  captives  fous  la  tyranrye  de  est 
tnâdèl^. 


Kî; 


(xio  ) 


E  PITRE. 

ENfïn  je  vais  revoir  ce  cabinet  tranquille  >. 
OÙ  l'Amour  &  les  Arts  ont  çhorfi-  ieué 
azile,  '         ' 

Je  verrai  ce  Sopha  placé  fous  ce  Trumeau 
Q,ii  de  mille  baifers  nous  retraçoit  l'image  , 
3'habicerai  l'Alcove  où  je  rendis  hommage 
A  la  beauté  fans  voile ,  à  l'Amour  (ans  ban- 
deau ,  ■      :    :  '  '  . 
Là  ,  Zirphè  Ce  livroit  au  bonheur  d^être  aimée. 
Là  lorfque  de  nos  ^ehs.i'ivrelTe  étoit  calmée 
Attendant  fans  langueur  le  retour  desdéfirs» 
tin  Amour  délicat  varioit  nos  plaifirs; 
Nous  lifions  quelquefois  ces  vers  pleins d'har* 

monie 
Où  Tibulle  exprimoic  fon  ame  &  fon   bon-» 

heur  , 
Je  t'adorai  ,Zirphé,  (bus le  norn  de  Délie, 
Dans  ces  vers  emportes  ,' lu  reconnus  mon 

coeur,  •'      ';' 

Que  ce  temps  dura  peil-4  De  fleurs  à  peina 

éclofes ,  '■    • 

Le  gazon  de  nos  prés  étoit  entrelafFé  j 
Le  Printemps  s'annonçoit  par    le   letour  des 

rofes , 
Par  le  Printemps  Mars  croit  annoncé, 
Pour  fuivre  mon  devoir  dans  une  route  obf- 

ciire 
31   fallut  te  quitter  î    quels  momens  î   queli 

adieux  ! 
ïe  crus  me  fcparer  de  toute  la  nature , 


Mai5  les  pleurs  des   ttnans  ont  appalfS  lei 

Dieux } 
Lovis  calme  la  terre  ^  il  aie  rend  à  moi' 

même, 
Je  ne   vends  plus  mon  temps    aux  querelles 

des  Rois, 
Je  n'obéis  plus  qu'à  tes  loir  , 
Je  ne  fuis  plus  qu'i  ce  que  j'aime  r 
Tous  mes  defirs  feront  les  tiens  , 
Tous  tes  plaiHrs  feront  les  miens: 
i<'un  de  Taucre  en«hanté  dans  ce  Vallon  faiï» 

Rcunis  par  nos  goûts  ;  conduis  moi  tour-i- 

four. 
Du  plaiûrà  l'Etude .  &  des  Arts  à  rAttWur  j 
C'eft  l'ennui  qui  le  rend"  volage. 
En  l*amufa»«  ,  Zirphé ,  nous  fçaurons  le  fixer , 
Nous  fçaurons  de  nos  jours  faire  le  mêm« 

ufage , 
ïe  ne  fçais  que  t'aimer»  viens  m'apprendre  i 

penfer  , 
MàîcrelTe  de  mon  cceur  éclaiie  mon  g^nie. 
Soir  à  jamais  de  mes  écrits,. 
L«  juge  ,  l'objet  &  le  prix. 
Oublié  déformais  d'un  mondé  que  j'o^Uej 
Te  bien  peindre,  te  mériter. 
Te  carelïer  &  te  chanter  , 
?oil^  couc  l'emploi  ds  ma  vie. 


%. 


(  iiO 


L'OMBRE  d'Eglé. 


OOus  les  voiles  du  repos 
La  nuit  berçoit  refpérance  : 
La  douleur  dans  le  filence 
Se  calmoit  fous  des    pavots  j 
Quand  la  more  fille  du  crime,. 
Ouvrant  le  fein   de  l'abyln-ie 
Et  les  gouffres  do  néant  , 
D'une  vidime  nouvelle 
Conduific  l'ombre  fidelle 
Au  lie  d'un  parjure  Amant. 

C'eft  envain  qu'un  Dieu  facils-, 
Appelle  du  fein  des  ris. 
Dans  une  Alcôve  tranquille 
Endort  l'heureux  Sibaris  ; 
Au  bruit  que  l'Enfer  excire 
le  fommeil  a  pris  la  fuite  y. 
Sibaris  ouvre  les  yeux  j 
Il  voit  une  ombre  éplorée  ,, 
îlne  amante  dévorée 
Du  fouvenir  de  Tes  feux. 

C'eft  Eglé,  mais  de  ces  rofês 
Où  font  Its  traits  éclatants  , 
Et  ces  fleurs  à  peine  ccloles 
Des  careflcs  du  printemps? 
Quel  Démon  les  a  flétries  ? 
L'amour   gémit ,  les  furies 
Ont  dérobé  (on  flambeau. 
Et  leur  implacable  rage 


Défigure   Ton  ouvrage 
Enfermé  dans  un  conibeauw. 

Ne  détourne  point  la  vue. 
S'écria  la  tendre  Eglé, 
De  mon  image  imprévue 
Ton  efprit  paroît  troublé  î' 
Sibaris  à  mon  approche , 
D'un  légitime  reproche 
Pourroitil  être  abbattu  ? 
Il  craint  d'entendre   ma  plainte , 
Mais  il  outragea  fans  crainte 
Et  l'amour  &  la  vertu. 

Mes  jours  couloiem  fans  allarmês,. 
Dans  la  candeur  &  la  paijf  } 
J'ignorois  encore  mes  charmes 
Tu  me  vantas  leurs  attraits  . 
Ingrat,  ta  perfide  adrefïe, 
A  l'aveu  de  ma  tendrefle 
Paroi (foit  livrer  ton  cœur  ,. 
Et  ma  ieuneife  imprudente 
Confia  fa  fleur  naifian te 
A  la  foi  de  fon  vainqueur. 

Tu  formois,  en  ma  préfence». 
Et  des  vœux  &  des  ferments  :. 
Loin  de  moi  ton  inconftance 
Les  abandonnoit   aux  vents. 
Tes  yeux  plus  vifs  que  la  flàme 
Portoient  le  feu  dans  mon  amej. 
Hélas  !  ils  trompoient  les  miens  :• 
Je  cedois  à  la  nature  , 
Qiiand  ta  Jâcheté  parjure 
En  brifoit  tous  les  iiçBs, 


(  2i4  y 

Ton  Eglé  n*ouvroit  la  bouche 
Que  pour  chanter  fon  bonheur  î 
Pourquoi  d'un  mépris  farouche 
A-t-elle  éprouvé  l'horreur  ? 
Ta  fuite  entraîna  les  grâces. 
Le  plaifir  quitta  mes  traces  , 
Mon  teint  perdit  fes  couleurs^ 
Et  je  n"eus  pas  le  courage 
De  détefter  un  volage 
Qui  faifbit  couler  mes  pleurs» 

Enfin  la  Parque  inhumaine 
Rompit  le  fil  de  mes  jours  j 
Doux  moment  !  Ci  de  ma   peine 
Il  eut  terminé  le  cours  j 
Mais  dans  le  creux  de  ma  tombe  ^ 
Toujours  tendre,  je  fuccombe 
A  l'attrait  du  fentiment  : 
Il  y  porte  (a  lumière , 
Il  s'y  mêle  à  ma  pouffrére 
Et  prolonge  mon  toitfmenc. 

De  cette  affreufe  eiiftenc* 
Au  fein  d'une  éternité , 
Malgré  ton   indifFcrence 
N'es  tu  pas  épouvanté  ? 
Fixe  donc  tes  yeux  perfides 
Sur  mes  ofïements  livides, 
Confidére  ce  linceuil , 
Et  îa  longue  folitude 
Dont  ta  noire  ingratitude 
Enviroanrnion  cèxcueil» 


Cette  étincelle   penfanre 
Qpi  furvit  à  mon  trépas , 
Aufll  piîre  qu'agilîanre , 
Voudroit  fuivre  encore  tes  pas  j 
Mais  le  jour  fe  renouvelle  , 
J'entends  la  mort  qui  m'appelle  ^ 
Reçois  mes  derniers  adieux  , 
Et  louviens-toi ,  cœur  barbare. 
Que  l'inftant ,  qui  nous  fépare, 
E(t  pour  moi  le  plus  affreux. 

Cependant  la  jeune  Aurore 
Ouvroit  les  portes  du  jour  ; 
Zéphir  charitoit  près   de  flore 
Le  plaifir  de  fon  retour. 
Les  fa'rttômes  ,  les  menfonges 
Les  iilufions  des  fondes 
Fuyoient  l'cclat  de  Tes  feux  ; 
Le  Dieu  des  Roj'aumes  fonibre» 
Les  renferme  avec  les  ombres. 
Dans  fes  antres  ténébreux. 

Sibaris  ,  le  jour  te  frappe , 
Et  tu  n'es  point  raffuré  ! 
Quel  nouveau  foupir  t'échappe? 
Ton  cœur  en   e(L  déchiré  j 
Tu  n'es  plus  cet  homme  aimable, 
Ce  volage   redoutable  , 
Qui  regnoit  fur  les  plaifirsi, 
La   feule  Eglé  t^interelfe, 
Eglé  morte  ,  eft  la  maîtrelTfr 
Qui  va  fix.r  tes  delirs. 


Bans   un  antre  folitairr 
Environné  de  Cyprès 
Où  les  enfans  de  Cythére 
Avoient  fufpendu  leurs  traits  j^ 
Sur  un  tri  fie  Maufolée 
La  nature  défolée 
Faifoit  retentir  fes  cris. 
Le  remors  faifi  d'allarmes  , 
Et  l'amour  baigné  de  larmes,. 
Y  conduifenc  Sibaris* 

A  Ce%  yeux  la  tombe  s'ouyre , 
n   appelle  Eglé  trois  fois, 
Trois  fois  Eglé  fe  découvre. 
Mais  elle  ed  foutde  à  fa  voix. 
Il  fe  profterne ,  il  la  touche  , 
Trois  fois  il  veut  fur  fa  bouche 
Rallumer  un  feu  nouveaa  : 
C'eft  en  vain  qu'il  le  defire  i 
La  mort  k  frappe ,  il  expire  j 
l'amour  ferme  le  tombeau» 


TABLE 

DES    PIECES     CONTENUES 

dans  ce  Volume* 

I.  PiÉcE.  X\  Elathn  véritable  de  ce 
qui  s*eji  paQé  au  Procès  du  Maréchal 
de  Maiillac.  pag.  x 

Enfuit  V Arrêt  donné  contre  le  Maréchal 
de  Marillac.  S  S 

IJ.  Manifejle  de  la  France  aux  Pari- 
Jîens  &  a  tout  le  peuple    François, 

II r.  Mémoire  de  ce  qui  s'efi  paffé  dans 
la  retraite  &  délogement  du  Duc  de 
Parme  hors  de  France.  jk» 

IV.  Lettre  d'un  François  pour  la  pré" 
fiance  du  Roi  de  France  contre  le  Roi 
dtEf pagne.  En  ISÇ4-  14» 

•  Relations  des  cérémonies  du  facre 
&  couronnement  de  Henry  IV.  Roi 
de  France  &  de  Navarre  2y.  Février 

JS94'  i^J 

VI.  Sonnet  fur  le  Sacre  du  Roi»      17S 

yil*  Remontrance  au  Roi  Henry  jy. 


^-    ^ABLE    DES   PIECES, 

contre  les  blajphémateurs ,  par  M,  ^é 

Lanagerie  ijQP-  •  178 

VIII.  Lettre  du  Koi  à  M,  le  Chancelier, 

XX.  Pompe  funèbre  de  Henry  le  Grand 
IV.  du  nom  Roi  de  France  &  de 
Navarre.  Faite  à  Paris  &  à  S.  Denis 
les  2ç.  &  30.  Juin  16 10.  1S7 

X.  Prife  des  forterejjes  de  Lepante  & 
Fatras  fur  les  Turcs ,  par  les  Che-^ 
lier  s  de  Malthe  ,  le  20.  Avril  1603, 
Précédée  d'un  Sonnet  au  Roi  Hen- 
ry IV.  1 1  o 

XI.  £  pitre.  220 

XII.  VOmbre  d'Eglé.  ziz 

Fi«  ck  la  Table.